INDE : LE SOULÈVEMENT PAYSAN N’EST QU’UN DÉBUT

Ça n’a pas traîné !

Aussitôt que le gouvernement a eu promis le MSP aux paysans, c’est-à-dire un prix minimum de vente des produits agricoles garanti par des accords entre l’État et les syndicats paysans indépendamment des cours mondiaux avec un minimum équivalent à une fois et demi le cout de revient, c’est-à-dire une sorte de Smic paysan, les ouvriers dont l’immense majorité n’ont pas le Smic, ni aucun droit en matière de retraite, maladie ou chômage, se sont mis à réclamer le Smic pour tous les travailleurs. Il y a eu des manifestations en ce sens en différents endroits notamment dans les États du Karnataka et du Tripura.

La première manifestation à vocation nationale pour l’application du MSP pour les paysans et l’extension d’un Smic de 25 000 roupies à tous les travailleurs, a eu lieu ce 19 décembre à Bangalore dans l’État du Karnataka à l’initiative d’un regroupement d’une quinzaine d’organisations ouvrières avec l’intention de généraliser ensuite ces manifestations.

Pour le moment, au niveau général, la situation est encore entre deux, sans encore savoir vers quoi et quand elle va basculer, entre la victoire qu’on fête encore partout et le démarrage d’une autre période de lutte dont on ne sent encore que les prémisses mais qui pourrait bien être celle de la mobilisation massive des travailleurs, comme le laissent déjà entrevoir les mobilisations actuelles. La première réunion entre le gouvernement et les paysans pour définir les modalités de l’application du MSP (sorte de salaire minimum paysan, un  succès considérable qui changerait tout le pays si c’était appliqué mais dont on ne voit pas l’application sans mobilisation encore plus forte que précédemment) aura lieu le 15 janvier 2022.  Le SKM qui a aussi prévu une réunion de la coordination paysanne ce jour-là, verra si le gouvernement a réellement l’intention de tenir sa promesse sur le MSP et en fonction de cela décidera de reprendre la mobilisation ou pas et comment. Ce jour-là, il décidera également s’il exclue ou pas, les organisations paysannes qui ont décidé de former une organisation politique afin de se présenter aux élections au Pendjab.

D’ici le 15 janvier qui sera donc une date importante, les mobilisations n’ont pas cessé, bien au contraire, mais sans la perspective concrète immédiate de les unifier que représentait la mobilisation paysanne.

Il manque donc quelque chose. On verra donc si ce “quelque chose”, facteur d’unification et perspective de changer de monde, réapparait au 15 janvier puisque le SKM a promis qu’il n’avait fait que suspendre la lutte et que si le gouvernement ne tenait pas ses promesses, il reprendrait et intensifierait la lutte.

En attendant, entre la victoire paysanne, la suspension du mouvement et aujourd’hui, il y a donc eu beaucoup de luttes, mais “dispersées” comme à l’habitude si on peut dire. Du côté des paysans, la période est encore largement dominée par les multiples fêtes organisées pour célébrer la victoire à chaque retour de paysans revenant des campements de Delhi ou d’ailleurs avec, en même temps, des grèves et manifestations des ouvriers agricoles qui demandent leur part, d’assez importantes manifestations locales ou régionales de paysans pour exiger des indemnités du fait des dégâts causés par les pluies, et puis des réunions, des mahapanchayats pour faire le point sur le MSP, puisque si le gouvernement en a promis le principe, il reste encore à l’appliquer concrètement.

En même temps, du côté ouvrier, comme si elles avaient été encouragées par le succès paysans, les grèves et manifestations fusent de partout, grèves des agents de nettoyage du Karnataka qui réclament un Smic à 35 000 roupies, grèves des employées de Foxccon, des ouvrières fabricant les feux d’artifice, des agents de santé de l’Uttarakand depuis une semaine, des médecins à Delhi, des ouvriers de Tata, Ford, Leyland, d’agents municipaux, d’ouvriers des universités, des enseignants du Pendjab, des chauffeurs de bus dans le Maharashtra, le Pendjab et le Telangana, des Anganwadi et Asha dans différents Etats et tellement, tellement d’autres. 

Mais il y a aussi des grèves et manifestations ouvrières de dimension nationale qui se multiplient en s’appuyant là aussi sur la réussite des paysans, puisqu’on a vu ces derniers jours, une grève nationale des ouvriers de la construction les 2 et 3 décembre – la plus importante de toute leur histoire -, une grève des médecins le 6 décembre, des ambulanciers le 8 décembre, puis les 9,10 et 11 décembre une grève nationale de trois jours des mineurs de fond, une grève  nationale de deux jours contre la privatisation des banques publiques, les 16 et 17 décembre, très réussie avec la fermeture de 95% des agences et participation d’au moins un million d’employés de banque et la menace d’une grève illimitée, mais il y a encore grève également des cheminots ces mêmes deux jours, la grève des salariés des entreprises fabriquant des fertilisants le 18 décembre, une grève nationale des petites et moyennes entreprises prévue le 20 décembre, d’autres encore en préparation  et pour couronner le tout une grève générale interprofessionnelle de deux jours sur toute l’Inde les 23 et 24 février à l’appel des dix principales organisations syndicales ouvrières – et du SKM, la coordination paysanne – pour l’abrogation des 4 lois anti-ouvriers qui suppriment 44 lois ouvrières acquises dans la lutte et qui protégeaient un peu les travailleurs, contre les privatisations. 

Tout est en fermentation mais il est clair que la mobilisation paysanne n’est pas finie, puisqu’il reste à mettre en application le MSP et que le succès paysan a ouvert bien des espoirs et des envies de mobilisation du côté ouvrier. Les jours et semaines au tournant de l’année 2021/2022 nous diront comment le rapport de force construit au travers de la victoire paysanne va se traduire dans les mobilisations de toutes les classes populaires d’inde.

Ce qui est sûr, c’est que le mouvement ne fait que commencer.

Dans cette émission, nous vous diffusons un entretien avec Jacques Chastaing que nous avons pu réaliser le 18 décembre 2021 derniers. Pour approfondir et croiser les regards sur ce sujet, nous vous diffusons par la suite un entretien que nous avons pu réaliser lors de la rencontre les peuples veulent 3.0 le 12 novembre 2021 avec un membre du collectif MASA qui s’organise sur le territoire indien afin de développer des pratiques d’autonomie au sein des luttes de travailleurs

INDE : victoire du mouvement paysan indien

26 novembre 2021 : réunion au campement de la porte Tikri à Delhi

Nous passons cette heure d’émission en compagnie de Jacques Chastaing, pour revenir sur la victoire du mouvement paysan en Inde.

Le premier Ministre indien, Narendra Modi, voulait libéraliser l’agriculture. Après un an de colère et de mobilisation paysanne, il a annoncé vendredi 19 novembre 2021, de manière inattendue l’abrogation de la réforme.

Ces réformes prévoyaient de libéraliser les marchés agricoles donnant trop de pouvoir aux grands groupes. Les paysans indiens redoutaient également qu’à terme, ces lois ne marquent la fin des prix minimums garantis par l’État pour certaines denrées. Depuis l’adoption de ces réformes, les agriculteurs campaient aux portes de la capitale indienne. Ces mobilisations sont les plus importantes contestations depuis l’arrivée au pouvoir des nationalistes hindous en 2014.

La décision du SKM de continuer et amplifier la lutte, dessine l’émergence d’une organisation révolutionnaire originale et un changement de période où les classes populaires passent à l’offensive pour un monde meilleur et les classes bourgeoises se mettent en défensive, une tendance qu’on sent germer un peu partout, à la lumière de l’avant-garde du mouvement en Inde

Source: Jacques Chastaing

Forts de leur succès, un jour après que le premier ministre Modi, ait annoncé le retrait des lois anti-paysannes le 19 novembre 2021, les paysans par la voix du SKM (Front Uni Paysan, la coordination qui anime le mouvement) ont répondu par une gifle à Modi en décidant de continuer leur mouvement et de l’amplifier en maintenant tous les programmes de luttes annoncés, y compris ceux pour marquer le premier anniversaire de la manifestation des paysans le 26 novembre tout en faisant porter maintenant le centre de leurs revendications sur une sorte de salaire minimum garanti pour les 600 millions de paysans.

