Pour un service public des caisses d’allocations familiales

Officiellement en France, la dénomination caisse d’allocations familiales naît en même temps que la sécurité sociale par une ordonnance du 4 octobre 19455. Mais les origines des CAF sont plus anciennes.

Les premières traces d’un supplément de revenu lié aux charges de famille remontent à une circulaire du Second Empire, en 1860, qui octroyait aux marins une indemnité de 10 centimes par jour et par enfant6. En 1891, le patron d’une filature champenoise, Léon Harmel, verse, par l’intermédiaire d’une « caisse de famille » gérée par une commission ouvrière, un « supplément familial de salaire » à ses employés qui ont charge d’enfants.

Cependant, cette pratique reste anecdotique (en 1914, seules 40 entreprises en France versent ce type d’allocations à leurs salariés) jusqu’à la création, en 1918 de caisses de compensation, par Émile Marcesche à Lorient ou Émile Romanet à Grenoble. Ces caisses, ancêtres des Caf, se multiplient alors pour atteindre environ 200 dans les années 1930, bien que l’affiliation des employeurs reste non obligatoire. En 1929, après un premier projet élaboré par Blain, un second projet de généralisation des allocations familiales est établi par l’avocat Maurice Eblé, avec la commission de législation de la CFTC ; ce projet est repris ensuite en proposition de loi par Jean Lerolle et voté7. En 1931, à l’initiative d’Adolphe Landry, la chambre des députés vote une proposition de loi qui généralise les indemnités pour charges de famille des salariés de la fonction publique. Puis une loi du 11 mars 1932, intégrée au code du travail, fait obligation aux employeurs privés de l’industrie, du commerce, de l’agriculture et des professions libérales de s’affilier et de cotiser à une caisse de compensation qui verse des allocations familiales aux ouvriers et employés.

Mais aujourd’hui, l’accès, notamment au plus précaire, est de plus en plus difficile par le fait de la dématérialisation.

Pour parler de la situation de la CAF et des perspectives de lutte, nous recevons dans l’émission de ce jour Didier Minot, président de changer de cap

Depuis 2019, le Collectif Changer de Cap rassemble des militants et des associations de terrain autour des questions de justice sociale et environnementale, de la défense des services publics et de la promotion de la démocratie réelle. Il constitue une plateforme d’appui et de mise en réseau de collectifs citoyens et autres acteurs locaux en mutualisant les actions porteuses d’alternatives, les informations et les réflexions.

Les membres du collectif travaillent ensemble malgré une grande diversité d’opinions politiques, syndicales ou citoyennes, grâce à la conviction que la mobilisation, pour se développer pleinement, doit s’enraciner dans la diversité et la richesse des opinions et des actions citoyennes porteuses d’alternatives, dans les luttes et dans une réflexion commune autour de questions concrètes.

Depuis la fin de l’année 2021, alerté par plusieurs associations de terrain, Changer de Cap a ouvert ses actions et réflexions aux multiples conséquences de la dématérialisation des services publics, particulièrement au sein des CAF. Le recueil de dizaines de témoignages, un travail de recherche et de réflexion, des rencontres et des forums ont débouché sur le constat de véritables zones de non-droit et d’une maltraitance institutionnelle des plus précaires, mais aussi sur une série de propositions visant à « Remettre l’humain et le droit au cœur de l’action des CAF ».

La mise en lumière d’actions porteuses d’alternatives via le site internet, de luttes victorieuses synonymes d’espoirs dans la Lettre mensuelle du collectif, tout comme la mise en perspective politique, font partie de l’ADN de Changer de Cap depuis ses débuts.

POUR PLUS D’INFO https://changerdecap.net/

CAF : Les raisons d’une dérive, les enjeux d’une action

Dessin issu du site http://www.changerdecap.net/

Dans l’émission de ce jour, nous reviendrons sur le fonctionnement des CAF(caisse d’allocation familiale). Pour cela, nous serons en plateaux avec Evelyne, du réseau stop précarité et par téléphone avec Valérie pras, pour la question numérique et Didier minot, pour le volet juridique, tous deux membre du collectif changer de cap.

