Le 4 décembre 2024 dernier, à la Parole errante à Montreuil, s’est déroulé une soirée de soutien à la lutte du peuple Wet’suwet’en, avec la projection d’un film documentaire relatant leur lutte contre le pipeline Coastal GasLink, au Canada. Était présente, Sleydo’, l’une des cheffes de Cas Yikh et porte-parole du point de contrôle de Gidimt’en, ainsi qu Freda Huson, qui est la conjointe du chef Howilhkat et la coordinatrice du camp Unist’ot’en. Aujourd’hui, nous allons vous faire écouter un interview qui présente cette lutte et son historicité et le montage d’interventions choisies, suite à la projection de ce film. Cette émission est réalisée avec la collaboration de l’émission Zoom écologie.
Les Wet’suwet’en se battent depuis 10 ans contre la construction d’un gazoduc sur leurs terres ancestrales, non cédées au Canada. Pour s’y opposer, ce peuple a érigé des postes de contrôle sur son territoire et sur la route du projet du gazoduc, empêchant et retardant ainsi le projet, parallèlement à une lutte juridique. Ses soutiens par ailleurs, suite aux expulsions des habitants par les policiers militarisés de la gendarmerie royale en 2020, ont manifesté et bloqué des chemins de fer et des routes partout dans le pays, avant le confinement décrété par les autorités en réponse à l’épidémie du coronavirus. Les autorités canadiennes et le service de sécurité de l’entreprise, du nom de TC Energie, n’ont eu de cesse tout du long de répondre par une répression acharnée pour protéger l’industrie fossile et leurs intérêts : ce furent quatre raids armés sur les territoires autochtones, 75 personnes arrêtées, ainsi que 20 personnes poursuivies en justice… Sans compter le harcèlement policier et juridique, les multiples intimidations, le mépris pour in fine, donner à voir la gestion et la violence coloniale.
En cette émission du 07 octobre, nous traiterons de la question Palestinienne en direct avec Matteo et Jean, afin de revenir sur la chronologie des événements de cette dernière année, mais aussi, afin de mieux comprendre le contexte dans lequel se sont déclenchées les attaques du 07 octobre 2023. Nous vous diffusons aussi quelques extraits de la manifestation du 05 octobre 2024 à Paris.
Le 19 juin 2024, à Nouméa, une descente des forces de l’ordre a eu lieu dans le local de l’Union calédonienne (UC) à Magenta et les principaux responsables de la CCAT (Cellule de coordination des actions de terrain) ont été interpelés alors qu’ils se rendaient à une conférence de presse. Une perquisition a eu lieu et onze membres de la CCAT dont la plupart sont aussi des responsables politiques et syndicaux, ont été placés en garde à vue sous plusieurs chefs d’inculpation très graves, relevant de la criminalité organisée, pour une durée de 96 heures (quatre jours).
La communication volontairement floue et contradictoire de l’État veut empêcher que le mouvement indépendantiste et l’opinion publique en France n’aient une vision de l’ampleur de cette répression. Le nombre de disparus, de blessés graves demeurent inconnus, nous exigeons une complète transparence et la vérité sur l’action des forces de l’ordre et des milices. Ces milices sont composées de colons racistes qui, sous prétexte d’autodéfense, se sont livrés à des ratonnades et des assassinats et tirs contre la population, particulièrement la jeunesse.
À cette violence directe pratiquée conjointement par l’État et les miliciens, s’est ajoutée la répression judiciaire à l’encontre des manifestants et des membres de la Cellule de Coordination des Actions de Terrain – CCAT : des centaines d’arrestations, de mandats de dépôt ont eu lieu. Il y a une volonté de la criminaliser. La CCAT est une organisation politique composée d’élu.es de partis, de syndicats et d’associations indépendantistes, qui depuis des mois organise la contestation pacifique sur le terrain (manifestations dans les rues de Nouméa de plus de 60 000 personnes). Et non pas une « minorité radicalisée ». Après les avoir qualifiés de « voyous » et de « mafieux », l’État les a assignés à résidence et interdit de communication.
Aujourd’hui, les assignations sont levées, mais des mises en examen ont été prononcées dans le cadre d’une enquête pour rechercher les « commanditaires » alors que l’État, en s’alignant sur les positions de la droite coloniale la plus extrémiste, est le seul responsable de cette situation.
Alors que les tensions baissaient dans le pays et que les appels au calme n’ont cessé de se multiplier, y compris celui de l’Union calédonienne juste après les interpellations, l’État français persiste dans ses méthodes d’intimidation et son recours à la manière forte, loin de prôner la désescalade, jette à nouveau de l’huile sur les braises.
La criminalisation de la CCAT et les perquisitions menées dans les locaux de l’UC cherchent à discréditer le mouvement indépendantiste kanak dans son ensemble au risque d’aggraver davantage une situation très chaotique.
En Kanaky-Nouvelle-Calédonie, c’est le retrait de la loi sur le dégel du corps électoral et l’ouverture d’un véritable dialogue pour un accès garanti à l’indépendance qui peut faire revenir la paix. Le projet de loi constitutionnelle de dégel du corps électoral calédonien est comprise en Nouvelle-Calédonie comme une volonté d’en finir avec le processus de décolonisation engagé par l’accord de Nouméa.
Dans cette émission, nous recevons Julie du collectif Solidarité Kanaky avec qui nous reviendrons sur la lutte d’indépendance du peuple Kanak et sur la répression qu’il subit.
Mercredi 15 mai, Macron a décrété l’état d’urgence en Kanaky après plusieurs nuits d’émeutes contre le dégel du corps électoral. Alors que les mobilisations avaient gagné en intensité ses derniers jours, la loi vient d’être votée à l’Assemblée nationale ce mercredi.
Pour rappel, la Kanaky est une colonie française depuis le 19ᵉ siècle. Elle est d’abord utilisée par la France comme une colonie pénitentiaire où étaient envoyées tout ce que la métropole comptait en pauvres, subversifs ou révolutionnaires. Elle devient une colonie de peuplement au 20ᵉ siècle, les colons français s’y installent et supplantent peu à peu les Kanaks.
En ce début 2024, après 170 ans de colonisation de la terre de Kanaky, et année anniversaire des 40 ans de création du FLNKS, le gouvernement français a décidé de présenter unilatéralement deux projets de lois sur l’avenir institutionnel de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie mettant en jeu l’avenir du peuple Kanak.