Le SKM exige en effet maintenant que l’État garantisse des prix satisfaisants contre les cours du marché mondiaux à une fois et demi le prix de production pour tous les produits agricoles et pour tous les paysans du pays. C’est une vieille revendication pour laquelle les paysans se battent depuis longtemps et c’est considérable. On estime en effet à l’heure actuelle que 30 % environ des paysans ne bénéficient pas du tout de cette garantie que justement Modi voulait détruire pour ceux qui en bénéficiaient encore en partie. Cette demande importante équivaudrait à une espèce de salaire minimum garanti pour les paysans, négocié avec les syndicats paysans ou leur coordination.

Le SKM exige également le retrait du projet de loi d’amendement sur l’électricité qui avec la privatisation envisagée par le gouvernement Modi mettrait fin au système de prix bas pour les paysans.

Le SKM a déclaré que les centaines de poursuites judiciaires contre des milliers de paysans doivent être retirées sans condition.

Il a également demandé que les familles des 700 paysans décédés durant le mouvement doivent recevoir une compensation et des emplois. Par ailleurs les 700 martyrs méritent également a-t-il dit qu’un hommage leur soit rendu lors de la session parlementaire et qu’un mémorial soit érigé en leur nom. Le SKM a également demandé des comptes dans les violences à Lakhimpur Kheri dans l’Uttar Pradesh, où une voiture appartenant au fils du ministre de l’Intérieur de l’Union, Ajay Mishra, a écrasé et tué quatre agriculteurs et un journaliste. Il a exigé que Ajay Mishra qui ne fait toujours l’objet d’aucune action en justice et reste ministre du gouvernement Modi, soit arrêté et renvoyé du Conseil des ministres.

Pour tout ces objectifs, le SKM a donc lancé un appel aux paysans des États du nord de l’Inde pour qu’ils rejoignent les différents campements de Delhi le 26 novembre. Des rassemblements seront organisés en même temps à travers toute l’Inde l’Inde pour marquer la journée. Dans les États éloignés de Delhi, le premier anniversaire sera célébré avec des défilés de tracteurs et de chars à bœufs dans les diverses capitales, ainsi que par d’autres manifestations.

En outre, le SKM a également exhorté les agriculteurs à faire du Mahapanchayat (Assemblée Générale de démocratie directe, pas tout à fait un soviet mais pas loin) qui se tiendra à Lucknow, la capitale de l’Uttar Pradesh, le 22 novembre, un grand succès avec un million de participants et d’y donner le maximum d’énergie.

Le 28 novembre, un gigantesque Mahapanchayat ouvrier et paysan sera également organisé à Mumbai (Bombay) dans le Maharashtra par une centaine d’organisations ouvrières, paysannes, associatives, citoyennes, ce qui est une première dans cette ville et cet État.

À partir du 29 novembre, une marche pacifique vers le Parlement avec 500 tracteurs sera organisée tous les jours jusqu’à la fin de la session afin de continuer à mettre les parlementaires sous pression et mobiliser ceux parmi eux qui disent soutenir le mouvement paysan en menaçant de faire perdre leur prochaine élection à toux ceux qui ne porteraient pas leur combat.

De même, les gares de péage autoroutières seront libérés de toute perception de frais.

En attendant, même s’ils restent méfiants, attendent que le Parlement ait voté le texte annoncé par Modi et se préparent aux prochains combats, partout l’état d’esprit est à la joie, et les paysans ont fêté avec intensité leur immense victoire notamment dans les campements paysans aux portes de Delhi.

POURQUOI LE RECUL SOUDAIN DE MODI ?

On peut se demander pourquoi Modi qui résistait depuis un an a tout d’un coup cédé, ce qui a surpris la presse aux ordres, toute déboussolée.

Bien sûr, la détermination des paysans et leur lutte massive et radicale ont bien sûr été l’élément majeur qui a fait reculer ce pouvoir d’extrême droite pourtant réputé inflexible face aux pauvres, bâti sur la haine des femmes, des castes inférieures, des religions non hindoues et dont le premier ministre Modi a fait ses armes dans un parti fasciste, le RSS et dont l’idéologue du parti n’hésite pas à se référer à Hitler ou Mussolini.

Mais il y a eu des éléments pour que Modi craque ces jours-ci.

Comme un signal politique de ce qui pouvait suivre, l’État du Télangana tout entier dont le gouvernement avait été un allié du BJP de Modi, a décidé le 18 novembre, de soutenir la lutte des paysans et des manifestations géantes ont été organisées à Hyderabad la capitale. Une tendance qui pourrait être générale puisqu’après le recul de Modi, les dirigeants des États et territoires de Delhi, Odisha, Jharkhand, Chattisgarh, Punjab, Maharashtra, Kerala, Rajasthan, Tamil Nadu et probablement d’autres à venir se sont félicités et ont demandé au gouvernement central de satisfaire aux nouvelles revendications des paysans.

Par ailleurs, le 22 novembre, les paysans avaient annoncé qu’ils attendaient un million de manifestants à Lucknow, la capitale de l’Uttar Pradesh, cœur du pouvoir du BJP . Cette manifestation aurait planté le dernier clou, disaient les paysans, dans le cercueil du BJP, avant sa défaite électorale probable dans cet État en début d’année prochaine – comme assurément au Pendjab, en Uttarakhand et peut-être encore au Manipur et Goa où ont lieu également des élections l’an prochain. L’échec électoral du BJP en début d’année prochaine notamment en Uttar Pradesh était prévisible au vu de la mobilisation paysanne montante dans ces États et au vu déjà de l’énorme défaite électorale au Bengale Occidental et dans les élections partielles en Uttarakhand du fait des actions du mouvement paysan malgré les énormes moyens qu’y avait mis le parti du pouvoir..

Cela aurait signifié la fin de toute autorité du BJP dans l’ensemble du pays, même s’il était resté formellement à la tête du pays jusqu’à son terme légal en 2024.

Les 26, 28 et 29 novembre, les paysans avaient également prévu toutes les mobilisations qui ont été décrites plus haut.

Mais peut-être et surtout, les paysans avaient annoncé conjointement avec les dix principales organisations syndicales ouvrières, une grève générale de deux jours consécutifs en début d’année prochaine lors de la session parlementaire sur le budget.

Une telle mobilisation générale de deux jours ne s’est jamais vu en Inde et aurait pu ouvrir la porte dans le climat actuel à bien des surprises.

En effet, pour le 26 novembre 2020, l’an dernier, avec un seul jour de grève générale, 250 millions de grévistes avaient participé à cette grève. Or les paysans en avaient profité pour lancer leur mouvement au niveau national alors que jusque là il était limité dans deux États, Pendjab et Haryana, en annonçant une seconde journée de grève une semaine après le 26 novembre. Dans la foulée, ils avaient organisé la marche sur Delhi qui s’était transformé en siège de la capitale avec des campements hébergeant jusqu’à 300 000 paysans et soutiens, syndicalistes, féministes, écologistes, étudiants, jeunes, indigènes, Intouchables, hindous, musulmans ou sikhs, faisant de ces campements des foyers permanents de fermentation de la révolution.

Cette grève générale de deux jours aurait donc pu être le point de départ d’un mouvement encore plus général dans tout le pays, d’autant que paysans et ouvriers à la base étaient déjà en train de la préparer activement ensemble dés maintenant.

L’affaiblissement général du régime en aurait dangereusement résulté pour les possédants.