L’analyse du fonctionnement des CAF(caisse d’allocation familiale) pose plusieurs catégories de questions. On peut les regrouper en quatre catégories.

Une convention d’objectifs et de gestion assimilant les CAF à des entreprises

Les conventions pluriannuelles d’objectifs et de gestion (COG) entre l’État et La Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), découlant du New public management, imposent une gestion financière centrée sur la réduction des moyens, présentée comme un objectif central, alors que la sécurité sociale est l’expression d’un droit universel. L’assimilation des CAF à des entreprises conduit à considérer les prestations sociales comme des coûts et les allocataires comme des risques dont les besoins empêchent de réduire « le pognon de dingue qu’on met dans les minima sociaux »1.

Le pouvoir politique et la technostructure imposent leur pouvoir à travers la multiplication des objectifs chiffrés, décomposés par programmes. Le vote du budget de la sécurité sociale par le Parlement, la tutelle du ministère des finances dessaisissent les représentants syndicaux, qui sont réduits un rôle de figuration, et parfois s’y complaisent. Un déficit permanent est entretenu par les exonérations massives de cotisations sociales consenties aux entreprises, et sa budgétisation constitue un outil de contrôle.

Les COG présentent comme des outils de progrès et de maîtrise des risques le traitement automatisé des données, la liquidation automatique des prestations et le data mining. Dans la réalité, on constate que l’automatisation entraîne une augmentation des erreurs et des injustices, en l’absence de dialogue physique permettant de prendre en compte la diversité des situations.

Cela se traduit par des objectifs de fraudes constatées à atteindre chaque année (380 millions d’euros en 2022) sous forme d’indicateurs de résultats chiffrés. Ces objectifs se transmettent à chaque CAF et à chaque contrôleur. La prime d’intéressement des contrôleurs dépend en partie du montant des indus frauduleux détectés. De tels objectifs sont de nature à inciter les organismes à qualifier d’actes frauduleux ce qui relève de l’erreur ou de l’oubli non intentionnel2.

Le développement de contrôles3 de plus en plus durs s’inspire de la suspicion entretenue par les milieux patronaux et les politiciens de droite et parfois de gauche dénonçant sans relâche « la fraude aux prestations sociales », même si celle-ci est démentie par les faits (0,27 % d’allocataires reconnus fraudeurs en 2020 4).

La numérisation des contrôles, banc d’essai d’une société de surveillance

La numérisation a été pensée pour pouvoir se substituer aux services des CAF. Emmanuel Macron a parlé d’automatisation intégrale des aides sociales. Toute une série de bases de données, de logiciels et d’algorithmes ont été mis en place pour gérer les différents aides relevant des CAF, à partir des instructions venant du pouvoir politique.

Cette automatisation a permis une gigantesque accumulation de données (1000 données par personne pour 13 millions de foyers, c’est-à-dire 30 millions de personnes) résultant de l’interconnexion des fichiers publics et parfois privés. Cette utilisation du Big data réduit à néant le droit à l’intimité, le secret bancaire, le secret médical et les libertés individuelles, d’autant que les données sont « fouillées » (data mining) avec des méthodes opaques, non rendues publiques, discriminatoires.

– Un profil individuel est établi pour chaque personne assorti d’un « score de risque », qui est en fait un indice de non-conformité à la norme d’un allocataire bien portant, français, vivant en couple, dans un quartier non sensible, doté de revenus réguliers, numérisé, comprenant le langage des règlements.

L’accroissement exponentiel des contrôles (32 millions de contrôles automatisés en 2020) est rendu possible par la puissance du numérique. Ces contrôles sont déclenchés automatiquement chaque fois qu’une variation même infime apparaît dans le croisement des données (par exemple un écart de 30 € sur les revenus, un changement de situation familiale). Sont donc considérés particulièrement comme « à risque » les femmes seules avec enfants, les chômeurs, les intérimaires aux revenus variables, les personnes handicapées, celles qui sont nées à l’étranger, etc. Ces personnes subissent des contrôles répétitifs si leur « score de risque » est élevé.

