MANIFESTATION CONTRE LA LOI DARMANIN : Saint-Denis se mobilise

Aujourd’hui, une émission en appel a la manifestation de ce jour contre le projet de loi asile et immigration, qui partira de la place de l’opéra à 17 h.

CHANGEMENT DE POINT DE RALLIEMENT : suite à l’interdiction de la manifestation parisienne du 18 décembre entre Opéra et Concorde. Les collectifs de sans-papiers décident d’appeler à se rassembler ce lundi 18 décembre à 17 H place de la République, lieu autorisé par arrêté préfectoral.

Gérald Darmanin l’a dit : sa loi immigration est « la plus ferme avec les moyens les plus durs de ces trente dernières années ». Et devant le Sénat, il a fixé l’enjeu : il s’agit de savoir dans quelle société nous voulons vivre.

C’est effectivement l’enjeu. Voulons-nous vivre dans une société raciste, sécuritaire et anti-sociale ? Où allons-nous nous battre pour défendre nos libertés, l’égalité et la solidarité ?

Les modifications votées au Sénat, dont la suppression de l’aide médicale d’état est devenue l’emblème, durcissent encore le projet initial et étendent le champ des attaques. D’ailleurs, si la semaine dernière, même en votant la motion de rejet du projet de loi, celui-ci revient ce lundi 18 octobre en commission mixte paritaire, c’est-à-dire 14 parlementaires, 7 pour l’Assemblée nationale et 7 pour le sénat.

Le gouvernement espère ainsi, que cette commission s’accordera sur un texte commun qui devra ensuite être voté dans les deux chambres du Parlement. Voilà le niveau de la démocratie représentative en France.

Les associations et collectif de sans-papiers continuent la mobilisation. Et ce fut le cas mardi 12 décembre dernier à Saint-Denis où un rassemblement avait lieu.

Les organisations signataires appelaient à ce rassemblement pour le maintien de l’aide médicale d’état sans restrictions d’accès et contre le durcissement des conditions d’admission au titre de séjour pour étranger·e malade et dire non à la loi asile et immigration.

Dans cette émission, nous entendrons le reportage réaliser ce 12 décembre à Saint-Denis avec les prises de parole des collectifs et des associations et des interviews réalisés avec des habitantes du quartier des Francs-moisin a Saint-Denis.

Bonne écoute !

LOIS SÉCURITAIRES VERSION NUMÉRIQUE

Journal CQFD n°201 septembre 2021

Le Parlement a adopté définitivement vendredi 23 juillet le projet de loi controversé contre le séparatisme et sa batterie fourre tout de mesures sur la neutralité du service public, la lutte contre la haine en ligne ou encore, la protection des fonctionnaires et des enseignants, l’encadrement de l’instruction en famille, le contrôle renforcé des associations, une meilleure transparence des cultes et de leur financement, ou encore la lutte contre les certificats de virginité, la polygamie ou les mariages forcés…

Après sept mois d’allers et retours entre Palais-Bourbon et Sénat, le texte, intitulé la loi contre le séparatisme est devenue, grâce à la novlangue habituelle du gouvernement ; « Respect des principes de la République ». Elle est présentée comme un moyen de combattre le terrorisme islamiste ; en réalité cette loi permet à l’État d’étendre toujours plus son contrôle sur l’ensemble de la population.

En effet le s’agit pour le gouvernement de contrôler non pas seulement les associations religieuses mais bien toutes les associations, leurs activités doivent être conformes aux « principes républicains », principes vagues, fourrent tout interprétables à merci, qui serviront avant tout à réduire les subventions et à écarter les associations qui ne suivent pas la voix de son maître.

Cette nouvelle loi sert à recaser tout les articles retoqués précédemment ; ainsi le port du voile – ou tout autre signe religieux ostensible – est interdit pour les parents accompagnant les sorties scolaires et lors des compétitions sportives nationales, pour les mineures dans l’espace public, ainsi que le burkini à la piscine. Pour l’université, le Sénat a prévu d’interdire l’exercice du culte dans l’enceinte des établissements publics d’enseignement supérieur.