Le cœur du pouvoir du BJP et sa vitrine résident en effet en Uttar Pradesh. Cet État géant – le plus grand de l’Inde avec 210 millions d’habitants quasi autant que le Brésil -, est dirigé par l’idéologue du parti, Yogi Adityanath, moine hindou fanatique et fascisant, faisant régner “l’Hindutva” dans l’État, le pire des régimes dictatorial et religieux mêlant les oppressions et divisions aussi exacerbées que violentes, de religions, de castes et de sexes. Une défaite démonstrative infligée en ce lieu par le mouvement populaire utilisant et détournant les élections à cette fin aurait signifié non seulement la défaite du BJP, mais aussi la défaite de tout le système idéologique de domination des riches indiens depuis des siècles avec leurs divisions des classes populaires entre sexes mais aussi entre mille religions et castes. Un basculement de l’histoire.

Car en effet, le soulèvement paysan n’est pas qu’économique, ce qui est aussi une révolution en soi.

LES PAYSANS INDIENS, DES PROLÉTAIRES ET DES FEMMES A L’IDÉAL SOCIALISANT

D’une part, sous l’effet de la mondialisation, comme partout dans le monde, avec l’augmentation de la paupérisation des campagnes et de l’exode rural, le travail agricole s’est profondément féminisé depuis quelques décennies et le monde paysan a été révolutionné dans ses habitudes par cette transformation.

D’autre part, par ce biais, le soulèvement paysan est lui-même l’héritier des valeurs d’un grand mouvement social, nommé Shaheen Bagh (du nom d’un quartier pauvre et musulman de Delhi). C’était un mouvement féminin et féministe mais aussi contre toutes les oppressions de religions et de castes, qui a eu lieu entre décembre 2019 et mars 2020, occupant massivement quotidiennement les places des grandes villes indiennes Il a été le premier grand mouvement à se lever contre Modi en s’opposant à une énième loi discriminatoire contre les musulmans et le premier à oser défier son système de haines de castes, religions ou sexes qui avait pourtant eu tant de succès électoral depuis 2014 et qui avait fait s’incliner tous les partis d’opposition et les avait tous amené eux aussi à suivre, peu pou prou, une telle idéologie réactionnaire. Quand le Covid et la répression avaient stoppé ce mouvement en mars 2020, le mouvement paysan sous les l’influence des paysannes en avait repris les valeurs humanistes dés ses débuts en juin 2020 au Pendjab et en Haryana puis les a porté et amplifié jusqu’à aujourd’hui donnant significativement une place centrale aux femmes, aux tribus indigènes, aux Dalits (Intouchables), aux jeunes et à l’alliance de toutes les religions musulmans, sikhs ou hindous en affichant clairement sa volonté de lutter contre toutes les oppressions.

Enfin, le mouvement paysan par ses nombreuses et fortes organisations syndicales combatives – très différemment de la plupart des organisations syndicales ouvrières – est l’héritier de toute l’histoire du socialisme indien et du Gandhisme de la période de l’indépendance et a maintenu en Inde le programme de l’autosuffisance alimentaire contre les groupes capitalistes agro-alimentaires.

À travers cela, se sont conservées, au moins en partie e dans certaines régions, par exemple au Pendjab et en Haryana, le cœur de la révolte, des structures étatiques de protection des paysans : pour l’essentiel, un prix des produits agricoles qui n’est pas dépendant du marché mondial, mais plus élevé (peut-être un des plus élevés au monde) et fixe qui est établi par l’État au cours de négociations avec les syndicats ; des marchés (mandis) d’État qui assurent la vente de ces produits agricoles aux prix fixés et les distribuent dans tout le pays ; la garantie de cent jours de travail salariés pour les paysans dans les périodes de faible activité agricole ; enfin, une démocratie directe à la campagne par des panchayats, des assemblées communales sous le contrôle d’Assemblées Générales de la population.

Tout cela faisait du monde paysan indien le dernier marché de taille qui ne soit pas entièrement ouvert à l’avidité des capitalistes. D’où l’enjeu des luttes qui s’y passent.

Ce n’est pas qu’une défaite de Modi, mais du capitalisme mondial.

Ainsi, si les 600 millions de paysans indiens ont moins de deux hectares et sont très pauvres, si la majorité de ces tout petits paysans sont aussi des ouvriers agricoles dans de plus grandes exploitations et s’ils sont enfin nombreux à être en même temps encore des salariés dans les communes et villes, un état d’esprit socialisant s’est maintenu chez ces prolétaires de la terre, et avec eux dans leurs organisations. Ainsi la moitié des 40 membres du SKM, la coordination paysanne qui anime le soulèvement, sont des militants communistes, libertaires, socialistes révolutionnaires ou syndicalistes radicaux.

LE SYSTÈME ÉLECTORAL REPRÉSENTATIF CONTOURNE ET UTILISE PAR LE MOUVEMENT PAYSAN

Il faut comprendre aussi dans les choix de Modi – et derrière lui de la bourgeoisie indienne – que s’ils avaient laissé arriver la défaite électorale annoncée du BJP en Uttar Pradesh, le système électoral représentatif aurait été lui-même tout entier ébranlé par une utilisation, un contournement et au final une dévalorisation des élections représentatives par le pouvoir de la rue mobilisée.

Or, ce système électoral complète les outils de divisions religieuses, de castes et de sexes quand ces dernières ne suffisent pas pour soumettre le million de révoltes et rebellions qui animent très régulièrement la population de ce pays tellement éruptif.

Les centaines de partis nationaux ou régionaux de ce système électoral presque tous plus ou moins corrompus, ses élections incessantes parfois de dimensions américaines, ses médias en grand nombre, ses millions de roupies dépensées en campagnes électorales spectaculaires et ses centaines de milliers de petits bureaucrates ainsi que ses dizaines millions de partisans illusionnés permettent aux notables indiens et leurs médias de parler de la plus grande démocratie du monde, mais seulement pour mieux changer le décor du théâtre afin que la pièce soit toujours la même et que rien ne change en profondeur dans la propriété des biens du monde et l’exploitation du travail humain.

Or, comme déjà un peu au Bengale Occidental, une défaite du BJP en Uttar Pradesh, signifierait la fin de l’emprise des illusions électorales sur les opprimés, puisqu’il n’y a pas d’alternance au BJP. En effet, le Parti du Congrès, traditionnel parti gouvernemental de centre gauche et opposant d’alternance au BJP n’est pas le parti pour lequel les paysans appellent à voter. Il est tout autant discrédité. Les paysans appellent seulement à battre leurs plus grands ennemis du moment. Mais au Pendjab, c’est le Parti du Congrès. Du coup, dans cette région Sikh, ce n’est même pas un parti Sikh comme il l’est souvent qui sera élu, car trop institutionnel, ce sera peut-être l’AAP, le Parti de l’Homme Ordinaire, une sorte de Podemos qui soutient activement les paysans, qui sera élu, comme il l’a été déjà à Delhi. Bref, c’est le mouvement de la rue qui fait et défait les élus en fonction du fait qu’ils tiennent ou pas leurs promesses : en quelque sorte des élus révocables à presque tout moment, le vieux programme des socialistes révolutionnaires depuis la Commune de Paris.

C’est tout cela, la déconstruction du système de division des milieux populaires par la caste, le sexe, la religion, la remise en cause du système électoral représentatif et de ses illusion, la confiance dans l’énergie et l’intelligence populaire, que la révolution paysanne indienne envoie comme message dans le monde. Ce n’est pas le 1917 russe mais c’est une révolution en cours.

C’est cela que Modi et les riches indiens voulaient éviter en cédant un peu pour ne pas tout perdre.

Mais il n’est pas certain au vu de la décision du SKM de poursuivre la lutte, qu’ils ne perdront pas tout quand même.

ÉBRANLEMENT DU MONDE ET CHANGEMENT DE PÉRIODE

On imagine facilement les répercussions de la revendication de cette sorte de salaire minimum garanti pour les paysans, rendue crédible par le succès du mouvement, sur l’ensemble des paysans en Inde – 600 millions quand même et 800 millions de ruraux – mais aussi sur les quatre cent millions d’ouvriers précaires en Inde qui n’ont aucune protection ni garantie – et sur l’ensemble des paysans et pauvres du monde en commençant par ceux des pays de la périphérie indienne qui sont en train de se battre aujourd’hui comme au Sri Lanka ou au Pakistan mais aussi sur toutes les classes populaires en lutte aujourd’hui au Népal, Maldives, Birmanie qui regardent avec espoir ce qui se passe en Inde.

