VIOLENCES FAITES AUX FEMMES la prison est-elle la solution?

Violences faites aux femmes, la prison est-elle la solution © Sophie Larouzée-Deschamps

Tout d’abord, avant de commencer cette émission, nous tenons à préciser qu’il n’est pas question pour nous de sous-estimer ou banaliser la question de la violence faite aux femmes. Nous ne prenons pas à la légère son traitement, bien au contraire.

Nous, qui nous interrogeons sur la pertinence de l’existence des prisons, nous souhaitons interroger l’une de ses justifications ; la violence faite aux femmes.
Nous saluons le courage de l’Observatoire international des prisons (OIP) qui s’est saisi du dossier dans son numéro d’avril 2023 et qui va nous permettre de nous confronter à la question ; est-ce que la prison est la solution ?

Nous parlons de courage tant la seule réponse aux crimes et délits inscrits dans la loi semble être de nature sécuritaire, les peines ne sont jamais assez lourdes pour condamner les agresseurs et soigner les victimes. La protection des unes passe-t-elle nécessairement et uniquement par la répression des autres ?

Pour parler de cette question, nous recevons, Prune Missoffe, membre de l’observatoire international des prisons

Environ 30 % des condamnés détenus le sont pour des violences conjugales[1] ou sexuelles. Ils étaient ainsi plus de quinze mille hommes à être emprisonnés pour ces motifs au 31 décembre 2022[2]. C’est presque quatre mille de plus qu’en 2020[3]. L’augmentation du nombre de condamnations à de la prison ferme ces cinq dernières années (voir graphique) reflète d’abord celle du nombre d’affaires enregistrées par la justice (+27% entre 2015 et 2021), dans le sillage du mouvement #MeToo et de la dénonciation croissante des féminicides.

Elle traduit aussi un changement de politique pénale, surtout en matière de violences conjugales, le Grenelle étant passé par là à l’automne 2019.

Ainsi, 63 % des affaires poursuivables ont fait l’objet de poursuites pénales en 2021, contre 55 % en 2015. Dans le même temps, les alternatives aux poursuites, dont les possibilités ont été réduites par le législateur[4], ont baissé de dix points, passant de 41 % en 2015 à 31 % en 2021[5]. En matière de violences sexuelles hors cadre conjugal, l’augmentation des poursuites, comme celles des condamnations, est bien moindre[6], en raison sans doute, des particularités de ce contentieux (lire page 23).

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Evolution du nombre de poursuites et de condamnations en matière de violences conjugales et sexuelles entre 2016 et 2021 © Claire Béjat (OIP)

« À la permanence générale, les violences conjugales, c’est notre plus gros contentieux avec les délits routiers. Le nombre de gardes à vue a explosé, témoigne Anne Laure Le Galloudec, vice-procureure chargée des violences intrafamiliales au tribunal de Lille. Qui dit plus de gardes à vue, dit aussi plus de réponses immédiates : on a près d’un an et demi de délai pour les jugements par convocation. On ne peut pas se le permettre sur ce type d’affaires. »

Alors que 3600 faits de violences conjugales avaient été jugés par comparution immédiate en 2016 au niveau national, ils étaient près de 9500 en 2021. Ce traitement n’est toutefois pas systématique, nuance la magistrate, et est généralement réservé aux personnes ayant des antécédents et aux cas de violences relativement graves[7]. Reste que ce contentieux arrive massivement devant les tribunaux correctionnels.

Si les magistrats prononcent majoritairement des peines de sursis[8], le plus souvent probatoire[9] (celles-ci pouvant donner lieu à révocation et incarcération, en cas de non-respect d’une interdiction de contact par exemple), les peines fermes pleuvent aussi et ont été presque multipliées par deux en cinq ans[10].  

En prison, une prise en charge dispersée et lacunaire

Malgré cet afflux, il n’existe pas, à l’heure actuelle, de politique de prise en charge structurée en milieu fermé s’agissant des auteurs de violences conjugales, de l’aveu même de la Direction de l’administration pénitentiaire (Dap). « On reste sur un nouveau public spécifique pour l’administration pénitentiaire, avec un dispositif dont le pilotage national est relativement récent puisqu’il date de 2020, et qui a été largement mobilisé par le développement du bracelet antirapprochement (lire page 22) et celui du contrôle judiciaire avec placement probatoire (lire l’encadré) », reconnaît Romain Emelina, chef du département Parcours de peine.

« Notre priorité actuellement est d’avoir une analyse plus fine de ce qui se fait sur le terrain, pour identifier les bonnes pratiques et travailler à leur diffusion », complète Laetitia Bercier, référente nationale sur le sujet. Ainsi le choix de proposer ou non des formes de prises en charge spécifiques est-il, jusqu’à aujourd’hui, laissé à l’initiative des services pénitentiaires d’insertion et probation (Spip), sans que la Dap ne soit « en capacité de fiabiliser les données » s’agissant du nombre de personnes qui pourraient avoir été touchées par ce type d’action.