Est votée également, la possibilité de suspendre les allocations familiales pour lutter contre l’absentéisme scolaire. Ce qui fait des parents, souvent en grande difficultés financières, des flics responsables de l’attitude de leurs enfants et s’ils échouent à faire respecter la règle ils ne pourront plus recevoir leurs droits aux allocs. C’est aussi valable pour les parents d’enfants délinquants puisqu’ils pourront être expulsés de leurs logements sociaux. Les droits deviennent assujettis à leurs comportements et à ceux de leurs progénitures.

Le Sénat a également donné son feu vert à deux amendements de dernière minute du gouvernement. L’un instaure une obligation d’information du préfet trois mois au préalable, avant toute subvention publique pour la construction d’un lieu de culte. Le second permet au préfet de s’opposer à l’ouverture d’écoles hors contrat soutenue par un État étranger « hostile » à la République et une loi précédente interdit également aux écoles en langue régionales.

Adopté le 30 juillet, la loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement prévoit la pérennisation dans le droit commun de dispositifs issus de l’état d’urgence expérimentés depuis 2017 via la loi « sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme ».

Le volet renseignement de la loi entend tirer les conséquences des évolutions technologiques et juridiques des cinq dernières années. Il pérennise la technique dite de l’algorithme : un traitement automatisé des données de connexion et de navigation sur Internet, grâce à la coopération des fournisseurs d’accès, afin de repérer les profils à risque.  Concept vague qui permet au service de renseignement de déployer des moyens colossaux pour surveiller, sous couvert de lutte contre le terrorisme des militants syndicaux, écologistes et autres gilets jaune…

Le texte pérennise quatre mesures de police administrative de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite SILT, qui a pris le relais de l’état d’urgence instauré à la suite des attentats de Paris et de Saint-Denis de novembre 2015. Il s’agit des périmètres de protection, de la fermeture des lieux de culte, des mesures individuelles de contrôle et de surveillance (MICAS) et des visites domiciliaires. Ces mesures étaient soumises à une expérimentation qui a été récemment prolongée par une loi du 24 décembre 2020 jusqu’au 31 juillet 2021.

Elles sont renforcées en particulier par :

  • la possibilité de fermer des lieux dépendants d’un lieu de culte fermé ;
  • l’extension jusqu’à deux ans cumulés – au lieu d’un an –  des mesures administratives de surveillance (MICAS) pour les sortants de prison condamnés pour terrorisme à une peine de prison de cinq ans ou plus (trois ans en cas de récidive). Cet allongement à deux ans a été censuré par le Conseil constitutionnel compte tenu de la rigueur des obligations et interdictions pouvant être prononcées à l’occasion d’une telle mesure ;
  • la création, pour ces mêmes sortants de prison, d’une “mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion”. Elle concernera des individus particulièrement dangereux. Elle pourra être décidée en l’absence de mesure de suivi judiciaire. Sa durée sera d’un an maximum, renouvelable dans la limite de cinq ans.

Cette nouvelle mesure de sûreté sera prononcée en fin de peine par le tribunal de l’application des peines de Paris sur réquisition du parquet national antiterroriste. Elle doit remplacer les mesures de sûreté voulues par la loi du 10 août 2020, dite Braun-Pivet, que le Conseil constitutionnel a censurées. Elle impliquera une obligation de prise en charge sanitaire, sociale, éducative, psychologique ou psychiatrique.

Toujours au titre de l’arsenal antiterroriste, les préfets et les services de renseignement seront destinataires des informations sur les soins psychiatriques sans consentement (fichier HOPSYWEB) des personnes radicalisées qu’ils suivent. Avant cette loi, ces informations étaient limitées au préfet du lieu d’hospitalisation.

Un amendement des députés a maintenu et durci le rapport annuel remis au Parlement par le gouvernement sur l’application des mesures antiterroristes (gel des avoirs, interdiction de sortie du territoire, mesures judiciaires préventives…).

Un article 25 (ex 19) réforme l’accès aux archives classées secret-défense. L’accès à ces archives au bout de 50 ans est généralisé à des fins d’études et de recherches, mais le champ des exceptions au délai de 50 ans pour les documents les plus sensibles est élargi. Certains documents ne pourront être accessibles au public qu’après leur “perte de valeur opérationnelle”. Des amendements des parlementaires ont exclu de l’allongement des délais prévu par la réforme les documents déclassifiés qui sont aujourd’hui librement communicables (par exemple sur la guerre d’Algérie) et les documents ayant fait l’objet d’une ouverture anticipée de fonds d’archives publiques.