Des élections vont avoir lieu dans l’État du Manipur en Inde l’an prochain, à la frontière birmane, là où les frontières sont poreuses et là où l’armée birmane concentre actuellement ses attaques, craignant justement cette porosité et l’aide des ethnies côté indien à leurs frères du côté birman. Imaginons un instant que le BJP y soit battu et qu’y advienne un pouvoir sous l’influence des paysans révolutionnaires et des ethnies qui vivent de part et part de la frontière dans cette région. La lutte en Birmanie y serait probablement transformée.

On mesure aussi la profonde détermination des paysans au fait qu’un an après le début de leur lutte, 700 morts, d’innombrables efforts et sacrifices, le mouvement a encore l’énergie de ne pas accepter de se contenter de cette victoire qui est certes très importante politiquement mais sans grand effet socialement puisqu’elle ramène à ce qu’il y avait avant. Ce refus donne une idée de l’immense détermination des paysans et de l’effet que cela peut avoir sur tout le monde.

Les paysans ne se contentent plus de se défendre en cherchant à maintenir le statu quo, ils veulent plus et mieux, plus qu’ils n’ont jamais eu puisque même au moment de l’indépendance il n’y a jamais eu développé à l’échelle de tout le pays, ce système de prix garantis. Au cœur de leur combat, il y a les campements paysans de Delhi qui fonctionnent un peu comme des partis pour l’ensemble du mouvement. C’est là dans le croisement et l’échange de centaines de milliers de militants de tous bords, paysans, ouvriers, syndicalistes, communistes, libertaires, féministes, écologistes, jeunes, étudiants et intellectuels ou artistes, Intouchables ou tribus indigènes, que se forge l’envie et les moyens d’un monde meilleur.

C’est de cœur ardent, existant depuis un an, que partent les initiatives, les militants allant dans tous les coins du pays et insufflant en permanence courage, volonté et compréhension, la volonté offensive et non plus seulement défensive avec les syndicats, les associations, les combats locaux ou régionaux, professionnels ou parcellaires.

Tout cela, révélé par la décisions du SKM de continuer et amplifier la lutte, dessine l’émergence d’une organisation révolutionnaire originale et un changement de période où les classes populaires passent à l’offensive pour un monde meilleur et les classes bourgeoises se mettent en défensive, une tendance qu’on sent germer un peu partout dans le monde à la lumière de l’avant-garde du mouvement en Inde.

Jacques Chastaing 21.11.2021

Le poids du secteur agricole de l’Inde est considérable, assurant la subsistance de près de 70 % de 1,3 milliard d’habitants, et contribuant à 15 % environ de son PIB, soit 2 700 milliards de dollars. La « révolution verte » des années 70 a permis à l’Inde, pourtant régulièrement confrontée à des pénuries alimentaires, de devenir un pays excédentaire, aujourd’hui important exportateur.

Selon une enquête du ministère de l’agriculture sur la période 2015-2016, plus de 85 % des agriculteurs possédaient moins de deux hectares de terres, moins d’un agriculteur sur cent était propriétaire de plus de 10 hectares. L’Inde octroie en moyenne 32 milliards de dollars de subventions aux agriculteurs chaque année, selon le ministère des Finances.

Q : Quelle est la réalité des agriculteurs ?

Sécheresse, inondations, l’agriculture indienne subit des conditions météorologiques de plus en plus erratiques en raison du changement climatique. Selon un rapport du gouvernement du Pendjab (nord) publié en 2017, cet État aura épuisé toutes ses ressources en eau souterraine d’ici 2039. On compte un important endettement et taux de suicide chez les agriculteurs indiens (300 000 se sont suicidés depuis les années 1990). Selon de récentes données officielles, quelque 10 300 agriculteurs ont mis fin à leurs jours en 2019. Agriculteurs et travailleurs agricoles abandonnent en masse le secteur : 2 000 jetaient chaque jour l’éponge, selon le dernier recensement datant de 2011.

Q : Quels sont enjeux des réformes agricoles de Modi ?

Les gouvernements qui se sont succédé ont toujours fait de grandes promesses aux agriculteurs – qui constituent une cible électorale cruciale – et Modi n’a pas fait exception, en promettant de doubler les revenus des paysans indiens d’ici 2022. En septembre, le parlement a ainsi voté des lois qui autorisent les agriculteurs à vendre leurs productions aux acheteurs de leur choix, plutôt que de se tourner exclusivement vers les marchés contrôlés par l’État. Ces marchés avaient été créés dans les années 50 pour protéger les agriculteurs contre les situations d’abus et leur assuraient un prix de soutien minimal (PSM) pour certaines denrées.

Nombre de petits exploitants sont attachés au PSM, qui constitue pour eux un filet de sécurité essentiel, et se sentent désormais menacés par la libéralisation des marchés agricoles qu’engendrent les réformes. Ils redoutent la concurrence des grandes fermes qui risque de les obliger, pour écouler leurs marchandises, à les brader à vils prix aux grandes entreprises.

UN PARLEMENT PAYSAN EN INDE

l’inde en mouvement

Nous passerons cette heure avec Jacques Chastaing et en sa compagnie, nous parlerons de la suite du mouvement social en Inde.

Ce qui se passe en Inde avec l’instauration d’un Parlement paysan est historique. Le 23 juillet 2021 se tenait la seconde session du parlement paysan sous les regards du pays à 150 mètres seulement du Parlement bourgeois parallèlement en session lui-même.


C’est historique pour le pays où il n’y a jamais eu une telle représentation politique de ceux d’en bas, historique aussi pour le monde au vu de l’importance du pays mais aussi comme indication de la dynamique qui anime les mouvements sociaux qui traversent la planète depuis 2018-2019.

Ce Parlement paysan n’est pas suspendu en l’air.
Il repose sur un soulèvement massif du monde paysan et rural (800 millions de personnes en Inde) qui dure depuis 8 mois et qui lui-même est la continuation et l’héritier des valeurs d’un soulèvement populaire, appelé Shaheen Bagh, lui-aussi important mais surtout urbain, de décembre 2019 à mars 2020, qui a été conduit par les femmes contre toutes les discriminations qui divisent la population, religieuses, de castes, de sexe…

Le Parlement paysan n’est pas du folklore symbolique mais la partie émergée d’un immense mouvement de reconquête de la démocratie par en bas, par les plus pauvres.

Contrairement à l’habitude, ce soulèvement paysan, car il s’agit plus d’un soulèvement que d’un mouvement, est animé et dirigé par les plus pauvres d’entre eux.

Ce sont les tous petits paysans qui n’ont guère plus d’un ou deux hectares et qui se louent en même temps comme ouvriers agricoles tout en travaillant comme simples ouvriers à la ville lorsque l’activité agricole est au plus bas, qui sont à la tête de ce soulèvement. Ce sont aussi les ouvriers agricoles qui sont maintenant plus nombreux que les petits paysans propriétaires et avec eux, parmi eux, ce sont beaucoup de femmes paysannes, pauvres parmi les pauvres ou des Intouchables et des Adivasis (indigènes) qui sont les plus exploités et opprimés des paysans et ouvriers agricoles, qui donnent tout son dynamisme et sa détermination au soulèvement.

A leurs côté et avec eux dans le combat, il y a des millions d’ASHA et d’Anganwadi, des femmes qui jouent un rôle vital à la campagne dans le domaine de la santé sociale et santé tout court, tout comme des millions d’ouvriers de tous métiers dans les villages et les bourgs qui participent au soulèvement.

Ainsi, comme souvent dans bien des pays en soulèvement depuis 2018-2019, mais de manière encore plus évidente en Inde, c’est le prolétariat qui anime et dirige ce mouvement et lui donne ses particularités les plus radicales.