L’administration des CAF à la dérive

Les conventions d’objectifs et de gestion ont imposé une logique d’efficacité et d’efficience, mais la simplification des procédures régulièrement annoncée depuis 10 ans n’est pas au rendez-vous :

Des règles multiples et complexes se superposent et s’entrecroisent (plusieurs milliers pour les seules aides au logement), et ne sont plus gérables que par les algorithmes. La logique néolibérale génère la bureaucratie, comme le dit David Graeber5. Les circulaires internes ne sont pas toutes publiées, les allocataires ne peuvent pas appliquer des règles inintelligibles. Cette pagaille favorise l’arbitraire des algorithmes et de certains contrôleurs.

L’automatisation conduite par des bureaux d’études génère de nombreuses erreurs, des retards, des incohérences et une désorganisation des CAF, aggravés par les réductions d’effectifs que le ministère des finances impose en contrepartie de la numérisation, sans aucune considération pour les allocataires ni pour le service aux usagers (même logique que pour l’hôpital) ni pour le mal-être et la dégradation des conditions de travail des agents soucieux de défendre un service public humain, auquel beaucoup restent attachés.

La prise de pouvoir par la machine est en fait celle des bureaux d’études ou des services informatiques qui ont mis en place les logiciels et deviennent indispensables au fonctionnement d’une usine à gaz dont ils ont seuls les clés. Les agents des CAF ne sont plus capables d’expliquer pourquoi une personne est contrôlée, mais doivent rattraper les erreurs de la machine en bricolant comme ils le peuvent et en répondant à la détresse ou à la révolte des allocataires. Aujourd’hui, le système est au bord de l’implosion (cf. témoignage des agents de la CAF du Doubs).

Face à ce problème, la CNAF est dans le déni, affirmant que les dysfonctionnements ne touchent que 2 % des bénéficiaires, la correction des anomalies se fait au fil de l’eau et que les services sont conscients des désagréments causés à une partie des allocataires.

Des contrôles hors-la-loi

Vis-à-vis des citoyens « de seconde zone », le pouvoir ne prend pas les mêmes précautions que par rapport aux autres catégories de la population :

La plupart des contrôles sont déclenchés automatiquement, et les suppressions d’aide sont le plus souvent appliquées sans en informer les allocataires et sans notification, ce qui est contraire à la loi. Juridiquement la fraude doit être intentionnelle, mais ici les incompréhensions, les difficultés face au numérique, les erreurs, y compris celles des CAF, sont assimilées à de la fraude, en l’absence de contrôles de légalité exercés par la CNAF et les directions des Caisses.

Les procès-verbaux sont remplacés au mieux par des notifications sommaires, qui ne précisent ni les modalités de calcul de l’indu, ni les délais de réponse, ni les voies de recours. Les contrôleurs sont dotés de larges pouvoirs juridiques et d’investigation, mais n’ont pas la formation, les directives ni la supervision les obligeant à faire accéder à leurs droits les personnes contrôlées, par le respect du contradictoire et de la présomption d’innocence, le droit à l’erreur et des conseils adéquats.

Dans de nombreux cas, les allocations sont suspendues dès le début des contrôles, sans respect du reste à vivre légalement imposé à tous les créanciers.

Une police et une justice numériques parallèles au rabais se mettent ainsi en place, insensibles à des situations humaines parfois dramatiques. Ces pratiques ne respectent pas les principes fondamentaux du droit, et sont entachées d’illégalité6.

Un choix de société

C’est pourquoi nous demandons le démantèlement des pratiques illégales qui se sont développées en matière de contrôle des aides sociales par les CAF, une transparence de la récolte et du traitement des données personnelles des 13 millions de foyers répertoriés, et la remise de l’intervention humaine au coeur du service public afin de faire du numérique un outil pour rendre effectif l’accès de chacun à ses droits sociaux, tout en respectant son intimité.

A travers le débat qui s’instaure, ce sont deux conceptions alternatives de la société qui s’opposent. D’un côté une gouvernance par les nombres7 et la violence. La mise en place d’une société de surveillance et d’un « contrôle des assistés » (cf. Vincent Dubois)8 s’inscrit dans un capitalisme de contrôle de toute la population, exercé par la violence, la propagande et les atteintes aux droits, qui va de pair avec une aggravation du mal-être social et des souffrances d’une part croissante de la population (rappelons que 12% de la population connaît des difficultés psychiques et que 14 % est en dessous du seuil de pauvreté).