Après les affrontements violents qui ont marqué les années de 1984 à 1988, les accords de Matignon-Oudinot (1988) et de Nouméa (1998), fruit de décennies de négociations, ont permis la reconnaissance du peuple Kanak comme peuple autochtone de Nouvelle-Calédonie et ouvert un processus de décolonisation et d’autodétermination.
L’État français s’engageait à rompre avec la logique de colonisation de peuplement qui conduisait à la minorisation du peuple Kanak, d’où le gel du corps électoral établi dans les accords, en conformité avec les résolutions de l’ONU : « Les puissances administrantes devraient veiller à ce que l’exercice du droit à l’autodétermination ne soit pas entravé par des modifications de la composition démographique dues à l’immigration ou au déplacement de populations dans les territoires qu’elles administrent. »
C’était la condition pour rendre possible la recherche d’un consensus sur le devenir du pays : quelle forme de souveraineté ? Quelle relation avec la France ?
Les conditions du 3ᵉ et dernier référendum d’autodétermination fin 2021 sont aujourd’hui toujours remises en question unanimement par l’ensemble des indépendantistes Kanak. Ils avaient demandé son report pour respecter la période de deuil en pleine épidémie de la covid (en confinement, ils ne pouvaient faire campagne). L’État a imposé la date du référendum et le peuple Kanak, peuple colonisé, n’a pas participé. L’ensemble des indépendantistes ne reconnaissent pas les résultats de ce 3ᵉ référendum, une plainte a été préparée par la FLNKS en vue de faire reconnaître ces conditions inacceptables par la Cour internationale de Justice.
Aujourd’hui, sous couvert de « démocratie » le gouvernement français veut reporter les élections provinciales et modifier le corps électoral, et ainsi augmenter brutalement de 15 % le corps électoral pour les provinciales avec une ouverture à des métropolitains résidant depuis 10 ans pour diluer le peuple Kanak dans ces flux migratoires.
L’État veut balayer l’Accord de Nouméa avec ces deux projets de lois dans un calendrier très court : présentation de la loi organique (report des élections provinciales) au Sénat le 27 février puis à l’Assemblée nationale. La seconde sur le dégel du corps électoral, au Sénat dès mars. Et si aucun accord n’est conclu avec les indépendantistes avant le 1ᵉʳ juillet, il passe en force en convoquant le congrès de Versailles.
Alors que les manifestations et les blocages gagnaient en intensité en Kanaky depuis le début du mois de mai, la journée du 13 mai, veille du vote à l’Assemblée nationale, a marqué un tournant. De nombreuses routes ont été bloquées, la grève a été très suivie dans les ports et les aéroports, dans les réseaux de transports en commun et chez les camionneurs, de nombreuses administrations étaient également fermées. Des matons ont par ailleurs été pris en otage dans la prison de Nouméa pendant que des affrontements avaient lieu entre jeunes kanaks indépendantistes et forces de l’ordre dans plusieurs quartiers.
Dans la journée du mardi 14 mai, un couvre-feu a été décrété de 18 h à 6 h à partir du lendemain et des renforts ont été annoncés (quatre escadrons de gendarmerie mobile (près de 500 gendarmes), deux sections de CRS, le RAID et le GIGN). Le vote a été reporté au mercredi. Des milices loyalistes (principalement des Métros et des Caldoches [1]) ont commencé à faire leur apparition dans la soirée, tenant des barrages filtrants pour « protéger leur quartier » notamment autour des quartiers de Tuband et Ouémo.
Dans la nuit de mardi à mercredi, les révoltes ont repris malgré le couvre-feu, des boutiques ont été pillées et incendiées (Décathlon, station Total) ainsi que des établissements scolaires. En tout, la police a annoncé 130 interpellations, et une soixantaine de policiers blessés. Une nouvelle mutinerie a eu lieu à la prison de Nouméa.
Dans la journée de mercredi 15,le texte est finalement adopté. La pénurie commence à se faire sentir, les magasins sont vides. Pendant que les jeunes tiennent toujours les barrages sur les routes et que des affrontements ont lieu avec les flics, le FLNKS lance un appel au calme et à la levée des barrages. Dans la soirée de mercredi, Macron a décrété l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie. Dans le même temps, le gouvernement annonçait égalementla suspension de TikTok pendant que Gérald Darmanin commençait à signer des assignations à résidence pour des militants « radicaux » et annonçait des perquisitions à venir. L’armée a aussi été déployée pour sécuriser les ports et aéroport. Pour l’instant, le bilan s’élève à six morts dont deux gendarmes.
Face à l’offensive coloniale de l’État français en Kanaky, soutenons la lutte des Kanaks. Plusieurs conférences de presse et rassemblements ont été organisés. Aujourd’hui dans cette émission, nous vous diffusons une partie des prises de paroles du rassemblement du jeudi 16 mai à 19 h sur la Place de la République, l’interview de Romuald Pidjot de l’union calédonienne réalisé le mercredi 15 mai et la conférence de presse qui avait lieu au CICP(centre international des cultures populaires) le jeudi 16 mai par Solidarité Kanaky.
Dessins extraits du dossier de presse les Oubliés de l’atome, édité par ICAN France
Dans cette émission, nous vous proposons d’écouter des enregistrements pris dans le cadre d’une rencontre organisée par l’ICAN française, c’est-à-dire, la campagne internationale pour abolir les armes nucléaires. Lancée en 2007, cette dernière est une coalition d’organisations non-gouvernentales et opère à une échelle internationale pour promouvoir l’élimination des armes de destruction massive. C’est par l’initiative de cette coalition que fut proposé le traité aux Nations Unies portant sur l’interdiction des armes nucléaires, le TIAN, lequel fut ratifié en 2021 par de nombreux pays — aucun cependant ne faisant partie des puissances nucléaires. L’ICAN France donc, avait invitée ce mardi 23 avril 2024 la militante et politicienne polynésienne Hinamouera Cross-Morgant, laquelle s’est entretenue avec Jean-Marie Collin, directeur de ICAN France, des conséquences de ce qui est nommé communément des “essais nucléaires”, en Polynésie française.
