Fabienne Lauret une féministe révolutionnaire

Dans l’émission de ce jour, nous vous proposons l’écoute de l’entretien réalisé avec Fabienne Lauret en novembre dernier.

Entretien. Après la publication en 2018 du livre « L’Envers de Flins », Fabienne Lauret, ouvrière établie à Renault Flins à partir de 1972, s’est lancée dans une prolongation sous forme de BD.

Avec le scénario tiré du livre, les dessins, cette BD est une œuvre collective. Comment vous en est venue l’idée, comment l’avez-vous construite ?

Étonnamment, c’est venu très vite à la première présentation publique du livre le 10 février 2018 à la librairie La Nouvelle Réserve (Limay 78) : Philippe Guillaume, que je ne connaissais pas, emballé par le livre, est venu me proposer, en tant que scénariste de BD historiques et engagées de l’adapter ensemble en BD. Surprise et n’y connaissant pas grand-chose, mais curieuse de nature, j’ai vite accepté cette aventure qui s’est révélée passionnante, prenante et très enrichissante ! Un autre libraire indépendant nous a mis en contact avec la jeune Elena Vieillard, illustratrice, dont des membres de la famille avaient travaillé et milité chez Renault.Fabienne Lauret

Grâce aux connaissances de Philippe, nous avons trouvé un éditeur de BD, « la Boîte à bulles » en ayant un accord écrit de Syllepse, l’éditeur du livre, tout en gardant le titre initial (inversé). Dès 2019, le plan puis le synopsis très précis fut élaboré, mais il a fallu faire des choix parfois difficiles : passer des 300 pages du livre (notre boussole) à 130 pages de BD + 15 pages de volet documentaire — et respecter la demande de l’éditeur pour un récit plus personnel, tout en insérant un important passage inédit sur deux voyages militants en Pologne en 1980 et 1981.

Nous avons ensuite travaillé avec Philippe tous les mardis, à Mantes-la-Jolie, pour fournir entre deux et trois pages à Elena avec des indications écrites précises pour chaque case : le contexte, les dialogues et aussi les images ou les photos dont elle pouvait s’inspirer. Son dessin assez vif et dynamique, pas forcément réaliste pour les portraits, mais recherché pour le reste, nous a plu ! Notre travail a été ralenti notamment pendant la période du Covid, les vacances ou certains autres impératifs personnels. Le travail de corrections et de finalisation par Zoom avec l’éditeur a été très dense et très pointu, et le résultat final est chouette ! Il semble que la BD touche aussi un autre public, plus jeune, moins militant que pour le livre, de fait aussi relancé !

Pourquoi le « dialogue » avec les moutons ?

Il y a un passage dans le livre sur les moutons blancs ou bruns, remplaçant les jardiniers pour tondre des pelouses de l’usine. Philippe a eu la bonne idée de les introduire de temps en temps dans la BD comme des personnages naïfs me posant des questions qui pourraient aussi traverser l’esprit des lecteurs et lectrices. Ils peuvent être aussi un symbole d’une partie des salariéEs soumis au patron mais s’interrogeant sur leur sort et prêts parfois à se rebeller en sortant du rang de la soumission. Les moutons bruns ou noirs seraient plus rebelles, ce sont mes préférés !

« Établie », féministe, révolutionnaire, antiraciste, syndicaliste, quelle dimension te paraît la plus importante ?

De fait, je ne me suis pas sentie longtemps « établie », comme une pièce rapportée extérieure, mais assez vite comme ayant intégré cette usine tel un pays qu’on adopte et qui devient le nôtre : à 22 ans, ma position sociale pouvait facilement et naturellement être ouvrière syndicaliste révolutionnaire, d’autant que j’avais déjà en moi le féminisme et l’antiracisme. L’important est donc cette cohérence à mon avis indispensable, sur tous les fronts — ne pas oublier l’écologie déjà présente ! — contre le système exploiteur et destructeur qu’impose le capitalisme et son allié le patriarcat.

Même si tout ne fut pas « rouge » tout le temps, ton parcours semble se dérouler dans un autre monde, une tout autre époque. Tout est-il si lointain ?

Le récit s’étale sur plus de 40 ans d’engagement où les causes des luttes n’ont pas vraiment changé sur le fond, même s’il y a eu quelques avancées mais sans cesse remises en cause, que ce soit au niveau national ou plus local, lutte des classes oblige ! Le tournant des années 1980, avec la déferlante de la mondialisation néolibérale, avait déjà changé la donne. Certes, le droit à l’avortement a été obtenu, mais il est toujours menacé, les inégalités salariales persistent ainsi que les violences sexistes, les 35 heures de travail hebdomadaires sont sans cesse dévoyées, la précarité a explosé, le travail du samedi est redevenu quasi obligatoire, le travail à la chaîne ou très parcellisé n’a pas totalement disparu même s’il est plus robotisé ou externalisé, le racisme et les idées fascisantes fluctuent selon la tension économique et politique.

