Mobilisation du monde agricole : entretien avec Didier Gadéa du Mouvement de Défense des Exploitants Familiaux

Après avoir lu l’article du poing, et soucieux de creuser le sujet afin de mieux comprendre les enjeux et les différents ponts de vues qui secouent l’agriculture nous avons demandé à Didier Gadea, syndicaliste du Modef, Mouvement de défense des exploitants familiaux, de faire le pont sur la situation. En fin d’émission, un entretien avec deux personnes ayant été sur les blocages : Nathalie tout d’abord dans le département du Cher, puis Sylvain ensuite, en périphérie de Paris.

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« Il faut encourager les gens à se joindre à la lutte agricole »

Article du Poing Publié le 31 janvier 2024

L’agriculture traverse des défis économiques et sociaux sans précédent, les voix se lèvent pour témoigner des réalités souvent méconnues du grand public. Didier Gaeda, agriculteur engagé au sein du Mouvement de Défense des Exploitants Familiaux, apporte un éclairage sur les enjeux auxquels sont confrontées les petites entreprises agricoles aujourd’hui. Pour lui, les mobilisations agricoles en cours dévoilent les causes profondes du mécontentement et le besoin urgent de régulation des prix pour assurer une juste rémunération des producteurs tout en préservant le pouvoir d’achat des consommateurs

Le Poing :Pouvez-vous nous parler des défis spécifiques auxquels sont confrontées les petites entreprises agricoles dans le contexte actuel ?

Didier Gadea : La plus grande difficulté réside dans le manque de revenus, car les prix ne parviennent guère à couvrir les coûts de production. De plus, les petites unités ne peuvent pas compenser ces pertes avec les aides de la Politique agricole commune, (PAC) ou d’autres formes d’aides auxquelles elles n’ont pas accès, ni par le biais de la fiscalité. Nous sommes ainsi doublement pénalisés par les crises économiques et l’inflation des intrants, notamment des fournitures nécessaires à la production.

Pouvez-vous nous décrire les causes de la mobilisation ?

Le ras-le-bol est palpable, notamment chez les éleveurs bovins, et la situation a basculé lorsque les barrages ont été irrigués. Il y a tant de désillusion et de tristesse qui se sont emparés de nous. La première cause de cette détresse est le prix trop bas des produits. Par exemple, les pommes bio en AOP sont achetées à 20 centimes le kilo alors que les frais s’élèvent à 50 centimes. La viande est actuellement vendue à prix coûtant, et même le vin connaît de grandes difficultés. “Castel nous tue” [Castel est un négociant dans le secteur viticole, ndlr] s’exclament certains. Une autre cause, plus symbolique mais non moins importante, est le mépris de classe subi de la part des politiques et même des représentants des chambres agricoles. Il y a aussi l’abandon des services publics dans les zones rurales.

Quels exemples concrets de réussite ou d’impact avez-vous observés dans le cadre de cette mobilisation, et quelles leçons peuvent être tirées de ces expériences ?

L’aspect le plus positif dans cette histoire est que la revendication de garantie de revenus, qui était considérée comme ultra-radicale, est de plus en plus prise en compte. Il est désormais clair que le “juste prix” ne peut pas être entièrement garanti par les seuls mécanismes du marché. Le mouvement agricole a compris que la régulation des prix est au cœur du débat agricole. il y aura un avant et un après.

Malheureusement, les manœuvres pré-électorales viennent parfois brouiller les cartes. Mais dans le monde agricole, la pyramide des âges des agriculteurs nous montre que nous sommes en voie d’extinction. Si la régulation des prix n’est pas mise en place, nos modes de vie risque de disparaître. Les gens prennent conscience qu’ils sont les derniers détenteurs de cet héritage et qu’ils en portent la responsabilité.

Quel rôle jouent les normes environnementales dans le débat actuel sur l’agriculture, et comment éviter que ce débat nous détourne des questions plus fondamentales ? Comment percevez-vous la rhétorique de la “dérégulation des normes” et son impact sur le mouvement agricole, comment selon vous visibiliser les véritables racines du problème ?