Ces derniers qui se sont étalés sur 30 ans, du 2 juillet 1966 au 2 décembre 1995, ont eu de désastreux effets sanitaires et environnementaux, et impactent aujourd’hui encore — mais demain aussi ! — les habitants. Dans cette émission, il sera peu sujet de l’histoire nucléaire de la Polynésie, de son origine après que l’Algérie devint indépendante et du complexe militaro-industriel le soutenant, des luttes locales comme des solidarités du siècle passé et présent. Cette histoire y sera davantage racontée en creux, et constituera une première approche pour qui voudrait s’y intéresser. L’émission, dû au fait du cadre institutionnel dans lequel elle a été enregistrée, s’attardera en revanche et plus explicitement, sur la gestion des déchets nucléaires, sur la reconnaissance des victimes et des maladies transgénérationnelles, sur leur prise en charge. Vous pourrez entendre également des échanges sur l’ouverture et la gestion des archives, et sur son aspect colonial. Plus profondément, il sera sujet en filigrane du rapport à la mémoire, à la vérité, et sur ce qui fait, finalement, héritage. Qu’est-ce qu’il reste après ? Quasiment 30 ans plus tard après la dernière explosion nucléaire ?
Vous trouverez à cette adresse une courte bande-dessinée retraçant l’histoire du nucléaire en Polynésie.
Communiqué du Mouvement de la paix suite à un double-tir simultané d’un missile de croisière naval par la France le 18 avril 2024 : lien.
En cette année de l’an 2024, cela fait 38 ans qu’a eu lieu la catastrophe de Tchernobyl. Vous pourrez retrouver un lien vers le documentaire “Thernobyl, le monde d’après” de Marc Petitjean (réalisation et montage) et Yves Lenoir (auteur) à cette adresse : lien.
Le 7 février, cela faisait quatre mois que le génocide en cours à Gaza avait commencé. C’est cette date que le collectif Urgence Palestine Paris 20ᵉ avait choisi pour tenir une réunion publique autour de la mobilisation en solidarité à la résistance palestinienne. Une occasion de revenir sur l’ensemble des actions menées depuis le mois d’octobre, mais aussi de réaffirmer la nécessité de reconstruire des luttes internationalistes fortes. Malgré les manifestations, la décision de la Cour internationales de Justice, les diverses manifestations dans le monde entier et la résistance sur place, les attaques israéliennes ne baissent en intensité et le projet reste le même : faire disparaitre l’idée même de la Palestine.
Aujourd’hui, nous commençons donc par faire un bilan de la décision rendue par la Cour de justice internationale le 26 janvier dernier. Ensuite, nous diffusons des interviews réalisés le 6 février à l’arrivée de la délégation de l’association Palmed (association de médecins qui apporte une aide matérielle et un programme de développement des compétences médicales en Palestine et dans des camps de réfugiés au Liban) de retour de l’hôpital européen de Gaza.
Puis, nous reviendrons sur la mobilisation en France avec un camarade du collectif Samidoun ( réseau de solidarité aux prisonniers palestiniens), pour terminer cette émission en vous diffusant les prises de paroles de deux camarades palestinien-ne-s réalisé lors de la soirée du collectif d’Urgence Palestine paris 20ᵉ.
En appel aux prochains rassemblements en soutien à la lutte du peuple palestinien, nous vous diffusons aujourd’hui le montage d’un entretien réalisé par Blast avec Leila Shahid publié le 09 décembre 2023.
Des nombreux acteurs ayant participé aux guerres et aux négociations plus ou moins secrètes entre Israël et Palestine depuis une quarantaine d’années, Leïla Shahid est sans doute une des premières et une des dernières à pouvoir mettre un peu de lumière dans ce qui apparait de plus en plus obscur, manichéen et indéchiffrable. Ambassadrice dans de nombreux pays, déléguée générale de la Palestine, depuis son arrivée en Irlande en 1989 jusqu’à sa démission de l’Union européenne en 2015, la diplomate née à Beyrouth en 1949 a été de tous les combats aux côtés de Yasser Arafat, le président de l’OLP, puis sans lui après sa mort en 2004.
Elle démissionne en 2015, car elle se sent inutile et désarmée pour amener la paix entre les deux États. Elle préfère alors s’investir sur un terrain plus culturel. Elle prend sa retraite en France du côté des Cévennes, non loin de Nîmes, d’où elle a accordé cet entretien au long cours à Denis Robert. Le signal internet étant fluctuant, nous nous excusons de la piètre qualité de l’image. Mais peu importe au fond, le son est bon et le témoignage de Leïla Shahid, devenu rare, prime et vaut tous les cours d’histoire et de géopolitique.
RDV LE 29 DÉCEMBRE 17 H 30 MÉTRO AVRON PARIS 20EME pour une déambulation en appel au cessez-le-feu à Gaza.
RDV LE 31 DÉCEMBRE 2023 SUR LES CHAMPS ÉLYSÉES À MINUIT MUNIE DE VOS DRAPEAUX PALESTINIEN AVEC LE COLLECTIF URGENCE PALESTINE.
Depuis le vendredi 24 novembre 2023, “une trêve” dans les attaques de la bande de Gaza a été négociée en vue d’un échange entre les otages détenus depuis le 07 octobre en Palestine et des prisonnier-es palestinien-nes. Afin de mieux comprendre les enjeux liés à cette question et le rôle de la prison en tant qu’ outil du colonialisme, nous avons réalisé un entretien avec un membre du réseau international de solidarité avec les prisonier-e-s palestinien-ne-s Samidoun le dimanche 26 novembre dernier, que nous vous diffusons aujourd’hui.
Depuis le 7 octobre 2023, la lutte palestienne est remise sur le devant de la scène médiatique. L’ensemble des puissances internationales s’emparent de la question de sorte à négocier de futurs accords entre les unes et les autres, et le gouvernement français y voit une occasion d’accélérer sa politique intérieure sécuritaire. Rien ou très peu de choses sur le contexte politique au global, aussi bien en Israël qu’en Palestine. Encore moins sur les responsabilités occidentales d’une genèse coloniale qui s’applique aujourd’hui en Palestine.
Dans cette émission, nous vous diffusons donc un ensemble de témoignage, prise de parole et interviews qui nous semblent nécessaires pour dessiner les contours d’un mouvement international de solidarité. Tout d’abord vous pourrez entendre le témoignage d’une rescapée du kibboutz de Beeri. Ensuite, nous diffusons l’interview de Pierre Stanbul, représentant de l’Union des Juifs Français pour la Paix. Puis, vous entendrez une prise de parole réalisée au Vigan lors d’un rassemblement de solidarité avec le peuple palestinien interdit. Enfin, nous terminerons avec l’interview de Guy Dardel, membre du Mouvement Immigration et des Banlieues, qui reviend sur l’histoire des mobilisations de solidarité avec la Palestine depuis les années 90.