Et comme en Russie en 1905 et 1917 avec les soviets, ce prolétariat a réinventé et réinvente en permanence une démocratie des pauvres, des exclus, des exploités et opprimés qui s’étend peu à peu à toutes les classes populaires contre la démocratie représentative bourgeoise complètement dénaturée par la dictature des riches, du capital toujours plus prégnante. Les initiatives démocratiques du soulèvement paysan défient toute classification traditionnelle.

Le soulèvement paysan occupe des kilomètres et des kilomètres d’autoroute à Delhi ou ailleurs dans le pays pour établir des Communes libres abritant des militants de tous bords, des artistes et intellectuels, des syndicalistes, des féministes et écologistes et tous les débats, les plus riches et les plus libres, à l’envers de la société de Modi qui verrouille toute expression libre.

Le soulèvement paysan a transformé les occupations de péages autoroutiers en sites de protestations permanentes qui sont devenus des lieux d’Assemblées Générales journalières regroupant des centaines ou des milliers de paysans et leurs soutiens, prenant mille et une décisions quotidiennes, en sachant que depuis novembre 2020, il y a une centaine d’occupations continues de ces péages/AG rien que dans l’État du Pendjab.

Le soulèvement organise la démocratie directe des Mahapanchayats massifs de 10 000 à 200 000 participants, des réunions Assemblées Générales de démocratie directe associant paysans, ouvriers, femmes, jeunes, étudiants, coalition de syndicats agricoles avec des khap panchayats , structures municipales ancestrales, qui forment des structures de pouvoir local, capables d’imposer le bannissement social des dirigeants BJP et alliés, c’est-à-dire de les empêcher d’avoir une quelconque activité publique, capable de les assigner à résidence, d’empêcher leurs déplacements, leurs réunions, bref, capables de les réduire au silence.

Le soulèvement paysan a construit une démocratie économique par la solidarité, en généralisant l’idée du Langar (repas collectif gratuit pour tous chez les Sikhs) à tous les objets du quotidien et notamment sanitaires dans l’épidémie, pour mettre en place des centres de santé gratuits ouverts à tous, nourrir gratuitement les habitants de bidonvilles ou nourrir et loger les travailleurs “migrants” qui ont perdu travail et revenu avec les confinements, éduquer leurs enfants et ceux des autres, ceux des bidonvilles par exemple…

Le soulèvement paysan a imposé la lutte commune de tous en l’imposant par la démocratie d’en bas en réussissant à nouer des alliances avec les confédérations syndicales pour une lutte convergente plus radicale sous la pression de leurs bases, en construisant un front des ouvriers et des paysans auquel tous ceux d’en bas aspiraient pour être plus efficaces.

Le soulèvement paysan participe à toutes les luttes, celles des femmes contre leur oppression, des indigènes pour protéger leur culture et leurs forêts, des étudiants pour leurs droits aux études, des usagers contre la hausse des prix et les anime de sa détermination et d’une volonté de convergence…

Partout il a innové dans les pratiques démocratiques, cassant systématiquement toutes les barrières entre religions, castes, sexes et corporatismes… qui divisent et empêchent l’échange, le débat, l’union, une démocratie réelle des exploités et opprimés.

Le soulèvement paysan imprègne peu à peu tout le pays et les conditions diverses de ses pratiques, devenant le pivot social et sociétal de toutes les luttes.

Ainsi, les ouvriers de la Défense qui étaient appelé à la lutte le 23 juillet contre la suppression de leur droit de grève ont manifesté dans plusieurs États mais ont aussi envoyé une délégation au Parlement paysan. Début août ce sont les ouvriers de la sidérurgie en lutte contre leur privatisation qui monteront en nombre à Delhi et passeront deux jours auprès des paysans.

Mais plus que cela encore, le soulèvement paysan a permis la libération de milliers et de milliers d’initiatives multiples et diverses, petites ou grandes, qui traversent maintenant la société indienne tous les jours et la changent à tous les niveaux sous l’influence de cette poussée démocratique d’en bas.

La semaine dernière par exemple, sans les paysans, à Raipur, la capitale du Chhattisgarh il y a eu une sorte d’audition juridique publique officielle sur la condition des travailleurs migrants. Mais chose inimaginable avant le soulèvement paysan, ça n’a pas été une audition où les victimes présentent leur cas à un panel d’experts et de juges, mais une audition où le jury décisionnel était composé de 17 travailleurs migrants eux-mêmes, renversant ainsi totalement le regard et les décisions prises.

Autre exemple du changement d’ambiance, de jeunes chômeurs de l’Uttar Pradesh ont monté en farce le gouvernement terriblement dictatorial de Yogi, ce que personne n’aurait osé faire il y a quelques mois tellement il faisait trembler tout le monde, un incident qui a servi à mettre en évidence le chômage généralisé parmi les jeunes instruits dans un État où la parole était pourtant totalement verrouillée par le BJP.

La semaine dernière encore, contre la hausse des prix et notamment de l’essence, parmi de multiples manifestations traditionnelles des partis et syndicats divisées ville par ville, État par État, les paysans ont pris une initiative d’une journée nationale commune qui a été très suivie et, depuis, des citoyens ont lancé d’eux-mêmes une campagne “Merci Modi” sur les réseaux sociaux se prenant en photo avec le portrait du Premier ministre Narendra Modi et “Merci Modi” devant les pompes à essence, pour dénoncer la hausse des prix de l’essence et du diesel. Alors que le gouvernement punit sévèrement toutes ces actions sur internet, cela n’a pas empêché l’initiative d’avoir un succès viral.

La société indienne se transforme par en bas sous l’influence paysanne au fur et à mesure qu’elle se crispe en haut sous l’influence des capitalistes.
C’est tout cela, toutes les initiatives prises par en bas, par ceux d’en bas dans la foulée du soulèvement paysan et sa structuration en démocratie directe qui donnent du poids et de l’autorité au Parlement paysan, forment son pouvoir naissant, qui s’oppose de plus en plus centralement à celui de Modi et des capitalistes.

Aujourd’hui, des députés de différents grands partis d’opposition mais ensemble, portant les pancartes des revendications des paysans, ont perturbé le fonctionnement du Parlement bourgeois, puis sont allés manifester à l’extérieur, rendant hommage et d’une certaine manière allégeance au soulèvement paysan et son Parlement.

Le soulèvement paysan était devenu le pivot de toutes les luttes sociales et sociétales du pays. Il est en train de devenir un pivot politique, apparaissant comme un deuxième pouvoir, dessinant la possibilité d’une société plus fraternelle, d’un monde meilleur, en Inde et pour toute la planète.

Il y a encore beaucoup de chemin à faire, beaucoup d’obstacles à surmonter, mais le chemin est tracé pour ce qui anime en profondeur toutes les colères populaires actuelles dans le monde.

Article du 23 juillet 2021, de Jacques Chastaing

Nous ne pouvons pas nous empêcher de critiquer le pauvre article du monde diplomatique de juin 2021 sur l’Inde, intitulé Covid 19, les causes du désastre, rédigé par un soi-disant spécialiste de l’Inde, Christophe Jaffrelot. Qui soigneusement reste rivé au processus électoral des différentes forces politicardes en lisse sans jamais évoquer une seule fois le soulèvement incroyable qui révolutionne l’Inde actuellement. Quelle ridicule pour un journal qui prétend informer d’une manière critique et indépendante sur les bouleversements en cours sur la planète.

INDE ; L’INSURRECTION SE POURSUIT

Femmes assemblées le 8 mars ; AG des ouvriers des aciéries Vizag.

Dans l’émission de ce jour, nous poursuivons en compagnie de Jacques Chastaing, de parler de la suite du soulèvement en Inde.

LE SOULÈVEMENT PAYSAN EN INDE EST PLUS FORT QUE JAMAIS

IL ÉBRANLE TOUTE LES NORMES ET LES VALEURS DE LA SOCIÉTÉ INDIENNE

Les lois que veut faire passer le gouvernement de Narendra Modi signent la mort de la petite paysannerie indienne.