Il y a deux populations : une agricole qui comprend les enjeux des normes et les consommateurs qui ne comprennent pas ces enjeux. la Fnsea et les politiques de gauche comme de droite en profitent pour jeter la confusion.

Il y a des normes qui pèsent et qui ne servent à rien. Il y a des normes, notamment dans l’élevage, qui embêtent davantage ceux qui pratiquent l’élevage en plein air que ceux qui ont des fermes-usines. On nous embête pour des détails et des normes qui changent chaque année. Tout cela décourage les petits agriculteurs. Les éleveurs de veaux sont hyper surveillés, on se fait démolir la baraque au nom de la traçabilité. C’est un fardeau financier et un stress constant avec un contrôle quotidien des services, et ils se font massacrer. Le plus gros acheteur de viande, Bigard, le mec de la marque Charal et le monsieur monopole des abattoirs qui avait dit “Vas te faire voir je ne viens pas” à Le Foll, a l’époque ministre de l’agriculture, s’assoient sur les normes. Lactalis, c’est pareil, les scandales, ils les digèrent, et toi, on te saoule avec la traçabilité. D’accord pour la traçabilité, mais cela ne doit pas être une arme contre les producteurs. Ils ont tué 25 millions de canards et ont demandé de les tuer étouffés dans les bâtiments. Certains éleveurs ont pété un câble et développé des problèmes psychiques.

Les autres normes concernent ce qui est mis en place pour protéger les agriculteurs et les ouvriers agricoles, comme les appellations d’origine contrôlée, le bio, et toutes les stratégies de valorisation de nos produits, ainsi que le code du travail.

La FNSEA et la Coordination Rurale utilisent le discours du ras-le-bol des normes, mais elles veulent la destruction du droit du travail des ouvriers agricoles, tout ce qui peut entraver le marché et la concurrence. Leurs dirigeants disent “il faut se battre sur les marchés mondiaux”. Il ne faut pas tomber dans ces bêtises. L’agriculteur lambda, quand il dit “j’en ai plein le cul des normes”, n’a pas le même intérêt que le PDG du groupe Avril qui pèse 9 milliards d’euros, gros businessman et chef de la FNSEA.

Je ne veux pas faire le vieux, mais à l’époque, les mouvements populaires avaient un point de vue sur le monde agricole, l’alliance ouvrière-paysanne. Avec le tournant libéral à l’époque de Mitterrand, toute la réflexion sur le monde rural, l’agriculture et les questions de la paysannerie de manière économique et politique ont changé. Avec le tournant libéral, les mouvements de gauche ne savent plus parler au monde rural et agricole sauf par le prisme de l’écologie. Ils ne proposent plus d’alliance, c’est des politiques qui viennent nous expliquer ce qu’est la vie et comment travailler et quoi penser. Ce n’est pas possible. Moi, je ne suis pas agriculteur pour être riche, mais pour être libre. Il n’y a pas de politicien qui va m’imposer ses rêveries. La première coopérative viticole à Maraussan en 1901 avait écrit à l’entrée “vignerons libres”, et ils vendaient leur vin à une coopérative ouvrière de consommation, les négociants allaient se faire voir ! C’est ça l’alliance ouvrière-paysanne, ce n’est pas un politicien qui vient nous raconter la vie. La terre du midi rouge de l’Aude c est fini, pourquoi ? Ce n’est pas née avec une génération spontanée de nouveau gens ? C’est quoi la responsabilité de la gauche dans ces territoires ?

Pour beaucoup avec l’inflation, manger devient de plus en plus cher. Quels sont les enjeux pour une régulation des prix rémunérateurs pour l’agriculture et pas chère pour les consommateurs ?

Le seul enjeu derrière les mots “régulation des prix” est l’encadrement, la diminution des marges des grands acteurs du négoce, de la spéculation de l’agro-industrie et des supermarchés. Il est courant de constater que le prix payé au producteur se multiplie par 10 avant d’arriver au consommateur.