Dans l’émission de ce jour, nous entendrons intervention de l’auteur de l’article Mayotte / Comores : Généalogie d’une politique du pire paru dans le numéro de Courant Alternative. Il a répondu aux remarques, demandes de précision et interrogations sur la situation à Mayotte et aux Comores. Cette présentation se tenait dans le cadre des rencontres libertaires du Quercy qui se déroulait du 18 au 23 juillet 2023 . Elle s’appuyait sur un article publié dans Courant Alternatif du 11 juin 2023 que nous vous diffusons :
“L’opération militaro-policière Wuambushu menée actuellement par l’État français dans la colonie départementalisée de Mayotte, sous les prétextes officiels d’une destruction de l’habitat précaire et d’une lutte contre la délinquance, amalgamée à la présence jugée illégale de « Comoriens » issus des trois autres îles de l’archipel, s’inscrit dans un contexte régional tout à fait particulier dont cet article se propose d’esquisser sommairement les coordonnées historiques, politiques et sociales.
Perspective historique Outre un substrat linguistique commun, des échanges commerciaux, alliances matrimoniales ou réseaux confrériques (d’obédience sunnite) établissent des rapports multiséculaires de réciprocité entre les quatre îles de l’archipel des Comores (1). Le Protectorat français que devient Mayotte à partir de 1841 prélude à la domination coloniale que la France exerce sur l’archipel de 1886 à 1974 (2). À la décision prise en 1958 par l’État français de transférer la capitale administrative du Territoire, de Dzaoudzi (Mayotte) à Moroni (Grande Comore), suscitant la méfiance à l’égard des élites grand-comoriennes et anjouanaises, soupçonnées de favoriser leurs îles au détriment de celle de Mayotte, répond en novembre de la même année un Congrès des notables qui initie à Tsoundzou le mouvement procolonial en faveur de « Mayotte française », amplifié et structuré à partir de 1963 par le Mouvement Populaire Mahorais (MPM), matrice historique du départementalisme dont la classe politique mahoraise contemporaine est en quelque sorte l’héritière, du député LR Mansour Kamardine (adepte de la théorie du grand remplacement dans sa version mahoraise (3)) à la députée LIOT Estelle Youssouffa (aux arguties racistes délibérément criminogènes (4)), en passant par le 1er vice-président du Conseil départemental, Salime Mdéré (apprenti-provocateur de la rhétorique génocidaire (5)).
En plus d’un lobbying tenace auprès des autorités françaises, appuyé notamment par l’Action Française (sans oublier les réseaux françafricains de Jacques Foccart), l’activisme du MPM se déploie durant les années 1960-1970 à travers des milices populaires (les soroda, pour soldats), notamment féminines (les « chatouilleuses »(6)), que la perspective rapprochée de l’indépendance incite à la persécution systématique de tous ressortissants des trois autres îles (mais également de Mahorais), jugés favorables à l’unité politique de l’archipel (les serrelamen, ceux qui se tiennent la main). Dans le contexte du référendum d’autodétermination de décembre 1974 (63% des Mahorais s’y opposent) et de l’indépendance unilatéralement proclamée des Comores en juillet 1975, plus d’un millier de « Comoriens » sont expulsés ou fuient avec l’assentiment complice de l’État français, lequel promulgue une loi qui entérine le principe d’un décompte différencié des votes, séparant de fait Mayotte du reste de l’archipel (7) en contradiction avec le principe d’intangibilité des frontières coloniales, appliqué partout ailleurs au moment des indépendances, notamment africaines (depuis, la France a été maintes fois condamnée par l’Assemblée générale des Nations-Unies, sans effet…). Dans la foulée, un coup d’état fomenté par les Services français renverse dès le mois d’août 1975 le président comorien Abdallah : où le mercenaire Bob Denard inaugure vingt années de politique françafricaine aux Comores (dont l’assassinat de deux présidents, en 1978 et 1989).
« Comoriens » et « clandestins » Depuis lors, une dissociation intime travaille la géographie humaine et mentale de l’archipel. De même que l’État comorien, sous l’influence de Paris, n’exploite le sentiment d’inachèvement territorial de la nation qu’à des fins démagogiques en matière de politique intérieure, de même un spectre hante la conscience mahoraise, dans son rapport contrarié à l’État français (entre angoisse de l’abandon et affirmation du Département) : celui de cette altérité « comorienne » qu’elle s’acharne à refouler d’elle-même. Dans ce cadre, l’histoire du « clandestin » est celle de sa fabrique procoloniale, entre fiction administrative et politique schizophrène de l’identité. À cet égard, l’instauration en janvier 1995 d’un visa préalable d’entrée à Mayotte (Visa Balladur) pour les ressortissants des trois autres îles de l’archipel, officialise l’alliance objective de l’État français avec les discours du MPM et de l’extrême-droite dans leur criminalisation commune du « Comorien » (8) : « Voleurs d’emplois, de terrains, d’époux et d’épouses, de convictions et même d’identité… Dès la fin des années 80, les Comoriens des autres îles étaient accusés de tous les maux à Maore [Mayotte]. Une manière de dissimuler les véritables enjeux auxquels était confrontée l’île. ‘Non à l’envahissement des travailleurs étrangers dans nos entreprises’, ‘Non au commerce ambulant étranger et illégal’, ‘Non au développement des bidonvilles étrangers’, ‘À bas les maris étrangers’… Brandies il y a près de vingt ans – le 16 novembre 1988 – par environ 300 manifestants dont une majorité de femmes, ces banderoles illustrent toute la diversité des tares dont se trouvaient déjà accusés les ressortissants des îles voisines. » (9)