Le Conseil constitutionnel a énoncé deux réserves d’interprétation sur cet article. Il a jugé qu’il ne peut pas s’appliquer à des documents dont la communication n’a pas pour effet de révéler une information jusqu’alors inaccessible au public. L’autre réserve concerne l’accès aux archives intéressant des installations nucléaires ou militaires.

Nous reviendrons sur toutes ces mesures ultérieurement, mais dans cette émission, nous aborderons le volet combattre la haine en ligne avec Wikimedia et la surveillance des échanges en ligne avec la quadrature du net.

INDE ; L’INSURRECTION SE POURSUIT

Femmes assemblées le 8 mars ; AG des ouvriers des aciéries Vizag.

Dans l’émission de ce jour, nous poursuivons en compagnie de Jacques Chastaing, de parler de la suite du soulèvement en Inde.

LE SOULÈVEMENT PAYSAN EN INDE EST PLUS FORT QUE JAMAIS

IL ÉBRANLE TOUTE LES NORMES ET LES VALEURS DE LA SOCIÉTÉ INDIENNE

Les lois que veut faire passer le gouvernement de Narendra Modi signent la mort de la petite paysannerie indienne.

Aussi les petits paysans qui sont très prolétarisés et les ouvriers agricoles, mènent un combat à la vie à la mort qui non seulement ne faiblit pas depuis le mois de juin 2020 quand ce mouvement a commencé, mais s’approfondit et s’élargit toujours un peu plus.

De fait, chacune des dates du calendrier social indien et chacune des attaques du gouvernement contre le soulèvement indien, devient l’occasion pour ce dernier d’une riposte encore plus déterminée qui en fait à chaque fois une nouvelle étape vers un mouvement qui n’est plus seulement paysan mais qui devient celui de toutes les classes populaires pour renverser Modi et le système qu’il défend.

Tout cela est lent, puisque le mouvement paysan a commencé en juin 2020, mais on comprend bien qu’il faut du temps pour ébranler un continent de 600 millions de paysans et plus d’un milliard d’habitants, avec 28 États, 8 territoires, aux 3 000 castes, aux très nombreuses formes de pratiques religieuses, aux milliers de tribus, aux traditions et expériences probablement encore plus variées que celles du continent européen.

Par ailleurs, si la détermination du soulèvement ne décline pas et exerce ainsi une énorme pression sur les dirigeants des organisations paysannes, celles-ci n’étaient pas conçues pour avoir une politique de renversement de Modi et du système capitaliste même si certains de ses membres ont personnellement cet objectif. Ainsi le mouvement avance par a-coups, par la logique sociale de la prolétarisation paysanne et de sa détermination en réponse aux attaques gouvernementales qui le poussent, à chaque offensive de Modi, à s’engager toujours plus loin sur le chemin de cette logique.

Aujourd’hui, nous en sommes à un moment où le soulèvement paysan qui bénéficie d’un très large soutien des classes populaires essaie de se transformer peu à peu en soulèvement de l’ensemble de ces mêmes classes populaires.

Cette évolution qui suppose une énorme transformation des consciences, au moins des plus avancées, a commencé le 26 novembre 2020.

LES ÉTAPES DE LA TRANSFORMATION RÉCENTE DES CONSCIENCES

Le 26 novembre 2020 les directions syndicales ouvrières appuyés par la première coordination paysanne, l’AIKSCC, née elle-même d’une première révolte en 2017, ont organisé une grève nationale d’un jour qui avait fait descendre 250 millions de travailleurs dans la rue.

En général, les directions syndicales ouvrières s’arrêtent là, un journée d’action puis rien avant l’année suivante.

Mais là, le soulèvement paysan a saisi l’occasion pour appeler aussitôt à renouveler cette grève générale la semaine d’après, le 8 décembre, voire continuer plus loin encore s’il y en avait la possibilité.

