La loi contre le narcotrafic : construction de prisons de haute sécurité. La torture ne s’aménage pas, elle s’abolit !

Dans l’émission de ce jour, nous revenons sur les nouvelles dispositions de la loi contre le narcotrafic adoptée le 29 avril 2025. Nous reviendrons principalement sur la construction de prison de haute sécurité, et le silence assourdissant dans lequel cette disposition a été adoptée, à travers les luttes qui ont été menées contre les quartiers d’isolement, puis les quartiers de haute sécurité. Nous aborderons aussi les conditions d’incarcération des prisons “modèles” de Condé sur Sarthes et Vendin le veil, pour finir sur les actions signées ” défense des droits des prisonniers français”.

En quelques dizaines d’années l’enferme­ment s’est banalisé au point d’atteindre 82000 prisonniers, un record ! L’isolement carcéral, la torture blanche, la mort lente qui détruit de l’intérieur, à petit feu, chaque seconde un peu plus, se généralise sans soulever l’indignation !

Il y a cinquante ans l’apparition des QHS avait provoqué de multiples mouvements tant à l’intérieur qu’à l’exté­rieur des prisons. Le fait même d’enfermer des hommes et des femmes dans des boîtes de béton pendant des mois, des années avait suscité des débats houleux, de nombreuses prises de position d’intellectuels, de militants, d’une partie importante de la population. Aujourd’hui l’iso­lement se généralise sans se heurter à aucune résistance ou si peu.

Appel à l’opinion publique du 3 janvier 1978 : « Les QHS sont la forme futuriste de la peine capitale. On y assassine le mental en met­tant en place le système de l’oppression carcérale à outrance, condui­sant à la mort par misère psychologique. Loin de protéger la société, c’est l’usine à fabriquer les fauves et assassins de demain. T. Hadjaj, R. Knobelpiess, J. Mesrine, F. Besse, J-M Boudin, M. Desposito, D. Debrielle

Suite aux vives critiques et aux luttes contre l’enfermement et les QHS des années 70, la gauche en 81 avait été obligée s(inscrire dans son programme l’espoir d’un changement du régime carcéral et de la politique judiciaire : beaucoup espéraient que la gauche au pouvoir ferait prévaloir plus de prévention et de moins de répression. Elle avait promise la suppression des QHS. On connaît la suite, les peines éliminatrices ont remplacé la peine de mort, les QI ont succédé aux QHS.

En 1984, 73 prisonniers de Fleury adressaient l’appel qui suit : « Voltaire réveille-toi, les humanistes au pouvoir sont devenus fous… La gauche humaniste se montre répressivement plus efficace que la droite. Michel Foucault est mort en serrant la main de Badinter, en toute confiance ! Sartre avait effleuré le livre noir de la pénitentiaire avec un peu d’espoir… La Ligue des droits de l’homme est aux abon­nés absents, le syndicat de la magistrature s’est endormi dans ses promotions hiérarchiques, vive la gauche ! Les intellectuels mangent dans la main des maîtres socialistes et se taisent. Et pourtant le haro au laxisme de l’opposition, et l’oeuvre réactionnaire d’une gauche em­pressée à se purger de ce pseudo-laxisme accouchent d’une réalité ré­pressive à jamais connue en France […] À l’heure où la France applique la barbarie civilisée et une répression sans précédent sur le chomeur-délinquant, nous sommes amers, mais ni fauves, ni assassins. Saint Badinter, sois gentil, démissionne ! »

La «torture blanche» qu’est l’isolement, cette mort lente avaleuse d’êtres humains, détruisant jour après jour ceux qui y sont placés, tombeau de béton, ne suscite plus l’indignation et la colère. Dénoncée hier par de nombreuses institutions aujourd’hui plutôt aphones elle reste un moyen terrible pour détruire quiconque le subit. De nombreux prisonniers ont tenté de transmettre l’indicible : « Il m’est souvent arrivé de comparer les conséquences de la mise à l’isolement au travail produit par les vagues contre les massifs rocheux qui se dressent sur le bord de mer. Les vagues vont et viennent, butant contre les fa­laises, dans un mouvement incessant. Et de temps à autre, sans trop que l’on sache quand, tout ou partie de la falaise s’affaisse, disparaît dans les fonds marins. L’océan finit toujours par avoir raison des parois rocheuses, quelle que soit leur nature, leur solidité. Il en est ainsi pour les détenus. » Gabi Mouesca