La modernisation de Renault est aussi une façade, une vitrine qui cache les reculs sur les statuts salariaux avec la prégnance des contrats précaires, les salaires moindres, les temps de trajet aussi longs. La baisse des effectifs passant de 22 000 salariéEs en 1972 à 3 000 aujourd’hui a certes entraîné une disparition des grands conflits sociaux faisant la une dans les années 1980 ou 1990, mais il y a toujours quelques résistances locales dans les ateliers.

Alors je comprends que ça puisse apparaître à certainEs comme une autre époque, un autre monde. En 1968, même si on faisait référence à 1936 qui nous semblait très lointain, comme une vieille page d’histoire sociale, il y avait un lien évident.

Pour ma part — et pour bien d’autres — ce n’est si lointain, car j’ai tout dans la tête et dans le cœur. L’exploitation capitaliste même « modernisée » est toujours là et les raisons ne manquent pas de s’y opposer au quotidien et de vouloir la renverser un jour !

Dans les présentations du livre et de la BD, qu’est-ce qui interpelle le plus le public ?

Pour le livre, il y a quatre ans, le public était souvent plus engagé, militant, syndicaliste, souvent un peu plus âgé. Comme c’était l’année des 50 ans de 1968, la question d’un long établissement en usine interpellait vraiment. Aux présentations, je préparais des extraits marquants du livre, choisis selon le public prévu, pour animer — parfois avec des copines lectrices — et relancer le débat : le premier jour à l’atelier de couture, ma première grève, le machisme « ordinaire », une grève marquante, le racisme à l’entreprise.

Pour la BD, avec Philippe mon co-auteur, nous rencontrons plus de jeunes : c’est souvent la découverte concrète du travail dans une grande usine qui étonne et aussi la résistance quotidienne au machisme ambiant. Le public est souvent plus jeune, assez féminin et féministe, et n’ayant pas forcément les mêmes références historiques (1968, le syndicalisme, les grandes grèves, le Comité d’établissement). On a aussi des questions sur le travail (énorme !) d’adaptation du livre en BD. Le dessin d’Elena plait mais nous n’avons pas encore pu le présenter avec elle.

Raconter tout ce parcours d’une autre façon, plus ramassée et ludique que le livre, nous paraît être une contribution utile pour la mémoire des luttes ouvrières et féministes.

Et si c’était à refaire ?

Si j’avais 21 ans aujourd’hui, je ne crois pas, d’autant que l’usine est quasi moribonde et puis ce n’est pas la même période d’engouement de l’après 68, même s’il parait que quelques jeunes militantEs s’établissent, peut-être plutôt dans les services que dans les usines ?

En tout cas, à 72 ans, je n’ai absolument aucun regret d’avoir vécu tout cela, d’avoir participé à toutes ces luttes, d’avoir découvert et aimé des personnes formidables, qui m’ont soutenue lors du terrible harcèlement moral au CE. Et surtout j’y ai rencontré en 1980 mon compagnon Jamaà et nous avons un fils !

Les luttes ne manquent pas où je peux m’investir : avec mon syndicat Solidaires 78, un groupe féministe local et sa chorale, l’antiracisme et le soutien aux sans-papiers, des combats écologiques, encore un peu dans l’altermondialisme. Et depuis quelque temps, je me suis rapprochée d’un courant communiste libertaire qui entretient ma réflexion politique en plus des ­journaux du NPA !

Propos recueillis par Robert Pelletier

L’ALGÉRIE AU TEMPS DU HIRAK : quelles perspectives pour les révolutionnaires ?

Où en est l’Algérie, de quelle nature était le Hirak, Quelles aspirations portait-il ? Quelles forces composaient ce mouvement qui a manifesté toutes les semaines sa volonté de changer de régime ? Que reste il de lui après la démission de Bouteflika ?

Durant le camping de l’OCL ( organisation communiste libertaire)qui s’est déroulé mi-juillet 2021, Nedjib SIDI MOUSSA, auteur de nombreux articles sur l’Algérie, tente de répondre à ces questions.

Dans l’émission de ce jour, nous entendrons son intervention

« Suite aux élections législatives marquées par une abstention record et la victoire des partis liés à l’administration, Les Échos constataient, le 16 juin, qu’un élément manquait à l’opération des autorités visant à restaurer l’ordre antérieur au 22 février 2019 : « la participation populaire à sa contre-révolution ». Deux jours plus tard, L’Express employait l’expression caricaturale de « révolution du sourire » pour désigner le hirak et allait jusqu’à présenter les contestataires algériens comme autant de « révolutionnaires ».

Voir en ligne : Le site de Nedjib Sidi Moussa

Si l’on peut, sans grandes difficultés, caractériser les mesures répressives du régime militaro-policier de « contre-révolutionnaires », il est en revanche plus douteux, au sujet du mouvement populaire, de prendre des vessies réformistes pour des lanternes révolutionnaires, sans pour autant remettre en cause le courage ou la persévérance de nombreux hirakistes privés d’alternative – faute d’articulation saisissable entre les aspirations à la liberté et les exigences d’égalité.