Les résultats partiels d’une étude actuellement menée par le Centre interdisciplinaire de recherche appliquée au champ pénitentiaire (Cirap) permettent néanmoins de se faire une idée : sur les 128 Spip ayant répondu à l’enquête (soit un peu moins de la moitié d’entre eux), seulement 60 % proposeraient des prises en charges collectives sur cette thématique – 47% des répondants intervenant uniquement en milieu ouvert[11].

Leur organisation vient en outre se rajouter à la charge de travail déjà lourde des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, si bien que leur fréquence, et donc le nombre de personnes touchées, est souvent très faible. Leurs formes et leurs contenus sont par ailleurs très hétérogènes.

Il peut s’agir d’actions de « sensibilisation » ou « responsabilisation » – souvent confiées à des associations extérieures, de groupes de parole ou encore de programmes de prévention de la récidive. « Généralement, l’approche privilégiée est l’approche cognitivo-comportementale. Celle-ci soutient l’idée qu’une modification durable du comportement est possible par l’apprentissage de pensées et de comportements tels que le développement de la maîtrise de soi ou de stratégies d’évitement.

Ces programmes mettent l’accent sur la responsabilité individuelle. Mais ce faisant, les causes psychologiques, subjectives ou inconscientes de ces violences, de même que leurs facteurs sociaux, structurels sont sous-exploitées dans la majorité des programmes », explique Lucie Hernandez, enseignante-chercheuse en psychologie, qui pilote l’étude menée par le Cirap. Toujours dans cette approche cognitivo-comportementale, la Dap expérimente actuellement dans deux établissements pénitentiaires un outil de réalité virtuelle, censé s’insérer dans une prise en charge globale.

Concrètement, il s’agit d’un casque de réalité virtuelle, dans lequel est projeté un film d’une douzaine de minutes, « qui place d’abord le spectateur dans la peau de l’auteur, puis dans celle de la victime, et enfin de l’enfant du couple, ce qui permet à l’auteur de ressentir les émotions des victimes lors des scènes de violences », explique Laetitia Bercier. 

Pour Lucie Hernandez, si ce type de programme et d’outil peuvent permettre de lancer une réflexion et d’amorcer une prise de conscience chez les auteurs, « il faut que des suivis psychologiques prennent le relais » si l’on veut espérer agir réellement et durablement sur les problématiques.

Les psychologues font cependant cruellement défaut en détention, si bien que peu de personnes peuvent bénéficier d’un réel suivi[12]. Le constat est le même s’agissant des addictologues, alors même que de nombreuses situations sont sous-tendues par une addiction à l’alcool ou à d’autres produits stupéfiants[13].

Enfermés dans un univers quasi exclusivement masculin, où les rapports de force et la violence sont quotidiens[14], sans autre forme de prise en charge qu’un suivi criminologique et médico-psychologique erratique – quand il n’est pas inexistant : difficile, dans ces conditions, d’espérer une remise en question des condamnés (lire page 31). « La difficulté c’est qu’en maison d’arrêt, en tous cas au centre pénitentiaire de Fresnes, l’accès aux soins est extrêmement limité notamment du fait de la surpopulation carcérale, donc de fait, les personnes souvent n’évoluent pas ou peu pendant leur détention, rapporte Lorraine Cordary, représentante du Syndicat de la magistrature et juge de l’application des peines à Créteil. Or, pour accorder un aménagement de peine, on leur demande d’évoluer, qu’un vrai travail introspectif soit entrepris. C’est le serpent qui se mord la queue… »

Concilier objectifs de réinsertion et protection

De manière générale, les juges de l’application des peines interrogés estiment être aujourd’hui plus exigeants qu’ils ne l’étaient auparavant avec ces condamnés. Les aménagements de peines sont d’autant moins facilement accordés que de récentes modifications législatives viennent encore en compliquer l’octroi dans ce type de contentieux. Un décret du 24 décembre 2021, adopté à la suite du drame d’Epinay-sur-Seine[15], oblige désormais l’autorité judiciaire à aviser la victime de toute sortie de détention d’un auteur de violences conjugales.

Une prise en compte de la personne victime salutaire, qui a néanmoins des effets pervers. « Cette obligation d’information s’impose à nous à la fois pour les libérations temporaires et pour les sorties aménagées et définitives. Donc quand un condamné fait une demande de permission de sortir, même pour une durée très courte, il faut aviser la victime, ce qui n’est pas toujours simple – et peut en outre être assez anxiogène pour elle (lire page 26), souligne Ludovic Fossey, membre de l’Association nationale des juges de l’application des peines (Anjap). Pour garantir cela, il faut prévoir une quinzaine de jours entre l’examen en commission d’application des peines et la date de la sortie, ce qui peut être compliqué quand ce sont des rendez-vous avec des structures d’accompagnement, avec Pôle emploi, etc. Cela rend aussi presque impossible d’autoriser une sortie en urgence, lorsque survient un décès dans leur famille par exemple. »

Pour ce magistrat, « le risque, c’est de ne plus accorder de permission de sortir aux gens condamnés pour ces faits-là pour ne pas avoir à informer la victime. Et dans ce cas, on se retrouve avec des sorties sèches, pas préparées. Il faut trouver un équilibre entre la protection des victimes et les objectifs de réinsertion », conclut-il.