Par ailleurs, ce Visa Balladur inflige aux « Comoriens » une condition migratoire de plus en plus difficile, quand elle n’est pas tragique : lourdeur dissuasive des process administratifs (85% des demandes d’asile rejetées) ; entre 300 et 500 euros pour franchir dans un kwassa (pirogue à moteur) souvent surchargé les 70 kms qui séparent Mayotte d’Anjouan ; plus de 20.000 naufragés morts en mer durant les 25 dernières années. Conjointement aux moyens mis en œuvre par l’État français contre l’entrée et le séjour de Comoriens devenus « illégaux » dans une île de leur archipel (radars, patrouilles nautiques, surveillance aérienne, rafles, rétention) (10), de véritables raids villageois sont menés à l’encontre d’habitations précaires abritant des « Anjouanais » ; le maire d’une commune peut ordonner à ses agents d’incendier des habitations de « sans-papiers » (Hamouro, octobre 2003), sans évoquer les émeutes anti-comoriennes de mars 2008. Macron déclare en 2017 : « Le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien » – calembour de négrier. {{L’Opération, paradigme politico-militaire de la Métropole En 2019, l’opération Shikandra (11) constitue le banc d’essai de Wuambushu, avec une pratique déjà systématique du « décasage » dont l’euphémisme d’inspiration coloniale recouvre près de 1.800 habitations détruites, concernant plus de 8.500 personnes, pour les seules années 2020-2022.L’amplitude sémantique du verbe uwambushu (12) offre quelques nuances instructives : défaire pour refaire (si possible en mieux) ; le terme peut également désigner le fait d’initier une action incertaine, sans en mesurer vraiment les risques. À propos d’un tiers, il a valeur de reproche ; en référence à soi, il suggère les difficultés rencontrées dans l’action que l’on a engagée. Si Libération évoque « une opération ni faite ni à faire », il n’en demeure pas moins que l’État français et ses fidèles prétendent réagir par la brutalité aux effets mortifères du leurre procolonial qu’ils ont eux-mêmes produit :
• la cible : déporter en deux mois 10.000 personnes en situation « irrégulière » vers l’île comorienne d’Anjouan et démolir les bidonvilles. Le 21 avril, Darmanin déclare dans Le Figaro : « Nous allons détruire l’écosystème de ces bandes criminelles ». • les troupes : envoi de 510 [sic] membres des forces de l’ordre, ajoutés aux 750 policiers et 600 gendarmes déjà sur place : CRS8, GIGN, RAID. Dès le 23 avril, à Tsoundzou, le ton est donné : 650 grenades lacrymogènes, 85 grenades de désencerclement, 60 tirs de LBD, des tirs à balles réelles au pistolet automatique de la part des sinistres de la CRS8… • l’agenda, validé par Macron en Conseil de défense : « Il n’y a pas un moment où on la commence et un moment où on la termine » (Darmanin à propos de l’opération, Le Figaro, 20 avril) – caricature sordide de l’Opération Justice Infinie lancée par le Pentagone suite aux attentats du 11 septembre 2001. Plutôt indifférent aux manifestations (en métropole, à La Réunion (13)) d’une opposition sporadique à Wuambushu, en dehors de tribunes et autres appels à l’initiative d’associations de défense des droits humains, de syndicats et mouvements politiques français ainsi que d’organisations ou collectifs comoriens, le gouvernement doit néanmoins négocier certaines entraves et dissonances d’ordre éthique, juridique ou diplomatique qui ont pour effet, sinon d’enrayer le récit officiel de sa bataille de Mayotte, du moins d’en différer le double volet opérationnel (démolitions et expulsions) ; la droite et l’extrême-droite l’accusant de ne pas se donner les moyens d’un objectif qu’ils partagent par ailleurs, les élu.e.s et collectifs mahorais le pressant d’entreprendre la déportation de masse qu’ils réclament.
Contre la LDH / Contre la magistrature Les propos pernicieux que Borne, Darmanin et consorts ont tenu à propos de la Ligue des Droits de l’Homme, après que l’association a dénoncé la violence diluvienne de l’État ainsi que son entrave faite à l’intervention des secours lors de la manifestation du 25 mars à Sainte-Soline, ne sont pas sans lien avec les condamnations multiples par lesquelles la LDH et la CNCDH s’opposent à la politique migratoire de l’État français à Mayotte comme à l’indignité du traitement réservé aux habitants des quartiers pauvres (« Comoriens » ou pas), sous couvert de lutte contre l’insalubrité. Et c’est sans surprise que le député Mansour Kamardine ou le maire de Mamoudzou Ambdilwahedou Soumaïla, reprennent la rhétorique vindicative du régime à l’égard des « associations droitdelhommistes »…
Par ailleurs, dès les 24 et 25 avril, le Tribunal judiciaire de Mamoudzou suspend l’évacuation et la destruction d’habitations précaires en raison d’une absence de relogement (14). Le Préfet de Mayotte fait appel (15). Un affrontement juridique et politico-médiatique s’annonce, qui oppose en quelque sorte le droit de l’État à l’État de droit. Dans ce cadre, la présidente du Tribunal, Catherine Vannier, passe pour avoir outrageusement suspendu l’opération ; et la presse d’évoquer à charge l’ancienne vice-présidente du Syndicat de la Magistrature, « plutôt à gauche » (Europe 1, 27 avril) (16). En comparaison, le chef de la police de Mayotte bénéficie d’une mansuétude complice : Laurent Simonin fut en effet condamné dans l’affaire Benalla pour avoir transmis au barbouze la vidéo de la Contrescarpe : « violation du secret professionnel » et « détournement d’images issues d’un système de vidéoprotection »… Quant à Mansour Kamardine, il fantasme un « harcèlement judiciaire contre l’État à Mayotte » et délire sur le « caractère raciste et anti-français des associations d’aide aux immigrés clandestins », animées par des « humanistes hémiplégiques » (lefigaro.fr, 28 avril). Finalement, le 17 mai, la chambre d’appel de Mayotte autorise la destruction du quartier Talus 2 (Majicavo), démarrée avec fracas dès le 22 mai, dans l’incertitude d’un relogement pérenne pour les habitants.À noter toutefois que le 19 mai, un groupement d’associations, dont le Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN) et le Collectif comorien Stop Uwambushu à Mayotte (CSUM), formule une requête auprès de la Cour Pénale Internationale pour « crime contre l’humanité » commis par l’État français à l’encontre de Comoriens dans le cadre de l’opération Wuambushu. Il réclame conjointement l’émission d’un mandat d’arrêt international visant la députée Estelle Youssouffa ainsi que le 1er vice-président du Conseil départemental, Salime Mdéré, pour leurs propos d’inspiration génocidaire. La bataille juridique n’est pas close…
