LE NOUVEAU RSA SOUS CONTRAINTE
Le lundi 6 novembre de 19h à 21h se tenait à la bourse du travail de Paris une réunion d’information sur la réforme du RSA, organisée par Stop précarité. Les invités pour en causer étaient Alain Guezouqui qui est au RSA et qui sait de quoi il parle et Sophie Rigard du Secours Catholique.
Prochaine rencontre : Lundi 4 décembre, sur les Prudhommes, avec comme invité : Hélène Meynaud (universitaire) et Rachel Spire (avocate), à la bourse du Travail de Paris 85 rue Charlot salle Petite Congrès.
Stop Précarité (evelyne.perrin6@orange.fr) tel 06 79 72 11 24, et Changer de Cap (contact@changer2cap.net). L’examen à l’Assemblée nationale de la réforme du revenu de solidarité active s’est conclu dans l’indifférence générale. Loin d’une politique ambitieuse de retour à l’emploi, elle conduira à des radiations massives, dénonce le député de La France insoumise Hadrien Clouet.
5 octobre 2023
Alors que l’Assemblée nationale a achevé mardi 4 octobre l’examen de la loi dite « pour le plein emploi », qui sera adoptée par un vote solennel le 10 octobre, le député insoumis de Haute-Garonne, Hadrien Clouet, par ailleurs sociologue du travail et coauteur de Chômeurs, vos papiers ! (Raisons d’agir), revient sur les conséquences de l’adoption des quinze heures d’activités obligatoires pour les allocataires du revenu de solidarité active (RSA).
Outre un risque accru de radiation massive pour des millions de personnes vivant aujourd’hui de cette aide, il y voit l’accomplissement d’une « offensive néo-conservatrice » démarrée sous Nicolas Sarkozy. Et à laquelle la gauche a de plus en plus de mal à s’opposer.
Mediapart : La semaine dernière, l’Assemblée nationale a voté l’imposition de 15 heures de travail obligatoire pour les allocataires du RSA. Cette mesure est-elle applicable au vu du manque de moyens dévolus à l’accompagnement des allocataires ?
Hadrien Clouet : Tout le texte est une usine à gaz largement inapplicable. Rappelons que son point d’entrée, c’est d’abord l’inscription automatique de tout le monde comme demandeurs d’emploi. Cela veut dire que demain, il y aura, en plus des chômeurs, deux millions d’allocataires du RSA, mais aussi leurs conjoints et leurs conjointes – puisque le RSA est versé au ménage –, et également les personnes en situation de handicap qui devront pointer à Pôle emploi.
Cette inscription généralisée des personnes dans la catégorie « demandeurs d’emploi » se fait à la fois dans une optique de contrôle – il s’agit de recenser tout le monde dans le même fichier pour mieux lutter contre la fraude –, mais aussi dans l’idée de faire signer à tout le monde, y compris aux allocataires du RSA, des « contrats d’engagement » qui créent une obligation nouvelle : celle d’accepter des heures d’activités obligatoires, sous peine de suppression totale de l’allocation.
Que recouvre concrètement le terme d’« activités » ?
Justement, on n’en sait rien ! Durant les débats dans l’hémicycle, on nous a dit que ce serait à la discrétion des agents de Pôle emploi qui décideraient de quelle activité ils attribueraient à untel ou unetelle.
Au commencement des discussions, Olivier Dussopt [ministre du travail – ndlr] nous expliquait qu’il s’agirait d’activités socioculturelles. Puis Paul Christophe, le rapporteur du texte, a bien spécifié qu’il s’agirait de stages, de mises en situation professionnelles, de méthodes de recrutement par simulation, bref, d’activités qui sont en fait du travail. Au passage, cette obligation d’activité en échange de l’allocation signifie aussi que la formation n’est plus rémunérée, ce qui était un acquis depuis 1945.
