confederation paysanne :mort de pierre alessandri / Action pour le revenu paysan au Grand Palais

Dans l’émission de ce jour, nous revenons sur l’assassinat de pierre Alessandri, agriculteur et Secrétaire général de la Via Campagnola, syndicat agricole membre de la Confédération paysanne en Corse. Pour cela, nous entendrons l’entretien réalisé avec Laurence Marondola, porte-parole de la Confédération paysanne puis en seconde partie d’émission, nous reviendrons sur l’action syndicale de la Confédération paysanne le 5 décembre 2024 au Grand Palais, lors de l’inauguration de la Bourse européenne de commerce et des suites de cette action avec le procès qui se tenait le 4 février 2025 et nous pourront entendre le reportage issu du rassemblement avec notamment, l’entretien réalisé avec Sylvie Colas secrétaire nationale de la confédération paysanne et également l’interview d’un des paysans qui comparaissait à ce procès. À noter, qu’à l’issue de cette audience, a été prononcer le renvoi du procès au 14 octobre 2025.

Assassiné le 17 mars en Corse, Pierre Alessandri était connu pour son engagement syndical contre la spéculation, les fraudes et les pratiques mafieuses dans le monde agricole. Retour sur le combat de ce syndicaliste.

Article initialement publié sur Basta! et écrit par Sophie Chapelle

Deux balles mortelles dans le dos et pas de revendication. Pierre Alessandri, 55 ans, a été assassiné le 17 mars, au crépuscule, alors qu’il travaillait sur sa ferme, au lieu-dit U Mandriolu en Corse-du-Sud. Ses obsèques ont eu lieu ce samedi 22 mars. Installé à Sarrola-Carcopino dans la région d’Ajaccio depuis 1993 où il avait repris l’exploitation familiale, Pierre Alessandri était un producteur d’huiles essentielles, passionné par la culture des agrumes. « Son verger témoignait de son attachement profond à la terre et à la transmission d’un savoir-faire ancestral » écrit André Torre, président du centre Inrae de Corse.

Son engagement ne s’arrêtait pas à ses propres terres. Secrétaire général de la Via Campagnola, syndicat agricole membre de la Confédération paysanne, Pierre Alessandri a consacré plus de trente ans à la défense du foncier agricole et de l’agriculture paysanne en Corse. « Il a été moteur de nombreux projets collectifs comme des magasins de producteurs », témoigne Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne. « Il a participé à la formation de générations de militants et de militantes sur les dossiers agricoles. »

Pierre Alessandri était aussi « un militant engagé et offensif, nationaliste de gauche, sympathisant du mouvement Core in Fronte, qui dénonçait avec force les dérives de l’agriculture insulaire », rappelle la journaliste Hélène Constanty sur Mediapart.

Siégeant durant de nombreuses années en Safer – instance collective où se décide l’attribution du foncier –, Pierre Alessandri n’a jamais cessé de dénoncer la spéculation sur les terres agricoles. « Il s’était aussi dressé courageusement contre les fraudes aux aides Pac, système corrompu qui permettait à quelques-uns de se remplir les poches. Il réclamait simplement un système juste pour tous les agriculteurs et agricultrices corses », témoigne Laurence Marandola.

« Cette tragédie s’inscrit dans un climat de pratiques mafieuses et corruptives qui gangrènent le territoire corse et mettent à mal l’État de droit »estime l’association Anticor, qui ajoute : « Combattre pour l’intérêt général ne devrait pas coûter la vie. »

Si une enquête a bien été ouverte pour « assassinat », aucun lien ne peut être établi à ce stade entre ce meurtre et les positions syndicales de Pierre Alessandri. Le procureur d’Ajaccio a déclaré le 18 mars que « plusieurs pistes sont exploitées par les services enquêteurs pour déterminer le mobile de l’acte criminel qui avait manifestement fait l’objet d’actes préparatoires ».

Scandale des fraudes aux aides Pac

Comme le rappelle France 3 Corse, Pierre Alessandri s’illustre à partir de 2013 en tant qu’opposant à la majorité en place à la chambre d’agriculture, alors détenue par le syndicat majoritaire FNSEA. « Les pressions et les menaces sur Pierre Alessandri ont commencé en 2018, lorsqu’a éclaté le scandale des détournements d’aides agricoles européennes » souligne également Mediapart« Pierre Alessandri était alors candidat à l’élection de la chambre d’agriculture de Corse-du-Sud et dénonçait les pratiques du syndicat majoritaire FNSEA, dont les représentants régnaient sans partage sur le monde paysan ».