« L’isolé est un spectateur assistant au spectacle de sa propre mort. Seul, dans neuf mètres carrés. Avec pour compagnon permanent ce silence lugubre que parfois dé­chirent des cris de révolte, des cris pour gueuler sa rage, son refus de crever. Les quartiers d’isolement transpirent la haine, leurs murs suintent la mort. Il faut en finir ! » Thierry chatbi

Le gouvernement parle aujourd’hui de placer les narcotrafiquants dans des prisons de haute sécurité. Dans un consensus insupportable la réforme a été approuvée à l’unanimité par le Sénat malgré l’abstention des écologistes. Quelques points de la loi ont soulevé quelques réticences mais rien concernant les quartiers de hautes sécurité. Comme d’habitude, après avoir désigné les nouveaux « monstres » suite à des faits divers dramatiques, le gouvernement verse dans l’exagération ; la France serait devenue une nouvelle Colombie ou une Italie rongée par la mafia. Darmanin a été visiter la prison de Rebibbia en Italie pour y puiser un modèle en matière de condition de détention.

Pour enfermer les narcotrafiquants les plus dangereux, deux prisons étaient déjà toute désignées : Inaugurées en 2013 par Taubira Condé-sur-Sarthe est le résultat de plus de douze années d’études minis­térielles sur les types de structures censées tenir enfermés des pri­sonniers désignés comme difficiles et condamnés à de très longues peines. C’est une prison ultra-sécurisée prévue pour 249 places, avec des murs d’enceinte d’une hauteur de 8 à 12 mètres, des caméras par­tout, des portes à ouverture électronique, des sas, des bâtiments par­faitement hermétiques. Condé-sur-Sarthe est l’aboutissement logique d’une justice qui élabore et applique des condamnations délirantes et qui doit désormais gérer cette politique de peines jusqu’à la mort dans des prisons spécifiques. Tout est conçu pour réduire au maximum tout contact, tout rapport humain, pour que les prisonniers se rencontrent le moins possible et en tout petit nombre. Les activités, les prome­nades s’effectuent à sept, grand maximum. Dès son ouverture, cette version ultra-moderne des anciens quartiers de haute sécurité (QHS) avait fait l’objet de sérieuses critiques aussi bien de la part de la direction de l’administration pénitentiaire, des surveillants, que des prisonniers. Ce qui n’empêchera pas la construction de sa réplique à Vendin-le-Viel, près de Lens.Depuis leurs ouvertures ces deux prisons, devant le recul des mouvements de luttes et des évasions, s’était « normalisées » et enfermaient principalement « des isolés sur leur demande ». Gérald Darmanin n’a rien inventé, il revient au source, il peaufine dans l’abjecte brutale et cruel.

Vendin-le-Vieil devrait ouvrir le 31 juillet prochain,. Celui de Condé-sur-Sarthe sera opérationnel à la mi-octobre. Afin de renforcer la sécurité de ces établissements, deux mois de travaux ont été nécessaire. Ils coûteront entre quatre et cinq millions d’euros pour chacun des établissements. Pour le sécuritaire l’argent ne manque décidément pas alors que l’ensemble des services publiques sont exsangues.

Isoler les prisonniers entre eux et avec l’extérieur : des hygiaphones vont être installés dans les parloirs qui empêcheront tout contacts physiques avec les visiteurs, alors que ceux-ci ont été abolis en 1983. Pour éviter tout déplacement et contact les visio-conférences seront généralisé. Les établissements de haute sécurité limiteront les appels téléphoniques au maximum à trois fois deux heures par semaine. Des ondes millimétriques seront installées pour détecter tout objet interdit sur les détenus et rendre quasiment impossible l’utilisation de téléphone portables. Les unités de vie familiale instaurées pour consolider les liens avec les ami(e)s et les parents seront impossibles ;« Ils n’auront plus de vie familiale », se félicite hargneusement Darmanin. Et pour joindre l’humiliation à la torture, le gouvernement systématisera les fouilles à corps. La sécurisation des parkings des établissements va se trouver renforcée ainsi que les alentours jusqu’aux premiers axes routiers ce qui rendra encore plus difficile tout soutien venant de l’extérieur au pied des murs des prisons (distribution de tracts, rencontre avec les familles…). Une sécurisation plus importante des fenêtres des cellules sera effectuée les rendant toujours plus opaques et bardées de grillages. Le personnel pénitentiaire aura une formation de deux mois, il pourra recourir à l’anonymisation ce qui le rendra intouchable. Entre trois et quatre surveillants seront assignés par détenu.