Lorsque cette seconde journée de lutte nationale du 8 décembre a été passée, le gouvernement a espéré une pause, mais non, ça a été le contraire, le soulèvement paysan a profité de cet élan pour appeler aussitôt à marcher sur New Delhi la capitale montrant ainsi sa détermination à lui-même et à toute la population. Il a cristallisé ce moment d’alliance et de débordement des directions syndicales ouvrières, dans l’apparition d’une nouvelle coordination paysanne, le SKM (Front Uni Paysan) qui anime encore aujourd’hui le soulèvement, en synchronisation avec l’AIKSCC.

Lorsque le gouvernement a alors bloqué cette marche aux portes de Delhi par une armée de policiers, ni une ni deux, le soulèvement paysan n’a pas reculé, mais a installé des campements de plusieurs centaines de milliers de paysans aux portes autoroutières de New Delhi qui sont devenus le foyer de rencontre de tous les secteurs et professions en opposition à Modi et au système, le creuset organisateur de la convergence de toutes les luttes, ouvrant le soulèvement paysan, par ces lieux fréquentés de toutes les oppositions au régime, à toutes les questions sociétales, religions, castes, femmes, tribus, Intouchables, jeunes, écologie….

Puis, quand le gouvernement a tenté de profiter d’une légère pause, après l’aboutissement de la marche des paysans à 1 million à New Delhi le 26 janvier, pour tenter de détruire les campements paysans de la capitale, les paysans ont non seulement appelé à monter en masse à Delhi ce qui s’est fait, mais ils ont appelé à construire les bases d’un pouvoir paysan durable au travers de la démocratie directe des Mahapanchayats dès le 29 janvier 2021.

Du coup, aujourd’hui, depuis ce premier Mahapanchayat, le soulèvement en a tenu 100 qui sont devenus les organes d’un pouvoir paysan, structurant 3 millions de participants, assurant une autorité organisée au soulèvement paysan sur une zone d’influence d’environ 100 millions de personnes qui se soustraient ainsi en partie à l’autorité du pouvoir central et sont en capacité de bannir socialement de ces zones les représentants du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti de Modi et ses alliés, fussent-ils les dirigeants des États inclus de ces zones.

Maintenant, en cette seconde quinzaine d’avril, craignant intensément l’appel des paysans à toutes les classes populaires à une marche nationale début mai sur le Parlement pour l’assiéger, le pouvoir essaie de profiter de la saison des récoltes qui a commencé en avril et qui oblige bien des paysans à retourner au travail pour mener une campagne de masse avec l’aide de ses médias pour faire croire que le soulèvement paysan est en train de s’arrêter et tenter de l’attaquer à cette occasion.

Il a récolté en riposte contre cela, une organisation quasi soviétique du travail à la campagne.

Pour prendre l’exemple du Pendjab, pour faire face au fait qu’une partie des tracteurs était utilisée dans les mobilisations, tout le matériel, les moissonneuses-batteuses et les tracteurs restants sont mis en commun.

Plus que cela, pour ne pas abandonner la mobilisation et en même temps pouvoir faire les récoltes avec donc un manque de bras, des réunions ont eu lieu sur la manière dont toute cela sera organisé et coordonné dans chaque quartier de village, chaque village et chaque département ; tout le monde s’est prononcé en faveur d’une mise en commun de tout. Un système démocratique à trois niveaux (quartier, village, département) a été créé pour couvrir toutes les familles afin que personne ne subisse de perte et puisse mener de front, travail et politique.

Ainsi les paysans partent pour les frontières de Delhi par lots en fonction du moment de la récolte. Un lot part d’un quartier, un lot d’un autre quartier arrive. Un autre lot achemine les récoltes au Mandi (marché d’État).

Et ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que ces différents lots, sont composés bien sûr de paysans, mais aussi d’ouvriers agricoles mais encore d’ouvriers, d’employés, d’étudiants, d’enseignants, tous les soutiens qui le veulent. Ainsi, les paysans et leurs soutiens, vont et viennent des villages à New Delhi et réciproquement sur la base d’une organisation démocratique et solidaire remarquable, améliorant la solidarité humaine et accélérant ainsi, de fait, le processus de récolte.