Le 3 décembre 2018, Anticor dépose une plainte contre X auprès du Parquet national financier (PNF) pour détournement, recel et blanchiment de subventions européennes. D’après l’association, 36 millions d’euros auraient été détournés par des agriculteurs, entre 2015 et 2018, avec « l’accord et la complicité des autorités de contrôle », c’est-à-dire les services de l’État et l’« accompagnement de personnes très bien informées de la complexité et des failles du système de distribution des aides », à savoir les chambres d’agriculture, précise à l’époque Mediapart.

Cette plainte se fonde sur un rapport confidentiel de l’office européen antifraude (Olaf) qui pointait « la revalorisation des aides agricoles » allouées à la Corse, passées de 13,9 millions d’euros en 2014 à 36 millions d’euros par an pour la période 2015-2020.

Selon des documents d’enquête consultés par l’AFP, « tout tourne autour d’une réunion au ministère de l’Agriculture, le 14 janvier 2016, lors de laquelle a été décidée l’ »attribution informelle et illégale d’aides de la politique agricole commune en Corse ». Pour « éviter d’éventuels troubles à l’ordre public », ces hauts fonctionnaires sont accusés d’avoir invité, lors de cette réunion, les responsables des chambres d’agriculture corses à faire déclarer aux éleveurs insulaires des « surfaces non admissibles » pour bénéficier d’aides. »

Ce dossier n’est pas encore clos puisque trois hauts fonctionnaires seront prochainement jugés. La directrice adjointe du cabinet du ministre de l’Agriculture de l’époque, le socialiste Stéphane Le Foll (2012-2017), est ainsi renvoyée devant le tribunal correctionnel de Paris pour « détournement de fonds publics ». Le président-directeur général en 2016 de l’agence de services de paiement (ASP), l’organisme qui verse les aides publiques européennes de la Pac, sera également jugé pour « détournement de fonds publics ».

Enfin, le conseiller pour la Corse du ministre de l’Agriculture de l’époque est renvoyé pour « complicité de détournement de fonds publics » pour avoir organisé cette réunion de janvier 2016. Le montant d’aides illégalement versées pourrait être « compris entre 370 000 euros et 1,2 million d’euros », précise l’accusation. Ces possibles détournements ont pu être mis en lumière grâce au courage de militants comme Pierre Alessandri, salue Anticor.

Secrétaire général de la Via Campagnola, syndicat agricole membre de la Confédération paysanne, Pierre Alessandri a été tué de deux balles dans le dos sur sa ferme en Corse le 17 mars 2025. © Distillerie U Mandriolu

Déjà visé par un incendie criminel

Dans le cadre de cette affaire de fraudes, des enquêtes judiciaires sont déclenchées fin 2018, visant notamment le directeur de la chambre d’agriculture de Corse-du-Sud. À l’époque, Pierre Alessandri est l’un des seuls à se « féliciter » de cette opération et à se dire « satisfait de ces contrôles » rappelle Ouest France.

C’est dans ce contexte que Pierre Alessandri se porte candidat tête de liste pour Via Campagnola aux élections de la chambre d’agriculture. La campagne est « particulièrement tendue » relève Mediapart, et c’est finalement la FDSEA qui remporte largement les élections en janvier 2019.

Deux mois plus tard, le 29 mars 2019, France 3 Corse organise une soirée spéciale, consacrée aux fraudes dans le milieu agricole, avec la diffusion du documentaire Prime à la fraude, suivi d’un débat entre représentants du monde agricole.

Face à Stéphane Paquet et Joseph Colombani (FNSEA) qui viennent respectivement d’être réélus président de la chambre d’agriculture de Corse-du-Sud et Haute-Corse, Pierre Alessandri dénonce « le système clientéliste et clanique qui prévaut dans l’attribution des aides agricoles ».

Un mois après, dans la nuit du 26 au 27 avril 2019, sa distillerie est détruite par un incendie criminel. Dans la foulée, une manifestation de soutien rassemble plusieurs centaines de personnes à Ajaccio. Les auteurs ne seront jamais identifiés. Si l’enquête se solde par un non-lieu, le procureur d’alors évoque à l’époque l’hypothèse « d’une réaction violente liée aux positions syndicales de Pierre Alessandri ».