Depuis la Révolution française, le prix du pain était régulé. Le Front populaire avait mis en place des offices par filière. Ils contrôlaient le prix du grain, de la farine et des céréales. Ils achetaient directement à un prix garanti pour les paysans, ce qui a permis à leurs revenus de se multiplier par trois sans que le prix du pain n’augmente.

La tricherie réside dans le discours qui prétend que les marges de l’agro-industrie sont faibles, ou les absurdités que Leclerc raconte sur sa prétendue lutte pour le pouvoir d’achat, ou encore que “heureusement on a la PAC”. C’est faux, l’agriculture n’a jamais été aussi mal rémunérée et la nourriture n’a jamais été aussi chère.

Les Leclerc pleurent sur leurs marges, “ouin ouin, on ne fait pas de marge”. C’est vrai que les grandes surfaces de distribution n’ont pas de marge, mais avec leur volume de vente, elles génèrent d’énormes dividendes pour leurs actionnaires. La circulation à flux tendu de leur somme colossale d’argent dans leurs opérations commerciales leur permet un volume plus important d’opérations, et ça se ressent dans les prospères dividendes de ces entreprises.

Quand Castel a débuté, il était un gros négociant de vin à Bordeaux avec les autres. Ils se sont affrontés entre eux, et maintenant ce sont une des grosses familles qui gèrent le marché mondial du vin. Si on ne les régule pas, cela devient mafieux. Ils se livrent une guerre tellement intense pour gagner des parts de marché que lâcher 10 centimes au producteur n’est pas envisageable pour eux.

Comment tisser des alliances dans ce mouvement ?

Les scandales qui touchent les gens concernent principalement l’énergie. Il est nécessaire d’avoir de l’énergie pour produire, et toute spéculation sur celle-ci met tout le monde dans une situation difficile, en commençant par les travailleurs les plus pauvres. L’inflation qui en découle permet aux riches de doubler leur fortune, alors que la misère se répand. Comme pour la nourriture, les marges et les dividendes des fournisseurs d’énergie doivent être régulés, mais tout a été privatisé, c’ est ce qui a aggrave la situation. Différentes organisations professionnelles, comme les taxis, se joignent à la mobilisation concernant l’énergie.

L’appel de la CGT à rejoindre le mouvement partout en France est un pas en avant, et nous encourageons toutes les organisations sociales à en faire de même.

Suite à des communiqués nationaux convergents, il y a des rapprochements entre les organisations du mouvement social. La Confédération Paysanne, la CGT et le MODEF entrent en contact, ce qui marque le début de discussions prometteuses. Organiser des rencontres larges partout dans le département, tant dans les villages que dans les villes, où chacun peut exprimer ses préoccupations et ouvrir la discussion sur les perspectives, peut ouvrir de nouveaux combats et de nouveaux enjeux, ce qui est intéressant.

Fin février, les herbes repoussent, donc c’est le moment de retourner à la ferme et d’aborder les écueils d’immédiateté du type “faut tout brûler”. Il faut être prudent, certes, il y aurait des compétences, des spécialités ou réputations dans le monde viticole. Nous avons maintenant l’occasion de mettre en place des actions larges et sur le long terme et de créer les conditions nécessaires pour mener ce combat, en dépassant la logique des coups ponctuels et spectaculaires.

Dans notre région, les organisations agricoles, c’est principalement la coopération viticole, et la FNSEA y est impliquée. Malheureusement, les dirigeants cherchent à éviter les contacts et refusent tout lien direct avec les gens. Il faut donc travailler en dessous, en établissant des relations réelles.

Il est essentiel d’encourager la population à se joindre à cette lutte. Dans le monde paysan, il faut revenir à l’idée d’alliance et aux fondamentaux. Il faut cesser d’accepter le libéralisme ou ses fausses critiques.