Contre (tout contre) l’État comorien… Depuis le début de l’opération, l’État comorien pratique un jeu délicat d’ouverture et de fermeture à l’égard de Wuambushu. Si le régime du colonel Azali annonce dès le 24 avril la fermeture des ports comoriens, celui de Mutsamudu (Anjouan) réouvre officiellement le 26 avril, augurant d’une reprise des expulsions. Mais le 27, c’est le gouverneur même d’Anjouan, Anissi Chamsidine, qui conditionne l’entrée des expulsés en provenance de Mayotte à la présentation d’une pièce d’identité (17) ainsi qu’à l’attestation d’une adresse de résidence dans l’île comorienne. Pour autant, la position de l’État comorien à l’égard de Paris n’en est pas moins ambiguë, comme en atteste l’accord-cadre signé en 2019 : le financement à hauteur de 150 millions d’euros par la France d’une aide au développement engage les Comores à accueillir les expulsés en provenance de Mayotte (18)… Cette ambivalence à l’égard de l’ancienne et si présente puissance coloniale (19) apparait dans l’entretien que le président Azali, promu depuis février à la tête de l’Union Africaine (20), accorde au Monde le 8 mai dans le cadre d’une visite officielle en France : « [Wuambushu] aurait pu être plus discret et efficace [sic]. Il y a un vol et un bateau entre Mayotte et Anjouan tous les jours » et, en même temps, « Je demande la levée du visa entre les Comores et Mayotte », tout en plaçant la France devant sa responsabilité historique à l’égard du département qu’elle a elle-même institué, avant que la langue de bois diplomatique ne reprenne le dessus dès le 9 mai dans un communiqué conjoint des gouvernements français et comoriens, manifestant leur volonté de « lutter contre les trafics et contre les passeurs » et de « coordonner leurs efforts communs pour la sauvegarde des vies humaines en mer »… Cynisme morbide.On comprend pourquoi le Comité Maore (dont le but est d’« œuvrer à la libération de l’île comorienne de Mayotte ») fut interdit de défiler à Moroni contre Wuambushu ; idem pour un rassemblement prévu le 14 mai devant le Palais du Peuple de la capitale comorienne, sans évoquer l’empêchement fait au gouverneur d’Anjouan de pénétrer dans l’enceinte du port de Mutsamudu, suite à sa création d’un Comité de vigilance « habilité à prendre toutes initiatives et entreprendre des actions non violentes pour éviter que la population d’Anjouan soit menacée dans sa sécurité et dans sa quiétude en raison du déplacement massif de la population par la France » (Mayotte la 1ère, 12 mai).Le 15 mai, le gouvernement comorien se déclare prêt à accueillir les expulsés volontaires (?), à l’exclusion des personnes ayant fait l’objet d’une condamnation. Dès le 17, une vingtaine de « Comoriens en situation irrégulière » (dont 4 « départs volontaires ») embarque à bord du Maria Galanta, sous la supervision menaçante de membres du Collectif des Citoyens de Mayotte dont Safina Soula déplore qu’ils ne soient « qu’une vingtaine à bord » (nouvelobs.com, 17 mai). Le soir même, le porte-parole du gouvernement comorien assure du débarquement effectif des expulsés dans le port anjouanais de Mutsamudu : « Il n’y a eu que des départs volontaires [sic] » (europe1.fr, 17 mai). Le 19, le Citadelle prend la mer à destination d’Anjouan avec 48 expulsé.e.s (de force) à son bord, tandis que les autorités comoriennes prétendent n’autoriser aucun accostage au-delà de 16h30… Encore et toujours, l’État comorien assume de jouer le jeu de Paris : un jeu de dupes, certes – et de massacre ?
Contre les « barbares » Outre un double processus de dépendance et de dépossession, qui révèle plus largement la colonialité des rapports qu’entretient l’État français avec les quatre îles de l’archipel, l’assimilation xénophobe de la délinquance juvénile à l’immigration « clandestine » (quand les mineurs en question, isolés ou non (21), sont souvent natifs de Mayotte et de nationalité française (22)), occulte les mutations sociales et culturelles que le département induit au sein de la jeunesse ; une jeunesse à la recherche d’elle-même entre les inerties d’une structure familiale traditionnelle en voie d’éclatement et la paupérisation d’une existence pliée aux lois iniques de la marchandise et de l’argent, soumise à la violence accrue d’un rapport social capitaliste dont les milliers d’enfants et adolescents (« comoriens » et « mahorais » confondus) actuellement non (ou peu) scolarisés à Mayotte, éprouvent la terreur et la désespérance, exposés qu’ils sont à la mendicité, à la chimik (mélange de cannabis et d’alcool), aux rafles policières, etc…À cet égard, la haine que le député LR Mansour Kamardine voue à la figure expiatoire du jeune « barbare » comorien (lefigaro.fr, 28 avril) ne fait que trahir l’ampleur d’un point aveugle : celui de « Mayotte française », de son impasse et de son échec (23). Quant aux opérations de blocage devant les établissements de soins supposés favoriser les « Comorien.ne.s » (24), ils n’apaiseront pas un refoulé aussi ravageur. La surcharge des infrastructures sanitaires, dispensaires et maternités, serait due aux « Anjouanaises » venues accoucher à Mayotte, avant de repartir sans leur progéniture, promise au droit du sol… L’accusation, au relent de préférence biologique, recoupe la théorie du grand remplacement dont le député LR Mansour Kamardine (25) est l’un des plus fervents adeptes : « La politique du grand remplacement doit cesser » (Mayottehebdo.com, 24 avril) ; tandis qu’Estelle Youssouffa (26) (LIOT) évoque un « enfer migratoire à Mayotte » sur Radio Courtoisie (24 avril). De toute évidence, le Rassemblement National (à Mayotte, 59% au second tour des présidentielles de 2022) dicte le vocabulaire du champ politique mahorais. En vérité, Mayotte dispose d’un système de soins lacunaire dont 170 membres du personnel de santé hospitalier et libéraux de l’île dressent le constat alarmant dans la lettre qu’ils envoient le 3 avril aux autorités afin d’exprimer leur inquiétude quant à la catastrophe sanitaire que l’opération Wuambushu ne manquerait pas de produire.Qu’importe ! Le 2 mai, le sénateur de Mayotte Thani Mohamed Soilihi appelle à un « Wuambushu de l’éducation, de la santé et du logement » – un programme de discriminations sanitaire et scolaire, assorti de pogroms, comme y incitent ces dernières semaines plusieurs tracts (sans parler des réseaux sociaux) appelant par exemple à chasser les « étrangers » de leurs habitations, ou commandant à ces derniers de quitter Mayotte : « N’oubliez pas d’emmener vos enfants avec vous. Ils font partie de vos bagages » (Bouéni, 13 mai). À Moinatrindri, dans la nuit du 14 au 15 mai, un commando encagoulé digne des soroda enlève un propriétaire (mahorais) dont il saccage le domicile, au motif qu’il louerait à des « Comoriens » jugés illégaux. Relais d’un récit officiel qui construit et impose la figure du jeune-délinquant-comorien-en-situation-irrégulière comme la cause unique de tous les malheurs mahorais, Mayotte la 1ère recouvre le silence complice qui règne dans le village d’un « nuit de violences » suffisamment vague pour maintenir par amalgame un imaginaire favorable à Wuambushu.