Cela étant, il existe assurément des révolutionnaires en Algérie, comme dans tous les pays. Or, en l’absence d’organisation et d’intervention conséquentes, leur poids politique a été réduit pratiquement à néant au cours des deux dernières années, laissant le champ libre aux forces démocrates-libérales et aux réactionnaires de tout poil, alimentant chaque jour davantage un désarroi mortifère.

Sans doute existe-t-il des causes liées à l’histoire récente du pays permettant de comprendre l’autolimitation du hirak. Par conséquent, un bilan du mouvement populaire bridé par les illusions petites bourgeoises de ses porte-paroles autoproclamés ne saurait éviter d’interroger les ressorts de la fragmentation durable de la société, ainsi que la dépolitisation profonde des classes laborieuses.

De la même manière, toutes les questions qui fâchent devront être abordées, à commencer par celle-ci : une révolution sociale est-elle concevable lorsque des pans entiers de la population préfèrent risquer leur vie sur des embarcations de fortune pour traverser la Méditerranée au lieu de se confronter aux forces d’oppression et de répression de leur pays ?

Évidemment, il ne s’agit pas de poser le problème en des termes moraux mais de saisir les implications sociales et politiques de l’émigration de masse – sur laquelle comptent les autorités, trop heureuses de voir partir de potentiels contestataires –, tout comme la difficulté de nombreux Algériens à se projeter dans leur propre société et à en envisager la transformation, sans oublier qu’entre 1962 et 1989 le régime se disait « socialiste ».

Parmi les tâches de l’heure, une critique des rares groupes se réclamant du socialisme en Algérie s’impose, non pas pour alimenter une polémique stérile, mais pour comprendre pourquoi ces formations n’ont pas réussi à constituer des points d’appui au cours de la dernière période.

Dans un article publié le 18 avril, le groupe Révolution permanente pointait les manquements du Parti socialiste des travailleurs (PST) et de la Voie ouvrière pour le socialisme (VOS). Au premier – parti frère du Nouveau parti anticapitaliste en France –, il était reproché sa « compromission avec la mouvance libérale-démocratique dans le cadre du Pacte de l’Alternative Démocratique (PAD) ». Quant au second – scission ouvriériste du PST –, sa « démarcation du hirak et de ceux qui l’ont conduit vers l’isolement » ainsi que son appel du 28 mars à « la formation de listes portant un programme démocratique, social et anti-impérialiste » à l’occasion des législatives étaient dénoncés.

La direction du PST a commis une faute en s’associant à des formations bourgeoises dans le cadre du PAD, confirmant de la sorte son réformisme – sans que cela ne remette en cause la sincérité et la combativité de ses militants, notamment à Bejaïa. De son côté, VOS a eu le mérite de refuser les fronts interclassistes et de rejeter les mots d’ordre portés par l’opposition libérale du type « transition démocratique » ou « processus constituant ».

Mais ce groupe trotskiste est limité par le formalisme de ses animateurs qui ont impulsé un Front ouvrier et populaire – réplique de « gauche » au PAD – dont l’aspect positif – à savoir la tentative de rendre visible l’expression propre des travailleurs – a été gâché par la propension de ses dirigeants à préférer les jeux d’appareils à la fédération d’éléments révolutionnaires – sur une base autonome –, ce qui a conduit à enfermer cette potentialité subversive dans une perspective para-syndicale. Néanmoins, l’erreur la plus incompréhensible aura été de s’engager dans la voie électorale.

Les révolutionnaires devront tirer toutes les leçons de ces errements et combattre les illusions entretenues par les courants libéraux, islamistes ou socialistes. La tâche est énorme, les moyens sont modestes mais la solution ne passera ni par les élections ni par la « construction du parti » ».

Nedjib SIDI MOUSSA

HOMMAGE A MAURICE RAJSFUS

Maurice Rajsfus un homme constamment révolté.

Maurice Rajsfus est mort le 13 juin 2020 à Cachan. Il est parti peu après marie Jeanne son amour de toujours. Il était juif de naissance et a échappé à la rafle du Vél d’hiv. Ses parents ont été déportés et ne sont jamais revenus.

Toute sa vie fût consacrée à la révolution, consacrant sa vie à la lutte, préférant les longues réunions et les manifestations au travail salarié. il rejoint après la guerre le PC dont il sera exclu. Il fricote un temps avec les trotskistes pour rejoindre par la suite, comme il dit, une organisation à un membre. Il fait parti des créateurs du mouvement des auberges de jeunesse.

Auteur, journaliste, historien, antifasciste, antiraciste, il consacrera le plus clair de sa vie à travailler sur la police, les règles qu’elle est sensées respecter, sa fonction, ses exactions… Maurice était généreux et savait que la révolution ne se fait pas seul. Il répondait présent à chaque volonté de partage d’expérience.

Un temps, il a était président d’honneur de Fréquence Paris Plurielle.Au cours de cette émission nous diffuserons un entretien réalisé avec Maurice Rajsfus avant sa mort en 2019.

Merci à lui pour sa constance, sa détermination et pour le travail qu’il nous laisse. A nous de continuer.