LA COLERE DU MONDE AGRICOLE

Ce mois de janvier 2024, aura vu la colère du monde agricole déferler à travers le pays et bien au-delà. Il faut s’intéresser aux raisons profondes de cette crise pour en proposer des voies de sortie. Face à la fragilisation du système agricole, la multiplication des normes, la mise en concurrence avec des systèmes de production qui ne sont pas soumis aux mêmes règles que l’UE.

Est-ce-que La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) représente l’ensemble des aspirations du monde agricole ?, peut-on continuer la fuite en avant vers le productivisme ?

Pour parler de ce mouvement et de ce qu’il raconte, ce vendredi 2 février, nous étions au téléphone avec Amandine Pacault, paysanne dans les Deux-Sèvres, et membre de la confédération paysanne. Elle se trouvait sur un blocage d’une plateforme logistique, qui fourni la grande distribution.

SUITE À L’ARTICLE DE FLORENCE AUBENAS SUR JÉRÔME LARONZE

Florence Aubenas, figure typique de cette gauche bien pensante, fait des enquêtes fades, sans points de vue et de ce fait vont dans le sens de la pensée dominante, mais tintée d’humanisme. Elle a été journaliste à Libération en 1986. En 2005, elle est enlevée à Bagdad en compagnie de son fixeur, Hussein Hanoun al-Saadi. En 2009, Florence Aubenas est élue à la tête de l’Observatoire international des prisons – section française (OIP-SF), poste qu’elle occupe jusqu’en juin 2012.

Dans les deux livres qu’elle à écrit, elle nous révèle ce que nous savons déjà et ce que disent bien mieux qu’elle les femmes de ménage et les habitants d’un village quand le micro leur est tendu. Mais aujourd’hui, nous parlerons plus précisément d’une série d’articles que Florence Aubenas a publiée dans Le Monde, du 17 au 23 août 2021, à propos de la vie, des combats et de l’assassinat par les gendarmes de Jérôme Laronze.

Jérôme Laronze était un paysan combatif qui s’est fait saisir ses bêtes. Revenons sur ce drame en écoutant une émission réalisée en 2017 avec Pierre qui fait partie du collectif Hors norme.

Décidément ces articles de Florence Aubenas n’ont pas plu, mais pas plus du tout, à une partie du collectif Hors norme, qui lui a écrit des lettres auxquelles elle n’a pas dénié répondre. C’est un crachat sur Jérôme, sur les paysans qui se battent pour continuer à travailler, rester autonome.

Pendant que les petits paysans subissent un acharnement de la part de l’administration, les entreprises agroalimentaires enchaînent les scandales sanitaires Ferrero, Buitoni, Graindorge… Alors que les alertes sanitaires concernant des aliments industriels contaminés s’enchaînent, l’ONG Foodwatch dénonce le manque de moyens des autorités de contrôles sanitaires en France ainsi que « l’opacité » des géants de l’alimentaire.

Le 5 avril 2022, le groupe Ferrero a été obligé de rappeler des lots de produits Kinder, en raison de présence de salmonelle. Déjà en décembre, Ferrero était épinglé pour des cas de salmonelles dans l’usine belge d’Arlon.

Mardi 6 avril, ce sont six fromages commercialisés par plusieurs grandes enseignes qui ont été rappelés, dont un brie et des coulommiers, car ils contenaient la bactérie responsable de la listériose, une infection alimentaire meurtrière dans 25 % des cas.

Et c’est au tour de Buitoni! Alors que depuis début janvier, ont été dénombrés, les terribles décès de deux enfants et pas moins de 75 infections par la bactérie E. Coli, c’est seulement maintenant, soit quatre mois après les premiers signalements, que les pratiques déplorables en matière d’hygiène du fabricant Nestlé se confirmer, deux inspections officielles ayant récemment mis en évidence un niveau dégradé d’hygiène alimentaire dans l’usine.

Lettres ouvertes, présentes et posthumes, en réponses aux articles de Florence Aubenas à propos de la vie, des combats et de l’assassinat de Jérôme Laronze, publiés dans Le Monde, du 17 au 23 août 2021

La première lettre, personnalisée, ci-dessous a été envoyée en octobre au journal Le Monde et à sa journaliste Florence Aubenas ; mais est restée sans réponse.