« Clandestins », « voyous », « bandes criminelles », « jeunes armés de machettes » ? Du point de vue de l’appareil procolonial, de sa police, de sa Justice (27) et de ses médias, l’équation semble donc évidente : « On a d’abord vu un Comorien déguisé en femme enceinte », dixit un flic à propos d’affrontements à Doujani. En réalité, ce que dissimulent les combinaisons blanches de chantier portées par certains émeutiers (comme à Tsoundzou), ce sont toutes les misères françaises d’une île qui n’en sont pas moins les mieux partagées au monde ; ce monde hostile dans lequel ils vivent, s’y montrant hostiles à tout le monde, pour paraphraser Alèssi dell’Umbria. Néanmoins, le repli tactique qu’opèrent certains « délinquants » dans les collines n’est pas sans rappeler l’histoire marronne du m’toro fugitif, en rupture avec l’impôt colonial ou l’asservissement. Dans ce cadre, l’intervention menée le 12 mai par quelques jeunes en cagoules, blouses blanches et machettes (selon Mayotte la 1ère) contre le blocage du Centre médical de Dzoumogné, témoigne d’un acte de résistance face à la manifestation xénophobe d’un ordre social inique. De même, si le caillassage d’un bus de soignants du Centre Hospitalier de Mamoudzou (Mayotte la 1ère, 17 mai) relève assez du régime de l’agression, trop souvent propice à la confusion anomique des cibles, il n’en exprime pas moins un sentiment de révolte à l’égard d’une institution de soins identifiée (à tort ou à raison) au Collectif mahorais qui en occupe depuis des jours le parvis d’entrée, incarnant de fait la perspective infâme d’un apartheid sanitaire (28).
Épilogue provisoire À l’heure où démolitions et expulsions vers les Comores reprennent, après les revers essuyés par Darmanin ces dernières semaines, l’île aux parfums s’abîme dans les marécages nauséabonds de sa fiction identitaire, et suicidaire (29) – tandis qu’elle s’apprête à connaître les restrictions d’eau les plus importantes de son histoire. Au cours de sa prise de parole, à l’occasion du rassemblement tenu Place de la République à Paris le 15 avril dernier à l’appel du Collectif Stop Uwambushu à Mayotte (CSUM), l’écrivain et artiste comorien Soeuf Elbadawi déclare : « Je comprends que Darmanin ait envie d’expérimenter à Mayotte ce qu’il essaiera de faire plus tard, sur l’ensemble du territoire français, avec son projet de loi de l’immigration. Permettre à ce que des déplacements de population, pour ne pas dire des déportations de masse, aient lieu, est une limite que l’État français se doit de ne pas franchir (30)… Aujourd’hui, nous savons que ce sont les États qui s’allient contre les intérêts des habitants de cet espace… [Mais] la vérité, j’ai envie de dire, jamais ne se noie ».
Gamal Oya,
24 mai 2023″
Notes (1) Grande Comore (Ngazidja), Mohéli (Mwali), Anjouan (Ndzuani) et Mayotte (Maore). (2) Unité administrative qui prend le nom de « Mayotte et dépendances » en 1892, avant d’être rattachée à la colonie française de Madagascar en 1912 et de constituer un Territoire d’Outre-Mer à part entière en 1946. (3) Ce vétéran du sarkozysme souhaite que « tout ressortissant comorien sollicitant un visa ou un titre de séjour pour la France reconnaisse, par écrit, l’appartenance de Mayotte à la France »… (Mayotte la 1ère, 29 avril). (4) « 80 % des élèves de Mayotte sont des Comoriens totalement illettrés, des bébés barbus [sic], des élèves inscrits au CP en pleine adolescence » ; « Il faut exterminer toutes ces vermines » (CNews, 24 avril). (5) « … ces délinquants, ces voyous, ces terroristes… à un moment donné, il faut peut-être en tuer, je pèse mes mots. Il faut peut-être en tuer » (JT de Mayotte la 1ère, 24 avril). Salime Mdéré se présentait pour LREM aux élections départementales de 2021 dans le canton de Bouéni. (6) La place des femmes est prépondérante dans le soutien public à Wuambushu. Parmi bien d’autres, Safina Soula, fondatrice du Collectif des Citoyens de Mayotte, est l’incarnation caricaturale de la chatouilleuse en quelque sorte radicalisée (à l’instar de la députée Estelle Youssouffa) : « Avec 80% de naissances d’enfants qui ne sont pas Français, Mayotte dans quinze ou vingt ans sera une île comorienne… Ce n’est rien du tout 1.000 cases. J’aurais préféré un plan global, raser toutes les cases en tôle existantes » (mayottehebdo.com, 24 avril). (7) Lors du nouveau référendum que la France organise à Mayotte en février 1976, 99% des voix s’expriment en faveur de « Mayotte française », laquelle obtient le statut de Collectivité territoriale. Le Conseil général demeurera sous la tutelle du préfet, qui fait office de gouverneur colonial, jusqu’à juillet 2001, date à laquelle Mayotte devient une Collectivité départementale, création hybride sur la voie de la départementalisation (mars 2011). (8) Mayotte est aussi la destination de personnes issues de l’Afrique des Grands Lacs, de Madagascar, voire du Sri Lanka. (9) Cité in L. Giachino & R. Carayol, « ‘Étrangers’ à Maore : le fantasme de la cinquième colonne », Kashkazi, n°73, 2008. (10) Une mise au point : les naufragés ne périssent pas en raison de la précarité qui les inciterait à rejoindre le mirage mahorais « au péril de leur vie » mais bien parce que la PAF française accule les embarcations qu’elle traque à emprunter des voies de