De l’autre, la réaffirmation d’une société solidaire, de justice et de droits, où la solidarité entre tous conjugue entraide, prévoyance et coopération, d’une société inclusive où chacun a sa place. Dans cette perspective, il est possible de concevoir une utilisation alternative des nouvelles capacités de calcul et de traitement des données, qui se conjugue avec une place centrale donnée à la relation humaine, tant dans les services publics que dans l’ensemble de la société, et avec le respect du droit fondamental à l’intimité.

Ce choix ne peut être tranché que par un combat politique qui conjugue la résistance aux oppressions (comme le fait la présente action à l’encontre des pratiques actuelles des CAF), la multiplication des actions porteuses d’alternatives sur le terrain, montrant la voie, l’action politique pour transformer les institutions et les lois et l’instauration de nouvelles formes de dialogue et de relations au sein de la société.

1 Emmanuel Macron, 12 juin 2018 « La politique sociale, regardez : on met un pognon de dingue dans des minima sociaux, les gens ils sont quand même pauvres. On n’en sort pas. Les gens qui naissent pauvres, ils restent pauvres. Ceux qui tombent pauvres, ils restent pauvres. On doit avoir un truc qui permette aux gens de s’en sortir ». voir ici

2 Rapport du Défenseur des droits, 2017, Lutte contre la fraude aux prestations sociales : à quel prix pour les droits des usagers ? page 14 Voir ici

3 Annexe 11 de la COG 2018-2022

4 CNAF, 2021, La politique de prévention et de lutte contre la fraude en 2020, p. 3 Voir ici

5 David Graeber, 2015, Bureaucratie, LLL Il y dénonce l’inflation des tâches administratives introduites dans la vie courante au nom de l’excellence ou de la qualité, constituant une tyrannie invisible et violente

6 Cabinet DBKM. Incompatibilité des mesures nationales de lutte contre la fraude aux prestations sociales avec le Pacte des droits civils et politiques. Rapport au comité des droits de l’homme des Nations unies (voir ici)

7 Alain Supiot, 2015, la gouvernance par les nombres, cours au collège de France, Fayard

8 Vincent Dubois, 2021, Contrôler les assistés, 2021, Raisons d’agir

Pour plus d’info : fr.facebook.com/collectifchangerdecap

CONTRÔLES ET RADIATIONS A PÔLE EMPLOI ET A LA CAF

Dessin issu de https://lepoing.net/

Alors que plus d’un million de chômeuses et de chômeurs voient leurs allocations brutalement réduites et que l’ouverture des droits de près d’un demi-million de personnes est remise en cause, le gouvernement Macron fait encore du renforcement des contrôles un objectif politique !

Depuis le 1er octobre par décret et avec validation d’un Conseil d’État qui s’est couché, la réforme – ou casse – de l’indemnisation du chômage frappe de façon hallucinante et inégale les plus précaires.

Les dysfonctionnements graves se multiplient à Pôle emploi, où les demandeurs d’emploi sont gérés par des boites privées en sous-traitance, ou par des applications ou algorithmes conçus apparemment pour calculer les droits au rabais, multiplier les erreurs au détriment des plus précaires, tandis que s’accumulent les radiations abusives et illégales (pour non recherche d’emploi par internet alors qu’il ne peut y avoir d’obligation numérique vu la fracture numérique) et prélèvements de trop perçus non fondés.

Le 10 février dernier, Un collectif unitaire composé du comité national CGT chômeurs-précaires, CGT Pôle Emploi, SUD Emploi, SUD Culture Solidaires…), d’associations de chômeurs/ses, et d’associations comme la Quadrature du Net organisait une AG contre le contrôle des chômeurs (CAF et Pôle emploi).

Dans l’émission de ce jour, nous entendrons une partie des témoignages et les propositions d’action issue de cette assemblée générale.