De cette organisation du travail est sorti une coordination paysans-ouvriers-étudiants-enseignants qui se substitue peu à peu à la coordination strictement paysanne. Son premier geste a été d’envoyer aux campements de New Delhi, des ouvriers, enseignants et étudiants pour remplacer les paysans obligés de quitter les campements afin de faire les récoltes. En sachant qu’en plus des campements de New Delhi, il y a une centaine de lieux occupés en permanence seulement dans le Pendjab, on mesure mieux combien le brassage de paysans, ouvriers, étudiants, employés, enseignants qui était déjà une réalité aux campements de Delhi, passe un cap et devient une fusion dans un combat mené en commun.

Or le phénomène ne touche pas que le Pendjab.

Ainsi par exemple, un meeting commun massif ouvriers-paysans a eu lieu le 18 avril, à Visakhapatnam dans l’État de l’Andhra Pradesh, pour organiser une lutte commune ouvriers-paysans contre la privatisation de l’aciérie publique Vizag de cette ville dont 400 000 personnes dépendent sur trois États. Ce qui est marquant pour témoigner de la popularité du soulèvement paysan, c’est que c’est le collectif ouvrier qui anime cette lutte contre la privatisation depuis déjà plusieurs mois qui a fait appel aux paysans, non pas pour les aider, mais pour diriger ensemble le mouvement à l’échelle de l’État entier, voire plus.

Ce qui est frappant aussi pour l’évolution actuelle du combat, c’est que le dirigeant paysan le plus connu, Rakesh Tikait, a appelé dans ce meeting à créer un front général paysans, ouvriers, cheminots, employés de banques et d’assurances – qui sont aussi en lutte aujourd’hui contre leur privatisation, mais chacun dans leur coin – afin de redonner au peuple la propriété de son travail, un programme très révolutionnaire par les moyens et très socialisant par les objectifs.

En même temps que le gouvernement essaie en avril de profiter du temps des récoltes, il cherche en même temps à profiter d’une montée des contaminations au Covid ces derniers jours pour mener une immense campagne de peur accusant les rassemblements et campements paysans d’être responsables des contaminations. Il veut donc interdire tout rassemblement (sauf ses propres meetings électoraux et les pèlerinages hindous, parce que le gouvernement ne fait strictement rien contre le Covid), en menaçant de “nettoyer” de force les campements de Delhi. Et, cerise sur le gâteau, dans le même moment, il utilise une tempête qui a partiellement détruit les campements paysans de Delhi pour finir de les détruire en tentant avec ses voyous fascistes d’y mettre le feu.

Or, face à cela, le soulèvement paysan trouve l’énergie de reconstruire les campements mais plus encore, refuse de céder au chantage sanitaire du pouvoir et maintien ses mobilisations contre le gouvernement tout en cherchant des réponses qui étendent l’influence du soulèvement à la question de la santé publique.

Ainsi, bien sûr, il a dénoncé l’inaction totale du gouvernement depuis un an contre le Covid, en matière de lits d’hôpitaux, de respirateurs, d’oxygène, de formations, de soignants, etc… Politiquement, le soulèvement paysan a répondu que si le gouvernement avait réellement le souci de la santé des indiens, il n’aurait qu’à céder aux revendications des paysans, ce qui mettrait immédiatement fin aux campements et mobilisations..

Mais le soulèvement est allé plus loin, défiant très concrètement l’autorité du pouvoir et construisant le sien. Il a démonstrativement ouvert des cliniques de campagne dans ses campements de Delhi aux soins gratuits non seulement pour ses membres mais aussi pour tous les habitants qui le veulent en demandant au gouvernement, s’il est sincère dans sa lutte contre le Covid, de lui fournir des vaccins qu’il pourrait ainsi utiliser rapidement et largement.

Ainsi, au fur et à mesure que la confiance dans le gouvernement s’amenuise, le soulèvement montre le visage d’un autre gouvernement possible, paysan et ouvrier.

Pour le moment, même si le gouvernement voudrait utiliser le Covid et le temps des récoltes, il est relativement coincé dans sa volonté de “nettoyer” les campements paysans, non seulement parce que les paysans et leurs soutiens proposent de soigner, mais aussi parce qu’il y a aujourd’hui des élections qui ont cours jusqu’à fin avril pour renouveler parlement et gouvernements dans 5 États.

Modi ne peut se permettre de trop grandes violences contre les paysans au risque de perdre des électeurs car il a mis en effet dans ces élections toutes ses forces en espérant enrayer ses reculs voire même gagner peut-être des États, en particulier le Bengale occidental qui aurait une signification symbolique importante.