Aussi les petits paysans qui sont très prolétarisés et les ouvriers agricoles, mènent un combat à la vie à la mort qui non seulement ne faiblit pas depuis le mois de juin 2020 quand ce mouvement a commencé, mais s’approfondit et s’élargit toujours un peu plus.

De fait, chacune des dates du calendrier social indien et chacune des attaques du gouvernement contre le soulèvement indien, devient l’occasion pour ce dernier d’une riposte encore plus déterminée qui en fait à chaque fois une nouvelle étape vers un mouvement qui n’est plus seulement paysan mais qui devient celui de toutes les classes populaires pour renverser Modi et le système qu’il défend.

Tout cela est lent, puisque le mouvement paysan a commencé en juin 2020, mais on comprend bien qu’il faut du temps pour ébranler un continent de 600 millions de paysans et plus d’un milliard d’habitants, avec 28 États, 8 territoires, aux 3 000 castes, aux très nombreuses formes de pratiques religieuses, aux milliers de tribus, aux traditions et expériences probablement encore plus variées que celles du continent européen.

Par ailleurs, si la détermination du soulèvement ne décline pas et exerce ainsi une énorme pression sur les dirigeants des organisations paysannes, celles-ci n’étaient pas conçues pour avoir une politique de renversement de Modi et du système capitaliste même si certains de ses membres ont personnellement cet objectif. Ainsi le mouvement avance par a-coups, par la logique sociale de la prolétarisation paysanne et de sa détermination en réponse aux attaques gouvernementales qui le poussent, à chaque offensive de Modi, à s’engager toujours plus loin sur le chemin de cette logique.

Aujourd’hui, nous en sommes à un moment où le soulèvement paysan qui bénéficie d’un très large soutien des classes populaires essaie de se transformer peu à peu en soulèvement de l’ensemble de ces mêmes classes populaires.

Cette évolution qui suppose une énorme transformation des consciences, au moins des plus avancées, a commencé le 26 novembre 2020.

LES ÉTAPES DE LA TRANSFORMATION RÉCENTE DES CONSCIENCES

Le 26 novembre 2020 les directions syndicales ouvrières appuyés par la première coordination paysanne, l’AIKSCC, née elle-même d’une première révolte en 2017, ont organisé une grève nationale d’un jour qui avait fait descendre 250 millions de travailleurs dans la rue.

En général, les directions syndicales ouvrières s’arrêtent là, un journée d’action puis rien avant l’année suivante.

Mais là, le soulèvement paysan a saisi l’occasion pour appeler aussitôt à renouveler cette grève générale la semaine d’après, le 8 décembre, voire continuer plus loin encore s’il y en avait la possibilité.

Lorsque cette seconde journée de lutte nationale du 8 décembre a été passée, le gouvernement a espéré une pause, mais non, ça a été le contraire, le soulèvement paysan a profité de cet élan pour appeler aussitôt à marcher sur New Delhi la capitale montrant ainsi sa détermination à lui-même et à toute la population. Il a cristallisé ce moment d’alliance et de débordement des directions syndicales ouvrières, dans l’apparition d’une nouvelle coordination paysanne, le SKM (Front Uni Paysan) qui anime encore aujourd’hui le soulèvement, en synchronisation avec l’AIKSCC.

Lorsque le gouvernement a alors bloqué cette marche aux portes de Delhi par une armée de policiers, ni une ni deux, le soulèvement paysan n’a pas reculé, mais a installé des campements de plusieurs centaines de milliers de paysans aux portes autoroutières de New Delhi qui sont devenus le foyer de rencontre de tous les secteurs et professions en opposition à Modi et au système, le creuset organisateur de la convergence de toutes les luttes, ouvrant le soulèvement paysan, par ces lieux fréquentés de toutes les oppositions au régime, à toutes les questions sociétales, religions, castes, femmes, tribus, Intouchables, jeunes, écologie….

Puis, quand le gouvernement a tenté de profiter d’une légère pause, après l’aboutissement de la marche des paysans à 1 million à New Delhi le 26 janvier, pour tenter de détruire les campements paysans de la capitale, les paysans ont non seulement appelé à monter en masse à Delhi ce qui s’est fait, mais ils ont appelé à construire les bases d’un pouvoir paysan durable au travers de la démocratie directe des Mahapanchayats dès le 29 janvier 2021.

Du coup, aujourd’hui, depuis ce premier Mahapanchayat, le soulèvement en a tenu 100 qui sont devenus les organes d’un pouvoir paysan, structurant 3 millions de participants, assurant une autorité organisée au soulèvement paysan sur une zone d’influence d’environ 100 millions de personnes qui se soustraient ainsi en partie à l’autorité du pouvoir central et sont en capacité de bannir socialement de ces zones les représentants du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti de Modi et ses alliés, fussent-ils les dirigeants des États inclus de ces zones.

Maintenant, en cette seconde quinzaine d’avril, craignant intensément l’appel des paysans à toutes les classes populaires à une marche nationale début mai sur le Parlement pour l’assiéger, le pouvoir essaie de profiter de la saison des récoltes qui a commencé en avril et qui oblige bien des paysans à retourner au travail pour mener une campagne de masse avec l’aide de ses médias pour faire croire que le soulèvement paysan est en train de s’arrêter et tenter de l’attaquer à cette occasion.

Il a récolté en riposte contre cela, une organisation quasi soviétique du travail à la campagne.

Pour prendre l’exemple du Pendjab, pour faire face au fait qu’une partie des tracteurs était utilisée dans les mobilisations, tout le matériel, les moissonneuses-batteuses et les tracteurs restants sont mis en commun.

Plus que cela, pour ne pas abandonner la mobilisation et en même temps pouvoir faire les récoltes avec donc un manque de bras, des réunions ont eu lieu sur la manière dont toute cela sera organisé et coordonné dans chaque quartier de village, chaque village et chaque département ; tout le monde s’est prononcé en faveur d’une mise en commun de tout. Un système démocratique à trois niveaux (quartier, village, département) a été créé pour couvrir toutes les familles afin que personne ne subisse de perte et puisse mener de front, travail et politique.

Ainsi les paysans partent pour les frontières de Delhi par lots en fonction du moment de la récolte. Un lot part d’un quartier, un lot d’un autre quartier arrive. Un autre lot achemine les récoltes au Mandi (marché d’État).

Et ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que ces différents lots, sont composés bien sûr de paysans, mais aussi d’ouvriers agricoles mais encore d’ouvriers, d’employés, d’étudiants, d’enseignants, tous les soutiens qui le veulent. Ainsi, les paysans et leurs soutiens, vont et viennent des villages à New Delhi et réciproquement sur la base d’une organisation démocratique et solidaire remarquable, améliorant la solidarité humaine et accélérant ainsi, de fait, le processus de récolte.

De cette organisation du travail est sorti une coordination paysans-ouvriers-étudiants-enseignants qui se substitue peu à peu à la coordination strictement paysanne. Son premier geste a été d’envoyer aux campements de New Delhi, des ouvriers, enseignants et étudiants pour remplacer les paysans obligés de quitter les campements afin de faire les récoltes. En sachant qu’en plus des campements de New Delhi, il y a une centaine de lieux occupés en permanence seulement dans le Pendjab, on mesure mieux combien le brassage de paysans, ouvriers, étudiants, employés, enseignants qui était déjà une réalité aux campements de Delhi, passe un cap et devient une fusion dans un combat mené en commun.

Or le phénomène ne touche pas que le Pendjab.

Ainsi par exemple, un meeting commun massif ouvriers-paysans a eu lieu le 18 avril, à Visakhapatnam dans l’État de l’Andhra Pradesh, pour organiser une lutte commune ouvriers-paysans contre la privatisation de l’aciérie publique Vizag de cette ville dont 400 000 personnes dépendent sur trois États. Ce qui est marquant pour témoigner de la popularité du soulèvement paysan, c’est que c’est le collectif ouvrier qui anime cette lutte contre la privatisation depuis déjà plusieurs mois qui a fait appel aux paysans, non pas pour les aider, mais pour diriger ensemble le mouvement à l’échelle de l’État entier, voire plus.