Les deux ne s’opposent d’ailleurs pas forcément : les études montrent en effet que plus une fin de peine est préparée et accompagnée, moindre est le taux de récidive[16]. Une autre recherche d’ampleur, belge cette fois, dresse un autre constat : en matière de violences conjugales, « au plus la décision judiciaire est lourde, au plus également le taux de récidive est élevé »[17]. Celui-ci est ainsi évalué à 24 % en cas de classement sans suite, à 36 % en cas d’alternative aux poursuites, à 44 % en cas de détention provisoire et à 53 % après une condamnation, « avec dans ce dernier cas des résultats très similaires pour l’amende ou l’emprisonnement ».

S’il est probable que des caractéristiques spécifiques à chacun des groupes considérés puissent expliquer en partie ces résultats, « l’hypothèse selon laquelle la réaction judiciaire mettrait un frein au cycle de la violence conjugale ne trouve en tout cas aucune confirmation statistique, au contraire », souligne la chercheuse, rejoignant les constats d’autres travaux menés à l’étranger[18]. Si l’incarcération peut, dans certaines situations d’urgence, permettre de protéger une victime provisoirement, cette « solution » est donc loin d’être sécurisante sur le long terme.

 Dépasser l’approche répressive

Ces dernières n’en sont parfois que trop conscientes (lire page 26). Telle cette femme dont le compagnon purge actuellement une peine de dix-huit mois de prison pour des violences verbales et dégradations matérielles à son encontre commises sous l’effet de l’alcool. Ce n’était pas la première fois. Elle dresse des précédentes condamnations de son partenaire un bilan amer : « La prison n’empêche pas la récidive. Elle détruit mais ne résout pas les problèmes psys, les addictions… La sortie est “sèche”, pas assez de contrôle, de soutien. » « J’aurais préféré qu’il y ait des soins, un suivi, pas de la prison ferme car ça n’arrange rien du tout », confie une autre femme, dont le conjoint a écopé, en comparution immédiate, d’une peine de dix-huit mois pour des violences à son encontre. 

Une interdiction de contact a aussi été prononcée. « J’en ai souffert, témoigne-t-elle. J’aurais préféré qu’il n’y ait rien de tout ça. Si c’était à refaire, je ferais les choses différemment. Ça été trop vite et trop sévère. »

Si ces témoignages peuvent poser la question de l’emprise, ils n’en sont pas moins à prendre au sérieux pour ce qu’ils disent du traitement encore trop souvent exclusivement répressif de ces situations. Le risque qui se lit en filigrane : que dans le futur, les victimes préfèrent passer sous silence des violences, si celles-ci venaient à se reproduire.

« Parmi les dossiers classés que j’ai pu examiner, il y a des plaignantes qui se désistent de la procédure, notamment dans le cadre conjugal, parce qu’elles ne veulent pas aller jusqu’à envoyer leur conjoint, amant, petit ami devant une cour d’assises et en prison. Parce qu’elles l’aiment, que c’est le père des enfants, qu’elles estiment qu’il a compris, ou qu’il a surtout besoin d’aide, d’être soigné. Peut-être que si le viol était passible d’une moins lourde peine que celle dont il est passible aujourd’hui, il y aurait plus de plaintes ? », s’interroge ainsi la sociologue Véronique Le Goaziou, à l’issue d’un long travail d’enquête sur le traitement des viols par la justice (lire page 23).

Aussi, c’est bien la nécessité impérieuse d’une prise en charge globale qui émerge de tous ces témoignages – ce que tente d’ailleurs bien souvent de faire la justice à travers certaines alternatives aux poursuites ou peines en milieu ouvert. Mais le maillage territorial en matière d’accompagnement psychologique, médicosocial et socioprofessionnel est loin d’être optimal et les structures sont bien souvent saturées.

À ce sujet, le Grenelle contre les violences conjugales a permis une avancée, en impulsant la création de centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales un peu partout en France (lire page 28). Ces derniers ont pour ambition de structurer et visibiliser l’offre d’accompagnement sur les territoires. Afin d’amorcer un travail sur toutes les facettes de la problématique, y compris hors du cadre judiciaire.

Sur ces situations comme sur bien d’autres, la justice ne peut pas tout – et fait même parfois plus de dégâts (lire pages 23 et 38). Aussi y a-t-il urgence à inventer d’autres formes d’interventions, soucieuses à la fois des besoins des auteurs et de ceux des victimes. C’est également à un important travail de prévention et de déconstruction des rapports de genre et des masculinités qu’il s’agit de s’atteler (lire page 33). En ce domaine-là, le chemin est encore long.

Par Laure Anelli

Cet article est paru dans la revue DEDANS DEHORS n°118 – avril 2023 : Violences faites aux femmes, la prison est-elle la solution ? 

LUTTE CONTRE LES VIOLENCES POLICIÈRE

Nous consacrons cette heure a la lutte contre les violences policières lors de la marche commémoratif pour Lamine Dieng samedi 20 Juin ensuite au reportage réalisé le lundi 22 juin 2020 a Stains suite a l’appel du collectif Justice pour Adama Traore!