Lorsqu’on se met en travers de la spéculation foncière, il y a une personnalisation systématique de la part d’un système  »mafieux » très efficace pour « terroriser »

Cinq mois après cet incendie, le 25 septembre 2019, alors qu’il s’engage aux côtés du collectif naissant « A maffia no, A vita iè » (Non à la mafia, oui à la vie), Pierre Alessandri se dit personnellement menacé.

Dans une séquence que France 3 Corse a décidé de diffuser à la suite de cet assassinat, Pierre Alessandri indique : « Nous agriculteurs, on est maintenant quasiment en première ligne sur la spéculation foncière. Et lorsqu’on se met un peu en travers, globalement y a une personnalisation systématique de la part d’un système ’’mafieux’’, d’un système « occulte » » qui est très efficace pour ce qui est de, on va employer un terme un peu fort, « terroriser » un certain nombre d’acteurs.

Pierre Alessandri était présent à la manifestation anti-mafia du 9 mars dernier à Ajaccio. Pour Léo Battesti, membre fondateur de ce collectif, « c’est un symbole d’intégrité et du militantisme agricole vertueux qui a été abattu » et « un coup dur porté à la Corse de la créativité et du travail par ceux qui, par la terreur, veulent la dominer »a-t-il écrit sur X.

Silence « effarant » des autorités

L’engagement de Pierre Alessandri contre le clientélisme a été conforté par la récente publication d’un rapport de la Cour des comptes critiquant la gestion passée de la chambre d’agriculture. En janvier 2025, la chambre d’agriculture de Corse – devenue une chambre de région unique – a finalement basculé lors des élections professionnelles en faveur d’une liste d’union soutenue par la Via Campagnola, détrônant ainsi la FNSEA.

Nouveau président de la chambre d’agriculture de Corse, Jean-Baptiste Arena a tenu à rendre hommage à Pierre Alessandri. Il « a payé le fait de son engagement, notamment au niveau du foncier […] face à certaines bandes mafieuses » a-t-il déclaré le 19 mars, devant les représentants des différentes chambres d’agriculture en France, deux jours après son assassinat. « Le danger auquel nous sommes confrontés aujourd’hui […] est un danger mafieux. »

Si la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a déclaré sur X que « [ses] pensées les plus émues vont à sa famille, ses proches et ses compagnons syndicaux, dont [elle] n’ose mesurer la peine qui les envahit » et que « la violence, le recours aux armes, n’ont pas leur place dans notre pays », la Confédération paysanne s’indigne de l’absence de réaction d’autres membres du gouvernement. Ni Gérald Darmanin, ministre de la Justice, ni Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, n’ont fait de déclaration à ce sujet.

« On est face à l’assassinat d’un responsable syndical en activité, et on n’a aucune réaction publique. Ce silence est effarant. Il n’y a eu aucune parole dans l’hémicycle », dénonce Laurence Marandola. « Son assassinat est un coup porté à la démocratie, à la parole libre, à l’engagement en faveur d’une terre que tant d’intérêts contraires cherchent à accaparer. Il faut que l’enquête avance et aboutisse. » Cet assassinat est le quatrième depuis le début de l’année en Corse.+++++++++

Meurtre de Pierre Alessandri : la Confédération paysanne en deuil

18.03.2025

La Confédération paysanne est en deuil. Pierre Alessandri a été assassiné hier soir sur sa ferme en Corse, au lieu-dit U Mandriolu. Secrétaire général de Via Campagnola*, Pierre Alessandri était très engagé pour défendre l’agriculture en Corse depuis plus de 20 ans. Nous sommes sous le choc, empreints d’une immense tristesse.

Nous pensons à sa famille et à ses proches, à tous nos collègues corses et à toutes celles et ceux qui défendent l’agriculture.

Nous sommes dans l’incompréhension et la colère. Les paysan·nes et responsables syndicaux ne peuvent être ainsi pris pour cible. Pierre Alessandri avait déjà subi un incendie criminel sur son exploitation en 2019.

C’est un jour terriblement sombre pour la famille de Pierre à qui nous adressons nos pensé.

Action pour le revenu paysan au Grand Palais

Pendant l’action syndicale de la Confédération paysanne le 5 décembre 2024 au Grand Palais, lors de l’inauguration de la Bourse européenne de commerce, de violentes interpellations policières ont eu lieu dans le cadre d’une nasse totalement illégale, alors que nous quittions les lieux dans le calme aux alentours de 14h. Avec une grande banderole « Sauvez les paysan·nes, mangez un trader ! », la Confédération paysanne y avait dénoncé la spéculation sur les marchés et celles et ceux qui profitent de la dérégulation des marchés.