Hadrien Clouet intervient lors de la discussion du projet de loi sur le plein emploi à l’Assemblée nationale à Paris, le 25 septembre 2023. © Photo Raphaël Lafargue / Abaca
Une fois dit cela, tout reste flou. Qui peut assurer que les gens trouveront quinze heures d’activité ? Qui va décider du contenu des 15 heures : les directions d’agences, les conseillers Pôle emploi, les agents du contrôle de la recherche d’emploi qui font tout à distance, sans jamais voir les bénéficiaires ? Quelles activités seront proposées
À La Réunion [où a eu lieu une expérimentatio?n des heures d’activités obligatoires – ndlr], on s’est aperçu que les allocataires faisaient du réassort dans un magasin pour les soldes d’hiver… Là, on est clairement dans une déstabilisation du salariat, qui crée des logiques de dumping.
La loi précise qu’il y aura des exemptions, par exemple pour les mères isolées…
Là encore, c’est le grand flou ! Et ce n’est jamais bon : puisque le principe des quinze heures est passé, il suffira de décrets et de circulaires pour exclure ou inclure les gens dans le dispositif et ce sera donc discrétionnaire. C’est la même chose pour ce qui concerne les sanctions : le gouvernement met le principe dans la loi, et renvoie aux agents en première ligne la tâche de déterminer les cas. Il s’agit de créer des situations dérogatoires au salariat pour baisser le coût du travail.
L’individualisation du suivi n’est-elle pas préférable à des règles imposées d’en haut ?
Personnellement, j’ai confiance en l’humanité des conseillers de Pôle emploi qui n’ont d’ailleurs jamais vraiment appliqué la loi sur « l’offre raisonnable d’emploi » instaurée par Sarkozy, puis poursuivie par Hollande et Macron. Mais ce qui m’inquiète, c’est que, puisqu’il n’y aura pas assez de conseillers Pôle emploi, on va voir se développer les plateformes à distance et se renforcer l’intégration des opérateurs privés de placement au sein même du service public de l’emploi – c’est ce que permet la transformation de Pôle emploi en « France Travail ».
Je crains que la logique de gestion par des plateformes automatisées et par le privé aboutisse au contournement du « filtre » des conseillers, et que le nombre de radiations se multiplie pour un oui ou pour un non. Soit parce que les gens ne peuvent pas se payer un billet de train ou parce qu’ils ont un pépin de wifi, ce qui les empêche d’honorer des rendez-vous par exemple.
D’ores et déjà, la plupart des 300 000 personnes radiées par semestre du chômage le sont pour des histoires de rendez-vous ratés, pas par quelconque volonté de nuire des conseillers Pôle emploi. Le fait d’intégrer les allocataires du RSA à ce système va rajouter des tracasseries administratives à des gens qui n’arrivent déjà pas à gérer leur vie au quotidien et conduire à des radiations de masse.
En quoi cette réforme du RSA s’inscrit-elle dans un projet politique global ?
Pour moi, le fil rouge depuis le début de l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, c’est le développement du travail gratuit. On le retrouve à plusieurs endroits, que ce soit dans le SNU [service national universel – ndlr], dans le service civique, dans l’activité obligatoire pour toucher le RSA, dans la promotion du bénévolat…
Il y a aussi eu la réforme de l’assurance-chômage, l’an dernier, qui a fait perdre des revenus aux gens. Et on retrouve aussi cette logique dans le projet de loi sur l’immigration : les régularisations sur les métiers en tension ne vaudront en réalité que pour un an, ce qui fait que les gens resteront prisonniers de leur travail, dans un secteur sous-payé, et ne pourront pas évoluer professionnellement. Dans tous ces cas, il s’agit de créer des situations dérogatoires au salariat pour baisser le coût du travail. On est face à une offensive néo-conservatrice qui consiste à dire que les pauvres coûtent cher et qu’on doit décider de leur vie à leur place.
N’y a-t-il pas un discours à tenir, à gauche, sur l’accompagnement vers l’emploi ? La droite vous accuse souvent de ne rien proposer pour sortir les gens des minima sociaux.
Il y a deux choses. D’abord, nous considérons qu’on a le droit à la survie dans ce pays. Mon courant politique historique, celui de la Révolution française, me fait dire que la société doit garantir un minimum de dignité à ses membres, et que cela doit être inconditionnel. Quand bien même je ne suis pas du tout rocardien, je dois reconnaître que le RMI [revenu minimum d’insertion – ndlr] était en cela une vraie avancée.