Le 1er octobre 2021, Madame Aubenas, Du 17 au 23 août, vous publiez dans Le Monde 6 articles, à raison d’un par jour, retraçant l’histoire de Jérôme Laronze, éleveur bovin de Saône-et-Loire, mort sous les balles de la gendarmerie le 20 mai 2017. Je ne peux m’empêcher en lisant vos articles, Madame Aubenas, de me poser de nombreuses questions à propos du cheminement de votre réflexion au cours de votre enquête ainsi que des partis pris que vous avez choisi d’adopter.

Ces articles, issus d’un travail d’enquête pourtant approfondi, comportent de grossières omissions et déformations sur l’histoire de Jérôme Laronze ainsi que de nombreuses trahisons de sa parole et des combats qu’il menait. C’est pourquoi je voudrais prendre le temps de revenir sur quelques points précis qui m’ont particulièrement marqué et pour lesquels j’aimerai quelques explications.

Tout d’abord, aucune mention n’est faite des idées et de la lutte visionnaire et à contre-courant que menait Jérôme Laronze contre l’industrie, l’administration et sa traçabilité qui transforment aujourd’hui l’agriculture à coups de mises aux normes et d’encadrement administratif. Cette critique d’une campagne « puante », comme il la décrivait, est occultée au profit de la construction pleine de pathos et de littérature fleur bleue d’une ruralité éternelle, taiseuse, archaïque, arriérée mais tellement belle, au sein de laquelle Laronze n’aurait fait que dériver vers une folie radicalisée. Comment avez-vous pu faire un travail d’enquête aussi poussé sur une personne sans jamais citer une ligne de la lettre qu’il a écrite et envoyée, lors de sa cavale alors qu’il était caché et traqué ?! [lettre rare et à retrouver intégralement à la fin de ce document] Une lettre pourtant très claire, puissante et belle, un écrit de référence marquant une date et une prise de conscience dans les luttes paysannes. De plus, si vous ne faites aucune mention de la parole du concerné, l’administration et ses fonctionnaires ont, eux, largement voix au chapitre, signalant leur bonne foi en « [ayant] voulu l’aider ». Il semble pourtant nécessaire de rappeler que « l’aide » administrative s’est traduite par un harcèlement de plusieurs années, concrétisé par des contrôles encadrés de gendarmes, par une saisie d’animaux et une décision d’internement « pour son bien », l’obligeant à partir en cavale pour garder la parole. Rappelons aussi que les contrôles sont aujourd’hui reconnus illégaux par la justice et que l’un d’eux a donné lieu à la mort de 5 vaches noyées, ce qui n’apparaît à aucun moment dans vos écrits.

Par ailleurs, Madame Aubenas, vous vantez un soi-disant traitement de faveur que l’administration lui aurait proposé pour rétablir l’identification et la traçabilité de ses veaux en évoquant la possibilité qu’il lui a été accordé de procéder à des tests génétiques sur une partie de ses veaux seulement. Là encore les omissions sont scandaleuses quand vous vous attachez à ne faire aucunement mention des motivations pour lesquelles Jérôme l’a refusé, reléguant sous le tapis le combat ouvertement politique que menait cet homme, et vous dressez le portrait d’un fou arrogant et égocentré. Il est pourtant évident pour quiconque a suivi l’histoire de Jérôme Laronze qu’il ne souhaitait aucunement un traitement de faveur pour ne pas se compromettre dans les rouages d’une cogestion qui a historiquement servi avantageusement les responsables syndicaux. Il ne voulait aucunement s’abaisser à ces tests génétiques également pour dénoncer ces aberrations bureaucratiques là où toutes les preuves matérielles étaient déjà disponibles pour prouver que ses veaux étaient bien nés sur sa ferme et que ces défauts d’identification ne devraient jamais justifier l’abattage des animaux.