A la veille d’une conclusion scandaleuse des négociations de l’accord UE*-Mercosur* par la Présidente de la Commission Européenne Ursula Von der Leyen à Montevideo (Uruguay), le gouvernement a préféré en envoyant la BRAV-M la répression disproportionnée de paysan·nes manifestant pour le revenu et contre les accords de libre-échange.

Cinq camarades paysans avaient été interpelés et placés en garde à vue pendant 48 heures, dont deux était jugés le 4 février 2025 au TGI de Paris.

Mobilisation du monde agricole : entretien avec Didier Gadéa du Mouvement de Défense des Exploitants Familiaux

Après avoir lu l’article du poing, et soucieux de creuser le sujet afin de mieux comprendre les enjeux et les différents ponts de vues qui secouent l’agriculture nous avons demandé à Didier Gadea, syndicaliste du Modef, Mouvement de défense des exploitants familiaux, de faire le pont sur la situation. En fin d’émission, un entretien avec deux personnes ayant été sur les blocages : Nathalie tout d’abord dans le département du Cher, puis Sylvain ensuite, en périphérie de Paris.

Lien vers le site du Mouvement de Défense des Exploitants Familiaux : lien


« Il faut encourager les gens à se joindre à la lutte agricole »

Article du Poing Publié le 31 janvier 2024

L’agriculture traverse des défis économiques et sociaux sans précédent, les voix se lèvent pour témoigner des réalités souvent méconnues du grand public. Didier Gaeda, agriculteur engagé au sein du Mouvement de Défense des Exploitants Familiaux, apporte un éclairage sur les enjeux auxquels sont confrontées les petites entreprises agricoles aujourd’hui. Pour lui, les mobilisations agricoles en cours dévoilent les causes profondes du mécontentement et le besoin urgent de régulation des prix pour assurer une juste rémunération des producteurs tout en préservant le pouvoir d’achat des consommateurs

Le Poing :Pouvez-vous nous parler des défis spécifiques auxquels sont confrontées les petites entreprises agricoles dans le contexte actuel ?

Didier Gadea : La plus grande difficulté réside dans le manque de revenus, car les prix ne parviennent guère à couvrir les coûts de production. De plus, les petites unités ne peuvent pas compenser ces pertes avec les aides de la Politique agricole commune, (PAC) ou d’autres formes d’aides auxquelles elles n’ont pas accès, ni par le biais de la fiscalité. Nous sommes ainsi doublement pénalisés par les crises économiques et l’inflation des intrants, notamment des fournitures nécessaires à la production.

Pouvez-vous nous décrire les causes de la mobilisation ?

Le ras-le-bol est palpable, notamment chez les éleveurs bovins, et la situation a basculé lorsque les barrages ont été irrigués. Il y a tant de désillusion et de tristesse qui se sont emparés de nous. La première cause de cette détresse est le prix trop bas des produits. Par exemple, les pommes bio en AOP sont achetées à 20 centimes le kilo alors que les frais s’élèvent à 50 centimes. La viande est actuellement vendue à prix coûtant, et même le vin connaît de grandes difficultés. “Castel nous tue” [Castel est un négociant dans le secteur viticole, ndlr] s’exclament certains. Une autre cause, plus symbolique mais non moins importante, est le mépris de classe subi de la part des politiques et même des représentants des chambres agricoles. Il y a aussi l’abandon des services publics dans les zones rurales.

Quels exemples concrets de réussite ou d’impact avez-vous observés dans le cadre de cette mobilisation, et quelles leçons peuvent être tirées de ces expériences ?

L’aspect le plus positif dans cette histoire est que la revendication de garantie de revenus, qui était considérée comme ultra-radicale, est de plus en plus prise en compte. Il est désormais clair que le “juste prix” ne peut pas être entièrement garanti par les seuls mécanismes du marché. Le mouvement agricole a compris que la régulation des prix est au cœur du débat agricole. il y aura un avant et un après.

Malheureusement, les manœuvres pré-électorales viennent parfois brouiller les cartes. Mais dans le monde agricole, la pyramide des âges des agriculteurs nous montre que nous sommes en voie d’extinction. Si la régulation des prix n’est pas mise en place, nos modes de vie risque de disparaître. Les gens prennent conscience qu’ils sont les derniers détenteurs de cet héritage et qu’ils en portent la responsabilité.