Ensuite, sur le retour à l’emploi, je crois que, contrairement à ce que pense la droite qui voit des « assistés » partout, tout le monde veut travailler, ne serait-ce que parce que le Smic, c’est le double du RSA ! Mais il faut comprendre la difficulté des gens : le fait d’être pauvre n’aide pas à aller au travail, car il faut de l’argent pour prendre les transports, mettre des habits corrects pour les entretiens d’embauche, etc. C’est parce que les gens ont de l’argent qu’ils trouvent du boulot.
Il faut donc une politique qui permette de faciliter l’accès à l’emploi. Cela passe par la lutte contre les discriminations à l’embauche – il n’y a pas que le nom de famille qui compte : les exigences en matière de qualification sont énormes, alors que les deux tiers des postes ne nécessitent pas de formation initiale pour les tenir –, ou encore par l’amélioration des conditions de travail : plein de boulots ne sont pas pourvus car les salaires sont trop bas, que les horaires sont infaisables, ou qu’il faut déménager et cela coûte cher de déménager…
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Pendant les retraites, on a vu la gauche parlementaire très vindicative contre le projet du gouvernement… Le contraste est saisissant avec les discussions sur cette réforme du RSA : l’hémicycle était presque vide, et la gauche a échoué à bloquer l’article 2 sur les 15 heures d’activités à trois voix près… Comment l’expliquez-vous ?
Il y a dix ans, cette réforme du RSA aurait suscité un tollé à gauche. Mais désormais il y a ce vieux discours qui revient d’opposition factice entre « la gauche du travail » et « la gauche des allocs ». C’est absurde, car il faut comprendre que c’est par les allocations qu’on trouve du travail.
Depuis Sarkozy, puis Hollande et Macron, on est face à une offensive néo-conservatrice qui consiste à dire que les pauvres coûtent cher et qu’on doit décider de leur vie à leur place.
Alors que franchement, le RSA ne coûte rien à l’État, ce discours infuse, y compris chez certains élus locaux de notre camp, qui abdiquent face aux discours sur l’assistanat qu’ils entendent dans leur circonscription par des gens qui répètent ce que dit le Rassemblement national (RN)…
Le RN était d’ailleurs largement absent de l’Assemblée nationale pendant les discussions…
Le RN était très mal à l’aise, d’où leur absence lors des débats. Dans le fond, les députés sont pour davantage de contrôle et de sanctions, sauf qu’une partie de leur électorat, dans le Nord, est au RSA, donc ils ont été obligés de voter contre. Plus étonnant en revanche : le RN a refusé l’exemption des 15 heures obligatoires pour les agriculteurs.
Le texte peut-il encore être modifié ?
Il pourra y avoir encore quelques changements en commission mixte paritaire, où LFI et Les Républicains seront majoritaires. Nous pourrons peut-être nous opposer au changement de nom de Pôle emploi en France Travail qui va coûter énormément d’argent pour rien du tout.
Le Collectif Changer de Cap, créé en 2019 par des gilets jaunes et militants alternatifs partout en France (voir son site https://changerdecap.net) est mobilisé depuis le début de l’année sur les dérives numériques, éthiques et politiques des Caisses d’allocations familiales. Le recueil de témoignages, les analyses menées ont mis en lumière une véritable maltraitance institutionnelle envers les personnes en situation de précarité, quand les CAF ne sont pas carrément hors-la-loi.
Nous travaillons activement pour que l’humain retrouve sa place centrale au sein de l’administration et des organismes de protection sociale. Nous mènerons avec vous allocataires, la lutte contre les pratiques illégales et discriminatoires qui résultent de la gestion actuelle des CAF, donnant la priorité à la réduction des coûts, et des objectifs de contrôle social sur lesquels repose cette gestion aux dépens des plus précaires. Nous travaillons avec des juristes et avocats en vue de rédiger un petit guide de défense des allocataires. D’autres acteurs, collectifs, syndicats et associations travaillent aujourd’hui activement pour faire connaitre les dangers et les conséquences de la dématérialisation des services publics (voir notamment les travaux : Accès droit sociaux, ATTAC, Emmaüs Connect, Fondation Abbé Pierre, Fondation Gabriel Péri, Le Mouton numérique, la Quadrature du net, etc…).
Note pratique réalisée par Julie Clauzier, juriste