Enfin, je suis sidérée de voir la part belle faite à des organisations telles que les associations animalistes (OABA, Fondation Brigitte Bardot…) ainsi qu’à la Confédération paysanne, qui ont pourtant joué un rôle majeur dans la déchéance progressive qu’a vécue Jérôme. Pour commencer par les associations animalistes. Bien que la tendance de leur nouveau discours soit de s’inquiéter du sort des paysans, du « mal-être de l’éleveur », dans les faits ces associations dénoncent les paysans à l’administration, saisissent les troupeaux laissant l’agriculteur seul au milieu d’une ferme fantôme, les font condamner à de la prison, et les ruinent en réclamant des centaines de milliers d’euros de frais de pension et préjudices moraux au cours des jugements. Elles fabriquent, main dans la main avec l’administration, la disparition des paysans. Donner la parole à M. Freund, directeur de l’OABA, dans le cadre de l’histoire de Jérôme Laronze est une manière de le mépriser une énième fois, en laissant ce fossoyeur se parer de vertu, sans le moindre recul contradictoire de la part de la journaliste. Offrir la parole à Max Josserand, transporteur et marchand de bestiaux au service de l’OABA, est une autre insulte. Ce dernier, sous votre plume, vante son humanisme : « Je ne veux pas de sang. Pas de pendu à la poutre après une opération ». Avec un peu d’effort d’investigation, Madame Aubenas, vous auriez pu donner à voir un autre visage de cet infâme personnage. Il suffisait de consulter la vidéo de l’AG 2020* de l’OABA pour le voir se pavaner devant son public fanatisé : relatant une opération de saisie auquel il prend part, Josserand en vient à déclarer que si l’agriculteur s’était suicidé « ça ne serait pas grave », recevant pour ce bon mot l’acclamation du public.

De même, dois-je vous apprendre que la Confédération paysanne fut l’une des premières instances à abandonner Jérôme dans son combat. Marc Grozellier — cet ancien porte-parole départemental décrit avec tant de douceur dans vos articles — déclarait au Journal de Saône-et-Loire trois jours avant le meurtre de Laronze : « le cas de cet agriculteur est plus un problème de santé qu’un problème professionnel. […] Il a besoin de soins. » Quelques jours après sa mort, un communiqué national du même syndicat suggère qu’il a agi « au-delà de la raison ». La « Conf » qui est allée chercher Laronze pour son charisme et son franc-parler l’a finalement rejeté parce qu’elle n’acceptait pas d’être remise en question dans son rôle de cogestionnaire agricole avec l’État. Comble de la perversion, ce syndicat écolo a publié en 2018 son Guide des droits et devoirs en situation de contrôle avec une dédicace à Jérôme Laronze, lui qui contestait la légitimité des contrôles et refusait de se soumettre aux injonctions de l’administration. Pour finir, concernant les circonstances de sa mort, il n’y avait pas besoin d’être un détective aguerri pour comprendre que lorsque quelqu’un reçoit des balles dans le flanc et dans le dos, ce dernier était sans conteste en train de fuir et non en train de charger ses agresseurs. Alors lire que son assassinat par les gens d’arme n’est qu’une « hypothèse » est une injure de plus ainsi que la preuve d’un manque de courage politique et journalistique notable. Rendez-vous compte que par vos lignes, Madame Aubenas, vous tenter d’enterrer dans les archives de l’histoire officielle, écrite chaque jour dans les pages de votre journal de référence, l’histoire erronée et encore vivante d’un paysan visionnaire en lutte. Pourtant, je sais que vous connaissiez tous les éléments ci-dessus et vous avez choisi de les occulter. Nous sommes nombreux et nombreuses dans le milieu agricole à nous être reconnus dans les paroles de Jérôme Laronze, quand nous les avons découvertes après sa mort. Ce sont ses prises de positions qui nous ont donné le courage de ne plus nous taire et de poursuivre ce combat pour nous opposer à notre élimination.