Il interdit donc les meetings des partis qui lui sont opposés au prétexte du Covid, mais lui-même continue les siens sans aucune protection sanitaire.

Mais il augmente aussi les salaires des ouvriers agricoles du thé (Darjeeling) qui sont une part importante de l’électorat, la veille des élections, offrant par ailleurs cadeaux, argent et même logements à ceux qui voteraient pour lui. Pire, il promet que les musulmans indiens deviendraient avec lui des étrangers expulsables, sous-entendant ainsi qu’il y aurait des maisons et des boutiques à prendre, libérant toutes les haines et les violences. Il commence ainsi dans chacune des villes où il organise un meeting par obliger par la force de ses bandes fascistes, les musulmans à fermer boutiques et échoppes dans la ville du meeting, cherchant à transformer ce scrutin en des violences de pogroms religieux.

Par contre, une fois, ces élections terminées dans les derniers jours d’avril, les paysans craignent les pires des violences du pouvoir contre eux.

Cependant, les derniers jours d’avril sont aussi les derniers jours des récoltes et les paysans pourront reprendre leur mobilisation à 100%.

Déjà, la principale organisation paysanne du Pendjab appelle tous ceux qui ont fini leurs récoltes à monter sur Delhi le 21 avril, tandis que le SKM appelle l’ensemble des paysans du pays à le faire le 24 avril et invite à une convention nationale de l’ensemble des organisations paysannes le 10 mai à Delhi afin de discuter de la marche sur le Parlement et de la stratégie du mouvement dans la période qui s’ouvre.

Les jours qui viennent vont donc être tendus

S’il est peu probable malgré des attaques violentes très possibles du pouvoir que le mouvement paysan soit stoppé même s’il prend des coups.

Par contre, si le gouvernement qui joue son va-tout dans les jours qui viennent, prend une claque électorale ou même sans perdre, s’il ne gagne pas de manière probante et démonstrative dans les élections et si en même temps il n’arrive pas à se faire obéir des paysans en cette période de Covid, il est bien envisageable qu’on entre dans une nouvelle période qui soit celle de la marche inéluctable vers la chute de Modi.

COMMENT LES PAYSANS ONT DÉJÀ TRANSFORMÉ LA SOCIÉTÉ INDIENNE

Chaque attaque du gouvernement s’est donc traduite par un élargissement du champ d’action du soulèvement paysan et de son influence sur la société.

Or, pour tenter de diviser le soulèvement et le discréditer aux yeux de l’opinion, le gouvernement a cherché à s’appuyer sur tous les préjugés sociaux et les développer en disant que le soulèvement est celui des ignorants, des incultes, des arriérés, des barbares… bref des Intouchables, des tribus indigènes, des femmes, des sikhs, des musulmans, des jeunes pauvres…

En riposte, le soulèvement paysan a organisé de manière démonstrative des mahapanchayats ayant une portée politique symbolique importante pour l’élargissement de son combat, avec des ouvriers agricoles, des femmes, des Intouchables, des tribus indigènes, des jeunes et des musulmans. Il a fait plus que de les organiser ensemble, il a fournit l’infrastructure pour que les plus opprimées puissent avoir leurs propres Mahapanchayats, leur propre organisation autonome.

Ainsi le soulèvement paysan a déjà transformé l’Inde en faisant tomber dans le mouvement lui-même et en les ébranlant ailleurs, les barrières entre castes, religions, sexes, et autres stéréotypes du même style. Les normes et les valeurs sociales sont en train d’être ré-écrites.

Et c’est pour ça qu’il attire de plus en plus largement : chaque maison, chaque ferme du paysage indien a un drapeau paysan (en tous cas dans le Nord), montrant là toute sa puissance et toute l’ambition des aspirations populaires qu’il représente, car c’est toute cette société d’oppression et d’exploitation qu’il ébranle.

Les jeunes sont particulièrement attirés qui étouffent dans cette société cloisonnée. Le soulèvement paysan est à la mode, dans les vêtements, les T-shirts, les mouvements de jeunes, la musique, les badges… Paysan, c’est cool.