Quel rôle jouent les normes environnementales dans le débat actuel sur l’agriculture, et comment éviter que ce débat nous détourne des questions plus fondamentales ? Comment percevez-vous la rhétorique de la “dérégulation des normes” et son impact sur le mouvement agricole, comment selon vous visibiliser les véritables racines du problème ?

Il y a deux populations : une agricole qui comprend les enjeux des normes et les consommateurs qui ne comprennent pas ces enjeux. la Fnsea et les politiques de gauche comme de droite en profitent pour jeter la confusion.

Il y a des normes qui pèsent et qui ne servent à rien. Il y a des normes, notamment dans l’élevage, qui embêtent davantage ceux qui pratiquent l’élevage en plein air que ceux qui ont des fermes-usines. On nous embête pour des détails et des normes qui changent chaque année. Tout cela décourage les petits agriculteurs. Les éleveurs de veaux sont hyper surveillés, on se fait démolir la baraque au nom de la traçabilité. C’est un fardeau financier et un stress constant avec un contrôle quotidien des services, et ils se font massacrer. Le plus gros acheteur de viande, Bigard, le mec de la marque Charal et le monsieur monopole des abattoirs qui avait dit “Vas te faire voir je ne viens pas” à Le Foll, a l’époque ministre de l’agriculture, s’assoient sur les normes. Lactalis, c’est pareil, les scandales, ils les digèrent, et toi, on te saoule avec la traçabilité. D’accord pour la traçabilité, mais cela ne doit pas être une arme contre les producteurs. Ils ont tué 25 millions de canards et ont demandé de les tuer étouffés dans les bâtiments. Certains éleveurs ont pété un câble et développé des problèmes psychiques.

Les autres normes concernent ce qui est mis en place pour protéger les agriculteurs et les ouvriers agricoles, comme les appellations d’origine contrôlée, le bio, et toutes les stratégies de valorisation de nos produits, ainsi que le code du travail.

La FNSEA et la Coordination Rurale utilisent le discours du ras-le-bol des normes, mais elles veulent la destruction du droit du travail des ouvriers agricoles, tout ce qui peut entraver le marché et la concurrence. Leurs dirigeants disent “il faut se battre sur les marchés mondiaux”. Il ne faut pas tomber dans ces bêtises. L’agriculteur lambda, quand il dit “j’en ai plein le cul des normes”, n’a pas le même intérêt que le PDG du groupe Avril qui pèse 9 milliards d’euros, gros businessman et chef de la FNSEA.

Je ne veux pas faire le vieux, mais à l’époque, les mouvements populaires avaient un point de vue sur le monde agricole, l’alliance ouvrière-paysanne. Avec le tournant libéral à l’époque de Mitterrand, toute la réflexion sur le monde rural, l’agriculture et les questions de la paysannerie de manière économique et politique ont changé. Avec le tournant libéral, les mouvements de gauche ne savent plus parler au monde rural et agricole sauf par le prisme de l’écologie. Ils ne proposent plus d’alliance, c’est des politiques qui viennent nous expliquer ce qu’est la vie et comment travailler et quoi penser. Ce n’est pas possible. Moi, je ne suis pas agriculteur pour être riche, mais pour être libre. Il n’y a pas de politicien qui va m’imposer ses rêveries. La première coopérative viticole à Maraussan en 1901 avait écrit à l’entrée “vignerons libres”, et ils vendaient leur vin à une coopérative ouvrière de consommation, les négociants allaient se faire voir ! C’est ça l’alliance ouvrière-paysanne, ce n’est pas un politicien qui vient nous raconter la vie. La terre du midi rouge de l’Aude c est fini, pourquoi ? Ce n’est pas née avec une génération spontanée de nouveau gens ? C’est quoi la responsabilité de la gauche dans ces territoires ?

Pour beaucoup avec l’inflation, manger devient de plus en plus cher. Quels sont les enjeux pour une régulation des prix rémunérateurs pour l’agriculture et pas chère pour les consommateurs ?

Le seul enjeu derrière les mots “régulation des prix” est l’encadrement, la diminution des marges des grands acteurs du négoce, de la spéculation de l’agro-industrie et des supermarchés. Il est courant de constater que le prix payé au producteur se multiplie par 10 avant d’arriver au consommateur.

Depuis la Révolution française, le prix du pain était régulé. Le Front populaire avait mis en place des offices par filière. Ils contrôlaient le prix du grain, de la farine et des céréales. Ils achetaient directement à un prix garanti pour les paysans, ce qui a permis à leurs revenus de se multiplier par trois sans que le prix du pain n’augmente.