C’est pourquoi vos articles suscitent en moi beaucoup de questionnements, auxquels j’espère vous voudrez bien répondre : Pourquoi vous avez autant donné la parole et la part belle aux détracteurs de Jérôme ? Pourquoi vous n’avez pas cité ni fait mention de sa lettre détaillée sur ces positions politiques ? Pourquoi avoir voulu écrire une série d’articles sur lui, pour finalement le faire passer pour un fou alors que vous aviez tout en votre possession pour comprendre ses choix(ce qui n’a rien à voir avec le fait d’y adhérer) ?

Dans l’attente de votre réponse, * https://oaba.fr/assemblee-generale2020-en-video/ Florence Aubenas et Le Monde ou comment ce journalisme de pouvoir utilise la vie et la mort d’un agriculteur pour vendre du papier en été. Tout en occultant les paroles et les combats de cet homme, Jérôme Laronze, qui s’est battu pour sa liberté et son autonomie et celle de ce qui reste de la communauté paysanne

L’été 2021 aura été l’occasion de lire un touchant drame paysan en feuilleton dans Le Monde au sujet de l’assassinat de Jérôme Laronze. Touchant, mais mensonger, par occultation choisie. Dont une essentielle que nous allons expliquer. Florence Aubenas avait pourtant rencontré d’autres sons de cloche que ceux de la DDCSPP, des associations animalistes et du syndicalisme réuni face aux critiques, pendant son enquête. Et, en particulier, elle a pu avoir tous les documents expliquant le parcours de Jérôme.

Notamment un, essentiel : la lettre de Jérôme Laronze écrite pendant qu’il était traqué et intitulée Chroniques et états d’âme ruraux**. Celle-ci s’achève très clairement ainsi : « Ne disposant pas suffisamment d’hypocrisie, je me suis abstenu de signer cette charte. » De quelle « charte » s’agit-il ? De la circulaire 5806/SG du 31 juillet 2015, voici le passage clé de la lettre à ce propos : « Toujours dans la période 2015/2016, je participais aux réunions d’élaboration de la charte des contrôles en exploitations agricoles. Cela a débuté à la préfecture, sous la présidence du préfet. Je m’y rends sans a priori, riche de mon expérience et avec la volonté de construire quelque chose. Après la déception de découvrir que la chose n’était pas une initiative locale, mais une injonction de Matignon via la circulaire 5806/SG du 31 juillet 2015, et que l’administration avait déjà bien ficelé le dossier avec la FNSEA (opérateur historique du syndicalisme agricole mais non représentatif et non majoritaire). Un modèle étant même en annexe de la circulaire. Un sentiment de complicité de tartuferie montait en moi alors qu’en même temps j’apprenais qu’en Saône et Loire 50% des notifications sont faites hors délais, me rassurant ainsi sur la pérennité de certains emplois. »

De quelle injonction de Matignon s’agit-il ? De l’article 3.3 signé Manuel Valls : « Les préfets de département établiront, d’ici le premier trimestre 2016, une charte des contrôles en agriculture afin de partager les bonnes pratiques entre la profession agricole et les différents corps de contrôles. Son élaboration doit être l’occasion d’échanges approfondis entre les parties concernées, afin de sécuriser le déroulement des contrôles, depuis la prise de rendez-vous jusqu’à l’information sur les constats et la suite de la procédure. Un modèle de charte figure en annexe à la présente circulaire. »***

Jérôme s’est trouvé isolé pour avoir explicitement refusé d’avaler la couleuvre d’une collaboration entre syndicats et gouvernement, de contribuer à sécuriser les contrôles qui sont un élément clef de l’écrasement des fermes. « Syndicats » au pluriel, comprenant la Conf’, puisque c’est comme (co)porteparole et représentant départemental de celle-ci qu’il s’était trouvé à participer aux réunions d’élaboration de la charte commanditée par le gouvernement. Voilà une des occultations délibérée à laquelle Florence Aubenas se prête dans son drame paysan qui vend du papier l’été, puisqu’elle savait. C’est une des informations qu’elle a cachée. Et c’était là le sens d’un des combats essentiel que menait Jérôme Laronze malgré l’isolement, l’abandon et la trahison mise en place par les cogestionnaires syndicaux de tous bords.