Ce qui est frappant aussi pour l’évolution actuelle du combat, c’est que le dirigeant paysan le plus connu, Rakesh Tikait, a appelé dans ce meeting à créer un front général paysans, ouvriers, cheminots, employés de banques et d’assurances – qui sont aussi en lutte aujourd’hui contre leur privatisation, mais chacun dans leur coin – afin de redonner au peuple la propriété de son travail, un programme très révolutionnaire par les moyens et très socialisant par les objectifs.

En même temps que le gouvernement essaie en avril de profiter du temps des récoltes, il cherche en même temps à profiter d’une montée des contaminations au Covid ces derniers jours pour mener une immense campagne de peur accusant les rassemblements et campements paysans d’être responsables des contaminations. Il veut donc interdire tout rassemblement (sauf ses propres meetings électoraux et les pèlerinages hindous, parce que le gouvernement ne fait strictement rien contre le Covid), en menaçant de “nettoyer” de force les campements de Delhi. Et, cerise sur le gâteau, dans le même moment, il utilise une tempête qui a partiellement détruit les campements paysans de Delhi pour finir de les détruire en tentant avec ses voyous fascistes d’y mettre le feu.

Or, face à cela, le soulèvement paysan trouve l’énergie de reconstruire les campements mais plus encore, refuse de céder au chantage sanitaire du pouvoir et maintien ses mobilisations contre le gouvernement tout en cherchant des réponses qui étendent l’influence du soulèvement à la question de la santé publique.

Ainsi, bien sûr, il a dénoncé l’inaction totale du gouvernement depuis un an contre le Covid, en matière de lits d’hôpitaux, de respirateurs, d’oxygène, de formations, de soignants, etc… Politiquement, le soulèvement paysan a répondu que si le gouvernement avait réellement le souci de la santé des indiens, il n’aurait qu’à céder aux revendications des paysans, ce qui mettrait immédiatement fin aux campements et mobilisations..

Mais le soulèvement est allé plus loin, défiant très concrètement l’autorité du pouvoir et construisant le sien. Il a démonstrativement ouvert des cliniques de campagne dans ses campements de Delhi aux soins gratuits non seulement pour ses membres mais aussi pour tous les habitants qui le veulent en demandant au gouvernement, s’il est sincère dans sa lutte contre le Covid, de lui fournir des vaccins qu’il pourrait ainsi utiliser rapidement et largement.

Ainsi, au fur et à mesure que la confiance dans le gouvernement s’amenuise, le soulèvement montre le visage d’un autre gouvernement possible, paysan et ouvrier.

Pour le moment, même si le gouvernement voudrait utiliser le Covid et le temps des récoltes, il est relativement coincé dans sa volonté de “nettoyer” les campements paysans, non seulement parce que les paysans et leurs soutiens proposent de soigner, mais aussi parce qu’il y a aujourd’hui des élections qui ont cours jusqu’à fin avril pour renouveler parlement et gouvernements dans 5 États.

Modi ne peut se permettre de trop grandes violences contre les paysans au risque de perdre des électeurs car il a mis en effet dans ces élections toutes ses forces en espérant enrayer ses reculs voire même gagner peut-être des États, en particulier le Bengale occidental qui aurait une signification symbolique importante.

Il interdit donc les meetings des partis qui lui sont opposés au prétexte du Covid, mais lui-même continue les siens sans aucune protection sanitaire.

Mais il augmente aussi les salaires des ouvriers agricoles du thé (Darjeeling) qui sont une part importante de l’électorat, la veille des élections, offrant par ailleurs cadeaux, argent et même logements à ceux qui voteraient pour lui. Pire, il promet que les musulmans indiens deviendraient avec lui des étrangers expulsables, sous-entendant ainsi qu’il y aurait des maisons et des boutiques à prendre, libérant toutes les haines et les violences. Il commence ainsi dans chacune des villes où il organise un meeting par obliger par la force de ses bandes fascistes, les musulmans à fermer boutiques et échoppes dans la ville du meeting, cherchant à transformer ce scrutin en des violences de pogroms religieux.

Par contre, une fois, ces élections terminées dans les derniers jours d’avril, les paysans craignent les pires des violences du pouvoir contre eux.

Cependant, les derniers jours d’avril sont aussi les derniers jours des récoltes et les paysans pourront reprendre leur mobilisation à 100%.

Déjà, la principale organisation paysanne du Pendjab appelle tous ceux qui ont fini leurs récoltes à monter sur Delhi le 21 avril, tandis que le SKM appelle l’ensemble des paysans du pays à le faire le 24 avril et invite à une convention nationale de l’ensemble des organisations paysannes le 10 mai à Delhi afin de discuter de la marche sur le Parlement et de la stratégie du mouvement dans la période qui s’ouvre.

Les jours qui viennent vont donc être tendus

S’il est peu probable malgré des attaques violentes très possibles du pouvoir que le mouvement paysan soit stoppé même s’il prend des coups.

Par contre, si le gouvernement qui joue son va-tout dans les jours qui viennent, prend une claque électorale ou même sans perdre, s’il ne gagne pas de manière probante et démonstrative dans les élections et si en même temps il n’arrive pas à se faire obéir des paysans en cette période de Covid, il est bien envisageable qu’on entre dans une nouvelle période qui soit celle de la marche inéluctable vers la chute de Modi.

COMMENT LES PAYSANS ONT DÉJÀ TRANSFORMÉ LA SOCIÉTÉ INDIENNE

Chaque attaque du gouvernement s’est donc traduite par un élargissement du champ d’action du soulèvement paysan et de son influence sur la société.

Or, pour tenter de diviser le soulèvement et le discréditer aux yeux de l’opinion, le gouvernement a cherché à s’appuyer sur tous les préjugés sociaux et les développer en disant que le soulèvement est celui des ignorants, des incultes, des arriérés, des barbares… bref des Intouchables, des tribus indigènes, des femmes, des sikhs, des musulmans, des jeunes pauvres…

En riposte, le soulèvement paysan a organisé de manière démonstrative des mahapanchayats ayant une portée politique symbolique importante pour l’élargissement de son combat, avec des ouvriers agricoles, des femmes, des Intouchables, des tribus indigènes, des jeunes et des musulmans. Il a fait plus que de les organiser ensemble, il a fournit l’infrastructure pour que les plus opprimées puissent avoir leurs propres Mahapanchayats, leur propre organisation autonome.

Ainsi le soulèvement paysan a déjà transformé l’Inde en faisant tomber dans le mouvement lui-même et en les ébranlant ailleurs, les barrières entre castes, religions, sexes, et autres stéréotypes du même style. Les normes et les valeurs sociales sont en train d’être ré-écrites.

Et c’est pour ça qu’il attire de plus en plus largement : chaque maison, chaque ferme du paysage indien a un drapeau paysan (en tous cas dans le Nord), montrant là toute sa puissance et toute l’ambition des aspirations populaires qu’il représente, car c’est toute cette société d’oppression et d’exploitation qu’il ébranle.

Les jeunes sont particulièrement attirés qui étouffent dans cette société cloisonnée. Le soulèvement paysan est à la mode, dans les vêtements, les T-shirts, les mouvements de jeunes, la musique, les badges… Paysan, c’est cool.

C’est évidemment un danger mortel pour le capitalisme et sa capacité à exploiter les prolétaires de la ville et la campagne, des femmes et des hommes… en les divisant.

Les femmes paysannes mais aussi les autres femmes, qu’elle soient hindoues, sikhs ou musulmanes, sont à la pointe du combat, alors que jusque là les traditions patriarcales dominaient plutôt le monde rural et la société indienne en général.