Le gouvernement, comme à son habitude, promet cet enfer aux narcotrafiquants mais d’ors et déjà ces établissements s’apprêtent à recevoir tous les prisonniers désignés par lui comme dangereux. Même les prisonniers en détention provisoire, c’est à dire présumés innocents, pourront être placés directement dans les établissements de haute sécurité. L’allongement des peines et les conditions de détention inhumaines ont pour objectif de placer l’individu face à un choix : être anéanti ou collaborer, devenir un traître. Plusieurs amendements dans le texte de loi promettent aux balances des réductions de peine significatives. Puisque les jours ne s’annoncent pas meilleurs, 4 à 5 établissements du même type devraient être créés d’ici 2027, il y aurait selon Darmanin 600 à 700 prisonnier concernés

On peut frapper toujours plus fort sur les enfermés, les pousser à bout, leur faire péter les plombs, mais ça n’empêchera jamais les prisonniers de se révolter. Certains se suicident, ou deviennent fous et certains autres deviennent des fauves. À force de les traiter comme des animaux, ils réagissent d’une manière instinctive. C’est une réaction de survie normale que de se retourner contre se qui détruit.

Le plus inquiétant est le manque de mémoire et de résistance. La liberté s’étant dissoute dans la sécurité, l’isolement serait il devenu dedans comme dehors un mode de vie acceptable ?

« À quand la fin du maintien d’hommes et de femmes en des lieux qui tuent, poussent à se tuer ou… à tuer. Oui, car l’isolement pousse à des envies de meurtre. La douleur est si grande que seule la haine semble généralement trouver sa place dans l’esprit de l’isolé, du maltraité. Ne perdons jamais de l’esprit qu’on ne peut pas attendre d’un être blessé, humilié, maintenu à l’état de sous-homme, une attitude civile et fraternelle. Les tueurs de demain se fa­çonnent aujourd’hui dans les Quartiers d’Isolement. Que ceux qui pensent la prison de demain, ceux qui décident la future loi pénitentiaire ne fassent pas l’économie de cette réflexion et surtout de la seule décision qui soit ac­ceptable : l’abolition des quartiers d’isolement ! » Gabi Mouesca

POUR LA DÉFENSE DES PRISONNIERS

Le dernier juge que j’ai vu avait plus de visse que le dealer de ma rue.

le groupe Assassin

Suite aux annonces du gouvernement de durcir les conditions d’emprisonnement, une vague d’actions est venue secouer l’indifférence insoutenable dans laquelle ce texte est débattu et voté. Plusieurs nuits durant, des prisons, des voitures et des domiciles d’agents pénitentiaires ont été visés. Près de 90 faits ont été recensés en moins de 15 jours, revendiqués par « Défense des droits des prisonniers français (DDPF) » un acronyme apposé à la bombe de peinture sur la plupart des lieux ciblés. Sur les applications chiffrées telles que Telegram ou TikTok ils ont revendiqué leurs actes en faveur des droits de l’homme et pour le respect de la dignité des conditions des détenus.

Pour tenter d’identité le groupe DDPF, 300 enquêteurs ont été mobilisés sur deux semaines d’investigation. 21 suspects ont été arrêtes. Parmi eux, des mineurs et de très jeunes hommes inexpérimentés qui vont être poursuivis pour des faits de terrorisme. La définition du terrorisme s’étant considérablement élargie, le code pénal ne définit pas l’action terroriste selon une idéologie mais selon un mode opératoire et un objectif – « troubler gravement l’ordre public par la terreur ou l’intimidation », autant dire tout ce qui dérange d’Etat.

Le trafic de drogue permet avant tout à des familles entières de survivre, de remplir son frigo, de payer son loyer… Peux sont ceux et celles qui mènent une vie de palace en dealant. Ce sont avant tout elles et eux qui sont visés par la répression et qui croupissent indéfiniment en prison. Les dealers n’ont rien à envier question moral, et pratique d’exploitation à nos gouvernants et aux bourgeois qui malheureusement leurs servent trop souvent d’exemple.

Comme lors des révoltes suite à la mort de Nahel, les réseaux sociaux ont sûrement joué un rôle dans la simultanéité des attaques. Mais nous ne nous y trompons pas c’est bien la mort d’un jeune homme ou là, la violence de la prison qui en sont les causes.