navigation dangereuses : les eaux peu agitées des passes balisées (reliant le lagon au large) sont ainsi délaissées au profit des lames tourmentées au-dessus de la barrière de corail. De telles conditions demeurent étrangères aux mêmes embarcations qui circulent normalement entre les trois autres îles « comoriennes » de l’archipel. (11) Le terme emprunté à la langue comorienne (et retourné contre ses locuteurs) désigne un poisson redouté du lagon, habitué à défendre son territoire en mordant les baigneurs : les Comoriens, à la mer ? Une vidéo montre deux femmes mahoraises, participant à la manifestation du 29 avril en soutien à Wuambushu, intimer à une « Anjouanaise » de se « jeter à la mer »… (12) En effet, wuambushu procède d’une déformation morphologique du verbe uwambushu. (13) Presque impossibles à Mayotte, où les quelques syndicats (CGT, FSU, Solidaires) et associations (caritatives, humanitaires) qui tentent d’exprimer publiquement leur opposition à Wuambushu sont l’objet d’invectives, voire de menaces, de la part des collectifs comme de la plupart des élu.e.s mahorais en faveur de l’opération. (14) Il s’agit du quartier Talus 2 à Majicavo, sur la commune de Koungou, où vivent des familles (de nationalité française ou pas) engagées pour certaines depuis des années dans une procédure de titrisation des parcelles sur lesquelles elles se sont initialement installées avec l’aval des autorités. En fait de relogement, des lieux tels que la MJC de M’tsapéré sont réquisitionnés en guise de Locaux de Rétention Administrative, en complément du CRA (136 places) déjà saturé et sous tension (26000 retenu.e.s en 2022, triste record national). Quant à la prison de Mayotte, elle est à plus de 300% de sa capacité ! À quand les stades ?… (15) En poste à Mayotte depuis 2021, auparavant Préfet délégué pour la défense et la sécurité (Auvergne-Rhône-Alpes), Thierry Suquet est né en 1960 à Constantine (Algérie). (16) La même n’en préside pas moins les audiences en rapport avec des comparutions immédiates qui participent de la répression pénale en cours dans le cadre de Wuambushu. (17) Se débarrasser de ses papiers peut éviter le renvoi vers son pays d’origine. (18) Comble de l’ignominie, cet accord-cadre (se) raconte que « la jeunesse [comorienne] cherche un salut dans des contextes qui semblent plus accueillants et plus propices à [son] épanouissement comme Mayotte » ! Par ailleurs, le cynisme de ce « partenariat migratoire » rappelle l’accord que le Royaume-Uni a conclu avec le Rwanda, qui accepte en échange de 140 millions de livres sterling de recevoir les migrants que Londres serait dans l’incapacité d’expulser vers leur pays d’origine. (19) Ne parle-t-on pas de pétrole, quelque part entre le Mozambique et les Comores ? (20) Une présidence qui permettrait à Azali de réactiver le Comité Ad Hoc 7 de l’UA en rapport avec l’île comorienne de Mayotte, un comité en sommeil depuis les années 1990. Le fera-t-il ? (21) Le sociologue Nicolas Roinsard contextualise ainsi le phénomène des « bandes » à Mayotte : « Certains ont quitté le domicile familial à la suite d’un conflit ou de l’expulsion d’un parent, d’autres pour soulager leur mère isolée et paupérisée… » (lejdd.fr, 16 mai). (22) Certains sont nés de l’union « mixte » d’un Mahorais avec une Comorienne, mais restent perçus comme des « étrangers ». (23) À Mayotte, près de la moitié des 18-30 ans subit le chantage systémique au salariat depuis la condition reléguée du chômage, dans une île d’environ 280 000 habitants dont un sur deux a moins de 20 ans, quand 70 % de la population vit sous le seuil national de pauvreté (moins de 30€ par jour). (24) Depuis le 4 mai, avec le blocage puis la fermeture (sur décision du Centre Hospitalier de Mamoudzou, dont le directeur dépose plainte contre X) du Centre de consultation et de soins de Jacaranda, à l’appel du Collectif des citoyens de Mayotte, le mouvement se poursuit par l’entrave des accès au CHM ainsi qu’à la plupart des autres établissements de santé dans l’île, empêchant ainsi les « clandestins » d’accéder aux soins, dans le cadre d’une protestation coordonnée contre la suspension (levée depuis le 17 mai) des expulsions initialement prévues vers l’île comorienne d’Anjouan. (25) Outre une propriété en Grande Comore, il possède de la famille à Anjouan, où il a célébré son grand-mariage coutumier. (26) D’une mère d’origine belge et d’ascendance grand-comorienne du côté paternel. (27) Comparutions immédiates, convocations de mineurs, procès sommaires, condamnations à plusieurs années de prison ferme… Darmanin brandit ses trophées de guerre : « À Mayotte, la fermeté paie. Merci aux policiers et gendarmes qui ont mené plusieurs interpellations très importantes ces derniers jours, notamment des chefs de bandes » (un tweet). (28) Si les personnels de santé semblent désapprouver (plus ou moins ouvertement) l’entrave faite aux soins de la part des Collectifs mahorais, la Préfecture relativise les blocages qu’elle attribue à des « femmes inoffensives », complaisance manifestée le 19 mai au cours d’une audience du tribunal administratif de Mamoudzou, dans le cadre d’une requête formulée à l’encontre du préfet de Mayotte par une patiente s’étant vue refuser l’accès à l’hôpital malgré sa pathologie lourde. (29) Ironie tragique : le 22 mai, un ouvrier mahorais de l’entreprise Tetrama, engagée dans la destruction de Talus 2 (Majicavo), est victime d’un AVC devant son propre domicile promis à la démolition… (30) Une limite que le député LR Mansour Kamardine incite à franchir lorsqu’il propose de « réfléchir aux voies et moyens législatifs pour couper les pompes aspirantes que sont le droit du sol, l’accès au système de soins gratuits et illimités pour les étrangers… et l’obligation pour les collectivités de scolariser des enfants jetés par leurs parents sur nos plages » (lefigaro.fr, 28 avril). Le même déclare encore sur le site de Valeurs Actuelles, dont l’éditorial oblique du 5 mai s’intitule « Mayotte, laboratoire de catastrophe générale » : « L’opération de restauration de l’État de droit Wuambushu est une urgente nécessité pour Mayotte, dont il conviendra de tirer les leçons pour la métropole ».