La tricherie réside dans le discours qui prétend que les marges de l’agro-industrie sont faibles, ou les absurdités que Leclerc raconte sur sa prétendue lutte pour le pouvoir d’achat, ou encore que “heureusement on a la PAC”. C’est faux, l’agriculture n’a jamais été aussi mal rémunérée et la nourriture n’a jamais été aussi chère.

Les Leclerc pleurent sur leurs marges, “ouin ouin, on ne fait pas de marge”. C’est vrai que les grandes surfaces de distribution n’ont pas de marge, mais avec leur volume de vente, elles génèrent d’énormes dividendes pour leurs actionnaires. La circulation à flux tendu de leur somme colossale d’argent dans leurs opérations commerciales leur permet un volume plus important d’opérations, et ça se ressent dans les prospères dividendes de ces entreprises.

Quand Castel a débuté, il était un gros négociant de vin à Bordeaux avec les autres. Ils se sont affrontés entre eux, et maintenant ce sont une des grosses familles qui gèrent le marché mondial du vin. Si on ne les régule pas, cela devient mafieux. Ils se livrent une guerre tellement intense pour gagner des parts de marché que lâcher 10 centimes au producteur n’est pas envisageable pour eux.

Comment tisser des alliances dans ce mouvement ?

Les scandales qui touchent les gens concernent principalement l’énergie. Il est nécessaire d’avoir de l’énergie pour produire, et toute spéculation sur celle-ci met tout le monde dans une situation difficile, en commençant par les travailleurs les plus pauvres. L’inflation qui en découle permet aux riches de doubler leur fortune, alors que la misère se répand. Comme pour la nourriture, les marges et les dividendes des fournisseurs d’énergie doivent être régulés, mais tout a été privatisé, c’ est ce qui a aggrave la situation. Différentes organisations professionnelles, comme les taxis, se joignent à la mobilisation concernant l’énergie.

L’appel de la CGT à rejoindre le mouvement partout en France est un pas en avant, et nous encourageons toutes les organisations sociales à en faire de même.

Suite à des communiqués nationaux convergents, il y a des rapprochements entre les organisations du mouvement social. La Confédération Paysanne, la CGT et le MODEF entrent en contact, ce qui marque le début de discussions prometteuses. Organiser des rencontres larges partout dans le département, tant dans les villages que dans les villes, où chacun peut exprimer ses préoccupations et ouvrir la discussion sur les perspectives, peut ouvrir de nouveaux combats et de nouveaux enjeux, ce qui est intéressant.

Fin février, les herbes repoussent, donc c’est le moment de retourner à la ferme et d’aborder les écueils d’immédiateté du type “faut tout brûler”. Il faut être prudent, certes, il y aurait des compétences, des spécialités ou réputations dans le monde viticole. Nous avons maintenant l’occasion de mettre en place des actions larges et sur le long terme et de créer les conditions nécessaires pour mener ce combat, en dépassant la logique des coups ponctuels et spectaculaires.

Dans notre région, les organisations agricoles, c’est principalement la coopération viticole, et la FNSEA y est impliquée. Malheureusement, les dirigeants cherchent à éviter les contacts et refusent tout lien direct avec les gens. Il faut donc travailler en dessous, en établissant des relations réelles.

Il est essentiel d’encourager la population à se joindre à cette lutte. Dans le monde paysan, il faut revenir à l’idée d’alliance et aux fondamentaux. Il faut cesser d’accepter le libéralisme ou ses fausses critiques.

LA COLERE DU MONDE AGRICOLE

Ce mois de janvier 2024, aura vu la colère du monde agricole déferler à travers le pays et bien au-delà. Il faut s’intéresser aux raisons profondes de cette crise pour en proposer des voies de sortie. Face à la fragilisation du système agricole, la multiplication des normes, la mise en concurrence avec des systèmes de production qui ne sont pas soumis aux mêmes règles que l’UE.

Est-ce-que La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) représente l’ensemble des aspirations du monde agricole ?, peut-on continuer la fuite en avant vers le productivisme ?

Pour parler de ce mouvement et de ce qu’il raconte, ce vendredi 2 février, nous étions au téléphone avec Amandine Pacault, paysanne dans les Deux-Sèvres, et membre de la confédération paysanne. Elle se trouvait sur un blocage d’une plateforme logistique, qui fourni la grande distribution.