C’est évidemment un danger mortel pour le capitalisme et sa capacité à exploiter les prolétaires de la ville et la campagne, des femmes et des hommes… en les divisant.

Les femmes paysannes mais aussi les autres femmes, qu’elle soient hindoues, sikhs ou musulmanes, sont à la pointe du combat, alors que jusque là les traditions patriarcales dominaient plutôt le monde rural et la société indienne en général.

Dans ce pays aux nombreuses règles millénaires et moyenâgeuses les plus coercitives, toutes les normes et les valeurs sociales sont en train d’être réécrites dont les campements paysans sont les foyers incubateurs puisqu’y vivent et coopèrent en fraternité toutes les castes, toutes les religions, toutes les croyances ou les idées, celles des hindous, sikhs, musulmans, bouddhistes ou chrétiens, mais aussi celles des multiples écoles du marxisme ou de l’anarchie. On y trouve des ouvriers et des paysans, des universitaires et des personnes qui ne sont jamais allés à l’école, des femmes et des hommes, des féministes et des chefs de clans patriarcaux, des guerriers Nyangs et des pacifistes, des tribus des forêts et des jeunes urbains, des écologistes et des syndicalistes de l’industrie la plus polluante, des personnes de 90 ans et d’autres de 14 ans…

Le soulèvement paysan est la vitrine vivante d’un autre monde possible qui existe déjà dans le cœur de chaque indien mais de manière étouffée et l’envers visible du monde de haines et de divisions que veut encore aggraver le pouvoir.

Pour en faire la démonstration chaque jour, au delà de ses luttes, le soulèvement s’empare de chaque journée importante du calendrier indien pour en faire celle de l’idéal du soulèvement.

Il l’avait déjà fait en choisissant le 26 janvier 2021 comme journée de son entrée dans Delhi. Il a transformé la fête nationale de ce jour-là qui est dédiée traditionnellement au soulèvement de l’indépendance, mais qui est récupérée par les riches comme notre 14 juillet. Il lui a redonné le sens subversif d’origine de ceux qui se révoltent contre l’injustice et l’inégalité par un défilé paysan dans Delhi bien plus applaudi par les habitants que le défilé national du gouvernement.

Le soulèvement s’empare ainsi de toutes les grandes dates du calendrier national pour en faire celles du peuple modelant peu à peu les valeurs abstraites du pays pour en faire les valeurs réelles des révoltes, du courage et de la dignité populaire.

Après les fêtes traditionnelles de Diwali, Lohri et Holi et bien d’autres dates d’hommages nationaux, le soulèvement paysan a décidé pour ne donner que l’exemple de ces derniers jours, de fêter le 13 avril, le Baisakhi, une fête traditionnelle pour l’ouverture de la période des récoltes qui a lieu dans de nombreux États et sous le nom de Baisakhi au Pendjab.

Il a donc organisé des grandes fêtes populaires dans les campements paysans des portes de Delhi avec spectacles sportifs, de danse, de musique, feux d’artifice auxquels participent les paysans des campements mais aussi tous ceux qui de Delhi ou ses banlieues veulent s’y associer…

Le soulèvement paysan s’empare des événements de la société indienne pour leur donner sa propre tonalité subversive et populaire, pour les faire siens en y associant tous ceux qui le veulent, pour faire de tout le calendrier indien, le calendrier du soulèvement et du peuple. En rendant son histoire au peuple, il se saisit de son histoire pour refaire vivre son désir de changer le monde. IL montre de plus en plus qu’il y a deux pouvoirs, deux sociétés qui s’affichent à toute occasion et chaque événement, l’une contre l’autre, la société et le pouvoir du gouvernement des capitalistes et des riches d’un côté et la société et le pouvoir des paysans et des pauvres de l’autre.

En même temps, en plus de l’horizon qu’il dessine, il associe la lutte qui y mène. Dans les zones que le soulèvement paysan influence, là où les représentants du BJP et ses alliés ont voulu aussi fêter ces événements, ils ont été chahutés voire empêchés de les célébrer par les paysans comme l’ont décidé les Mahapanchayats en bannissant socialement le BJP et ses alliés, en leur interdisant de participer à toute cérémonie, toute inauguration, tout meeting, en leur interdisant parfois tout simplement de rentrer ou sortir de chez eux.