Dans ce pays aux nombreuses règles millénaires et moyenâgeuses les plus coercitives, toutes les normes et les valeurs sociales sont en train d’être réécrites dont les campements paysans sont les foyers incubateurs puisqu’y vivent et coopèrent en fraternité toutes les castes, toutes les religions, toutes les croyances ou les idées, celles des hindous, sikhs, musulmans, bouddhistes ou chrétiens, mais aussi celles des multiples écoles du marxisme ou de l’anarchie. On y trouve des ouvriers et des paysans, des universitaires et des personnes qui ne sont jamais allés à l’école, des femmes et des hommes, des féministes et des chefs de clans patriarcaux, des guerriers Nyangs et des pacifistes, des tribus des forêts et des jeunes urbains, des écologistes et des syndicalistes de l’industrie la plus polluante, des personnes de 90 ans et d’autres de 14 ans…

Le soulèvement paysan est la vitrine vivante d’un autre monde possible qui existe déjà dans le cœur de chaque indien mais de manière étouffée et l’envers visible du monde de haines et de divisions que veut encore aggraver le pouvoir.

Pour en faire la démonstration chaque jour, au delà de ses luttes, le soulèvement s’empare de chaque journée importante du calendrier indien pour en faire celle de l’idéal du soulèvement.

Il l’avait déjà fait en choisissant le 26 janvier 2021 comme journée de son entrée dans Delhi. Il a transformé la fête nationale de ce jour-là qui est dédiée traditionnellement au soulèvement de l’indépendance, mais qui est récupérée par les riches comme notre 14 juillet. Il lui a redonné le sens subversif d’origine de ceux qui se révoltent contre l’injustice et l’inégalité par un défilé paysan dans Delhi bien plus applaudi par les habitants que le défilé national du gouvernement.

Le soulèvement s’empare ainsi de toutes les grandes dates du calendrier national pour en faire celles du peuple modelant peu à peu les valeurs abstraites du pays pour en faire les valeurs réelles des révoltes, du courage et de la dignité populaire.

Après les fêtes traditionnelles de Diwali, Lohri et Holi et bien d’autres dates d’hommages nationaux, le soulèvement paysan a décidé pour ne donner que l’exemple de ces derniers jours, de fêter le 13 avril, le Baisakhi, une fête traditionnelle pour l’ouverture de la période des récoltes qui a lieu dans de nombreux États et sous le nom de Baisakhi au Pendjab.

Il a donc organisé des grandes fêtes populaires dans les campements paysans des portes de Delhi avec spectacles sportifs, de danse, de musique, feux d’artifice auxquels participent les paysans des campements mais aussi tous ceux qui de Delhi ou ses banlieues veulent s’y associer…

Le soulèvement paysan s’empare des événements de la société indienne pour leur donner sa propre tonalité subversive et populaire, pour les faire siens en y associant tous ceux qui le veulent, pour faire de tout le calendrier indien, le calendrier du soulèvement et du peuple. En rendant son histoire au peuple, il se saisit de son histoire pour refaire vivre son désir de changer le monde. IL montre de plus en plus qu’il y a deux pouvoirs, deux sociétés qui s’affichent à toute occasion et chaque événement, l’une contre l’autre, la société et le pouvoir du gouvernement des capitalistes et des riches d’un côté et la société et le pouvoir des paysans et des pauvres de l’autre.

En même temps, en plus de l’horizon qu’il dessine, il associe la lutte qui y mène. Dans les zones que le soulèvement paysan influence, là où les représentants du BJP et ses alliés ont voulu aussi fêter ces événements, ils ont été chahutés voire empêchés de les célébrer par les paysans comme l’ont décidé les Mahapanchayats en bannissant socialement le BJP et ses alliés, en leur interdisant de participer à toute cérémonie, toute inauguration, tout meeting, en leur interdisant parfois tout simplement de rentrer ou sortir de chez eux.

Le 13 avril, également, le soulèvement paysan commémore le massacre de Jallianwala bagh où des centaines d’indiens ont été tués par les britanniques le 13 avril 1019. De cette manière, en commémorant de très nombreux héros du mouvement social ou des faits de son histoire, le soulèvement paysan reconstruit aussi une autre histoire de l’Inde que celle de l’histoire officielle des riches et des puissants, une histoire des pauvres, des invisibles et de leurs combats mais aussi de leurs valeurs et leur dignité, il rend leur dignité aux opprimés et expoloités.

Le 14 avril, il a rendu hommage au plus célèbre des Intouchables, Ambedkar, l’homme qui a écrit la constitution de l’Inde indépendante. Le soulèvement a appelé ce jour-là tous les intouchables, les tribus et tous les exclus, des basses castes, des femmes, les musulmans, etc… à s’emparer de cette journée, à ne pas la laisser dans les mains de ceux, qui la plupart du temps, étaient les alliés ou les valets des britanniques. Il l’a fait toujours dans le même esprit afin que cette journée doive être celle du peuple combattant et non celle de ceux qui au pouvoir écrasent tous les jours les opprimés et ne les célèbrent qu’une fois par an. Les Intouchables et bien d’autres opprimés ont donc ce jour-là organisé de grands rassemblements partout tout en gênant ou empêchant également les rassemblements du même type organisés par le BJP et ses alliés.

Le 19 avril, il a organisé un hommage aux habitants des banlieues pauvres et riveraines des campements paysans dans le pays, qui par leur solidarité active, leur apport de nourriture, d’eau, de couvertures, vêtements, leurs hébergements, leurs toilettes et douches, le prêt de leurs téléphones, leur transport entre les camps et la ville qui sont interdits par la police aux paysans… ont rendu possible l’existence de ces campements.

Le soulèvement paysan a aussi changé la société en amenant déjà Modi à suspendre les lois anti-ouvrières liquidant l’essentiel des acquis ouvriers que le gouvernement voulait également imposer. Modi espérait ainsi acheter les directions syndicales ouvrières, ce qu’il a en partie réussi, puisque pour la grève générale commune paysans-ouvriers prévue le 26 mars 2021, les directions syndicales ouvrières se sont désistées au dernier moment pour ne s’engager qu’à un soutien symbolique. Mais peu importe, le blocage général du 26 mars a été un grand succès montrant l’influence nationale des paysans. Et puis, le processus recommence, le soulèvement paysan a à nouveau imposé aux directions syndicales ouvrières l’organisation commune du 1er mai, et il espère bien dans la foulée entraîner la base ouvrière et populaire à marcher avec lui sur le Parlement dans les jours qui suivent.

Alors bien sûr, bien des combats sont encore à mener.

Le gouvernement a tenté de faire assassiner ces derniers jours, le leader le plus populaire du soulèvement paysan, Rakesh Tikait. Il a récolté du coup un blocage général de Delhi pendant un jour.

Et ce n’est pas fini. Les paysans craignent que Modi ne cherche à faire assassiner dans les jours qui viennent les principaux dirigeants du soulèvement et donc ils s’organisent pour cela, argumentant que si la police est incapable d’assurer leur protection, il va bien falloir qu’ils s’en occupent eux-mêmes, menaçant ou annonçant ainsi la naissance d’une milice paysanne.

Le gouvernement pour le moment du seul État de l’Haryana (dirigé par le BJP) le plus enragé contre les paysans, a annoncé qu’il interdisait au commun du peuple de parler à des paysans en lutte sous peine de sanction, et a sorti une loi lui permettant de saisir les biens, maison ou champs, des paysans pris à participer à une manifestation illégale. Cela amènera-t-il les paysans à annoncer leur droit à saisir les biens des capitalistes qui font violence contre le mouvement ? On verra, mais toute l’évolution pousse à cette spirale vers la révolution.

Et c’est ce virus de la révolution, ce variant indien, que craignent surtout les possédants jusqu’en France qui font fermer à leurs journaux toute information provenant d’Inde à l’exception de celles de la campagne de peur que mène la presse de Modi sur le Covid qui est en fait une campagne contre les paysans.

Jacques Chastaing. 19.04.2021