L’ALGÉRIE AU TEMPS DU HIRAK : quelles perspectives pour les révolutionnaires ?

Où en est l’Algérie, de quelle nature était le Hirak, Quelles aspirations portait-il ? Quelles forces composaient ce mouvement qui a manifesté toutes les semaines sa volonté de changer de régime ? Que reste il de lui après la démission de Bouteflika ?

Durant le camping de l’OCL ( organisation communiste libertaire)qui s’est déroulé mi-juillet 2021, Nedjib SIDI MOUSSA, auteur de nombreux articles sur l’Algérie, tente de répondre à ces questions.

Dans l’émission de ce jour, nous entendrons son intervention

« Suite aux élections législatives marquées par une abstention record et la victoire des partis liés à l’administration, Les Échos constataient, le 16 juin, qu’un élément manquait à l’opération des autorités visant à restaurer l’ordre antérieur au 22 février 2019 : « la participation populaire à sa contre-révolution ». Deux jours plus tard, L’Express employait l’expression caricaturale de « révolution du sourire » pour désigner le hirak et allait jusqu’à présenter les contestataires algériens comme autant de « révolutionnaires ».

Voir en ligne : Le site de Nedjib Sidi Moussa

Si l’on peut, sans grandes difficultés, caractériser les mesures répressives du régime militaro-policier de « contre-révolutionnaires », il est en revanche plus douteux, au sujet du mouvement populaire, de prendre des vessies réformistes pour des lanternes révolutionnaires, sans pour autant remettre en cause le courage ou la persévérance de nombreux hirakistes privés d’alternative – faute d’articulation saisissable entre les aspirations à la liberté et les exigences d’égalité.

Cela étant, il existe assurément des révolutionnaires en Algérie, comme dans tous les pays. Or, en l’absence d’organisation et d’intervention conséquentes, leur poids politique a été réduit pratiquement à néant au cours des deux dernières années, laissant le champ libre aux forces démocrates-libérales et aux réactionnaires de tout poil, alimentant chaque jour davantage un désarroi mortifère.

Sans doute existe-t-il des causes liées à l’histoire récente du pays permettant de comprendre l’autolimitation du hirak. Par conséquent, un bilan du mouvement populaire bridé par les illusions petites bourgeoises de ses porte-paroles autoproclamés ne saurait éviter d’interroger les ressorts de la fragmentation durable de la société, ainsi que la dépolitisation profonde des classes laborieuses.

De la même manière, toutes les questions qui fâchent devront être abordées, à commencer par celle-ci : une révolution sociale est-elle concevable lorsque des pans entiers de la population préfèrent risquer leur vie sur des embarcations de fortune pour traverser la Méditerranée au lieu de se confronter aux forces d’oppression et de répression de leur pays ?

Évidemment, il ne s’agit pas de poser le problème en des termes moraux mais de saisir les implications sociales et politiques de l’émigration de masse – sur laquelle comptent les autorités, trop heureuses de voir partir de potentiels contestataires –, tout comme la difficulté de nombreux Algériens à se projeter dans leur propre société et à en envisager la transformation, sans oublier qu’entre 1962 et 1989 le régime se disait « socialiste ».

Parmi les tâches de l’heure, une critique des rares groupes se réclamant du socialisme en Algérie s’impose, non pas pour alimenter une polémique stérile, mais pour comprendre pourquoi ces formations n’ont pas réussi à constituer des points d’appui au cours de la dernière période.

Dans un article publié le 18 avril, le groupe Révolution permanente pointait les manquements du Parti socialiste des travailleurs (PST) et de la Voie ouvrière pour le socialisme (VOS). Au premier – parti frère du Nouveau parti anticapitaliste en France –, il était reproché sa « compromission avec la mouvance libérale-démocratique dans le cadre du Pacte de l’Alternative Démocratique (PAD) ». Quant au second – scission ouvriériste du PST –, sa « démarcation du hirak et de ceux qui l’ont conduit vers l’isolement » ainsi que son appel du 28 mars à « la formation de listes portant un programme démocratique, social et anti-impérialiste » à l’occasion des législatives étaient dénoncés.

La direction du PST a commis une faute en s’associant à des formations bourgeoises dans le cadre du PAD, confirmant de la sorte son réformisme – sans que cela ne remette en cause la sincérité et la combativité de ses militants, notamment à Bejaïa. De son côté, VOS a eu le mérite de refuser les fronts interclassistes et de rejeter les mots d’ordre portés par l’opposition libérale du type « transition démocratique » ou « processus constituant ».

Mais ce groupe trotskiste est limité par le formalisme de ses animateurs qui ont impulsé un Front ouvrier et populaire – réplique de « gauche » au PAD – dont l’aspect positif – à savoir la tentative de rendre visible l’expression propre des travailleurs – a été gâché par la propension de ses dirigeants à préférer les jeux d’appareils à la fédération d’éléments révolutionnaires – sur une base autonome –, ce qui a conduit à enfermer cette potentialité subversive dans une perspective para-syndicale. Néanmoins, l’erreur la plus incompréhensible aura été de s’engager dans la voie électorale.

Les révolutionnaires devront tirer toutes les leçons de ces errements et combattre les illusions entretenues par les courants libéraux, islamistes ou socialistes. La tâche est énorme, les moyens sont modestes mais la solution ne passera ni par les élections ni par la « construction du parti » ».

Nedjib SIDI MOUSSA