Les conditions de détention s’étant déjà extrêmement durcies, ils est de plus en plus difficile pour les prisonniers de se révolter, il n’est donc pas étonnant que ce soit de l’extérieur que la protestation vienne.

Le personnel pénitentiaire a toujours été la cible de représailles pour les dissuader d’exercer un zèle brutale sur les prisonnier-e-s, ce n’est pas nouveau, c’est aussi vieux que l’existence des prisons !

Il est facile de se laisser berner par la rhétorique du gouvernement et de ses relais, les mesures misent en place ne sont pas réservées aux narco-trafiquants mais seront élargies à la « criminalité et à la délinquance organisée ». Nous savons que tout mouvement de révolte et d’opposition conséquent est confronté à la prison et que donc son existence nous concerne tous et toute.

ASPF: 1985 LA SYNDICALISATION DES PRISONNIERS EN QUESTION

Nous produisons cette émission pour rétablir quelques vérités sur la syndicalisation des prisonniers en France. Nous écarterons d’emblée l’expérience malheureuse, éphémère et trop peu élaborée qui a surgi au cours des années 2010.

Nous partirons de la critique de l’ASPF, l’association syndicale des prisonniers de France qui a vu le jour pendant quelques mois en 1985.

Nous avons vécu cette expérience ; kiou à l’intérieur et Nadia à l’extérieur faisant partie de Parloir libre une émission de radio soutenant les prisonniers en luttes. Nous réagissons suite aux mémoires de deux sociologues « Syndiquer les prisonniers, abolir la prison », paru en 2015 de Joël Charbit et Gwénola Ricordeau et à l’article des utopiques, cahier de réflexions de l’union syndical Solidaire.

L’ASPF(association syndicale des prisonniers de France) a été créée en 1985 par Jacques Gambier et six autres détenus de Fleury-Mérogis. Parmi les autres acteurs figure Jacques Lesage de la Haye ancien prisonnier ayant accepté de participer à la commission Prison-Architecture du ministère de la Justice, qui animait à l’époque l’émission hebdomadaire « Prison » sur Radio Libertaire ; Ras les murs.

Notons également la proximité de L’ASPF avec la « Commission d’Étude pour le Respect du Droit Fondamental d’Association en Prison », dite « Commission Bloch » ; du nom de son Président, Étienne Bloch co-fondateurs du syndicat de la magistrature.

Même si elle entend garder son autonomie par rapport à l’ASPF, leur but est similaire ; réfléchir sur le concept du droit d’association et les modalités de son exercice en prison.L’ASPF a très vite été confronté à la réalité des luttes et n’a finalement jamais lutté pour autre chose que pour le droit d’association.

Le contexte à l’intérieur des prisons est explosif. Après un court instant d’euphorie suite à l’élection de Mitterrand, les prisonniers déchantent rapidement. Si une grande partie des organisations dont l’ASPF, ont cru aux sornettes de la gauche au pouvoir, les prisonniers eux vivant de plein fouet l’allongement des peines, le maintien des QHS(quartier de haute sécurité), la violence de l’administration pénitentiaire se révoltent.

L’ASPF cramponnée à la légalité refuse de se joindre aux mouvements et de soutenir les prisonniers frappés par la répression et c’en sera fini de leur crédibilité et de leur existence.

Face à la violence de l’État les prisonniers et prisonnières tentent de se faire entendre ; ils témoignent, pétitionnent, refusent de remonter de promenade, font des grèves de la faim, s’auto-mutilent, montent sur les toits, se mutinent, détruisent la prison.

Contrairement au syndicat Industrial Workers of the World (IWW) des États-Unis, en France les centrales syndicales, SUD compris, n’ont jamais syndiqués les prisonniers, mais ce n’est pas pour cette raison que L’ASPF est morte, mais bien plutôt parce qu’elles refusent de reconnaître la souveraineté des prolétaires et soutenir toutes les formes de luttes que proposent les insurgés.

Vous aller entendre le témoignage d’un détenu ayant participé aux mouvement et à la critique de L’ASPF, des document sonores et des fragments de textes de l’époque.

Vous trouverez en pièce jointe les documents parus à cette époque que les deux sociologues n’ont pas pris en compte dans leurs travaux et l’article de Solidaire.

https://champpenal.revues.org/9124#tocto1n2

Venceroms n°1