Le 13 avril, également, le soulèvement paysan commémore le massacre de Jallianwala bagh où des centaines d’indiens ont été tués par les britanniques le 13 avril 1019. De cette manière, en commémorant de très nombreux héros du mouvement social ou des faits de son histoire, le soulèvement paysan reconstruit aussi une autre histoire de l’Inde que celle de l’histoire officielle des riches et des puissants, une histoire des pauvres, des invisibles et de leurs combats mais aussi de leurs valeurs et leur dignité, il rend leur dignité aux opprimés et expoloités.

Le 14 avril, il a rendu hommage au plus célèbre des Intouchables, Ambedkar, l’homme qui a écrit la constitution de l’Inde indépendante. Le soulèvement a appelé ce jour-là tous les intouchables, les tribus et tous les exclus, des basses castes, des femmes, les musulmans, etc… à s’emparer de cette journée, à ne pas la laisser dans les mains de ceux, qui la plupart du temps, étaient les alliés ou les valets des britanniques. Il l’a fait toujours dans le même esprit afin que cette journée doive être celle du peuple combattant et non celle de ceux qui au pouvoir écrasent tous les jours les opprimés et ne les célèbrent qu’une fois par an. Les Intouchables et bien d’autres opprimés ont donc ce jour-là organisé de grands rassemblements partout tout en gênant ou empêchant également les rassemblements du même type organisés par le BJP et ses alliés.

Le 19 avril, il a organisé un hommage aux habitants des banlieues pauvres et riveraines des campements paysans dans le pays, qui par leur solidarité active, leur apport de nourriture, d’eau, de couvertures, vêtements, leurs hébergements, leurs toilettes et douches, le prêt de leurs téléphones, leur transport entre les camps et la ville qui sont interdits par la police aux paysans… ont rendu possible l’existence de ces campements.

Le soulèvement paysan a aussi changé la société en amenant déjà Modi à suspendre les lois anti-ouvrières liquidant l’essentiel des acquis ouvriers que le gouvernement voulait également imposer. Modi espérait ainsi acheter les directions syndicales ouvrières, ce qu’il a en partie réussi, puisque pour la grève générale commune paysans-ouvriers prévue le 26 mars 2021, les directions syndicales ouvrières se sont désistées au dernier moment pour ne s’engager qu’à un soutien symbolique. Mais peu importe, le blocage général du 26 mars a été un grand succès montrant l’influence nationale des paysans. Et puis, le processus recommence, le soulèvement paysan a à nouveau imposé aux directions syndicales ouvrières l’organisation commune du 1er mai, et il espère bien dans la foulée entraîner la base ouvrière et populaire à marcher avec lui sur le Parlement dans les jours qui suivent.

Alors bien sûr, bien des combats sont encore à mener.

Le gouvernement a tenté de faire assassiner ces derniers jours, le leader le plus populaire du soulèvement paysan, Rakesh Tikait. Il a récolté du coup un blocage général de Delhi pendant un jour.

Et ce n’est pas fini. Les paysans craignent que Modi ne cherche à faire assassiner dans les jours qui viennent les principaux dirigeants du soulèvement et donc ils s’organisent pour cela, argumentant que si la police est incapable d’assurer leur protection, il va bien falloir qu’ils s’en occupent eux-mêmes, menaçant ou annonçant ainsi la naissance d’une milice paysanne.

Le gouvernement pour le moment du seul État de l’Haryana (dirigé par le BJP) le plus enragé contre les paysans, a annoncé qu’il interdisait au commun du peuple de parler à des paysans en lutte sous peine de sanction, et a sorti une loi lui permettant de saisir les biens, maison ou champs, des paysans pris à participer à une manifestation illégale. Cela amènera-t-il les paysans à annoncer leur droit à saisir les biens des capitalistes qui font violence contre le mouvement ? On verra, mais toute l’évolution pousse à cette spirale vers la révolution.

Et c’est ce virus de la révolution, ce variant indien, que craignent surtout les possédants jusqu’en France qui font fermer à leurs journaux toute information provenant d’Inde à l’exception de celles de la campagne de peur que mène la presse de Modi sur le Covid qui est en fait une campagne contre les paysans.

Jacques Chastaing. 19.04.2021