* https://www.lejsl.com/actualite/2017/05/17/la-confederationpaysanne-l-a-aide-mais

** https://larotative.info/jerome-laronze-chroniques-et-etats3390.html

*** http://circulaires.legifrance.gouv.fr/pdf/2015/08/cir_39892.pdf

Quelques vaillants iconoclastes encore agri, 26 décembre 2021

Lettre de Jérome Laronze

Chroniques et états d’âmes ruraux Tué par les gendarmes le 20 mai 2017, Jérôme Laronze était éleveur bovin en Saône-et-Loire, Dans ce texte qu’il a écrit et envoyé à la presse, pendant qu’il était seul et traqué par les gendarmes et donc peu de temps avant son assassinat, il relatait l’acharnement administratif qu’il a subi et ses combats contre la traçabilité, un des outils de l’écrasement planifié des paysans, les artisans de notre satiété.

Nous sommes en septembre 2014 quand je reçois un courrier m’informant que mon exploitation fera l’objet d’un contrôle portant sur l’identification de mes bovins. Celui-ci se passera bien, et ne mettra en évidence aucun défaut majeur, juste des hors délais de notifications (déclaration des mouvements des animaux à l’EDE, Établissement départemental de l’élevage). Par la suite, sans doute frustrée d’une chasse si maigre, l’administration, via la Direction Départementale de la Protection des Population (DDPP) m’informe qu’à la vue de ces hors délais elle refuse de valider mes déclarations de naissances et exige que je prouve, à mes frais, les filiations mère/veau par des tests ADN, et que dans l’attente de ceux-ci mon cheptel est interdit de tout mouvement.

Quelques jours plus tard, en entretien téléphonique avec une agent de la DDPP, j’exposais mes réticences à justifier que la meumeu 9094 est bien la mère du veauveau 4221 par des méthodes relatives à l’identification criminelle. Cette personne me récita alors son catéchisme administratif et bafouilla quelques arguments que je mis facilement à mal ce qui me valut d’entendre que ce n’était pas grave et que si je refusais de me conformer à ses exigences, mes animaux entreraient en procédure d’élimination (entendez « abattus ») à mes frais et collectés par le service d’équarrissage puis de clore en déclarant cette phrase qui me revient quotidiennement en tête : « Moi je m’en fiche ce ne sont pas mes bêtes ». Pour avoir en d’autres temps côtoyé cette personne, je peux pourtant affirmer qu’elle est ni de sotte ni de méchante nature et me demande quel est le mal qui a corrompu son esprit. Si la Grèce antique avait ses rites et ses croyances, aujourd’hui, au nom de quels dieux, sur l’autel de quelles valeurs m’a-t-on promis l’hécatombe ? « Moi je m’en fiche, ce ne sont pas mes bêtes »

Dans la continuité, la DDPP me submergera de menaces, de mises en demeures, d’injonctions, d’intimidations et de contrôles sur ma ferme avec à chaque fois, toujours plus de gens en armes alors que j’ai toujours étais courtois et jamais menaçant. Ces manœuvres furent pour moi l’occasion d’observer des comportements inopportuns comme par exemple le jour où, venu me confisquer mes documents accompagnements bovins (DAB), la chef se plaira à taquiner les gendarmes au sujet de la signalétique défectueuse de leur véhicule, dans un comportement relatif à celui de l’adolescente cherchant à évaluer sa cote auprès des hommes, émettant éclats de rires et blagues analogues à celle du poulet aux amandes. N’a-t-on jamais appris à cette personne qu’il est des circonstances où la bonne humeur affichée des uns est une insulte faite aux autres ? Cela étant, si j’avais soupçonné un tel effet de l’uniforme, peut-être aurais-je moi-même passé ma tenue de sapeur-pompier volontaire. En outre, j’invite à une pensée compassionnelle pour ces gendarmes, dont le vieux véhicule souffrait de dysfonctionnements électriques généralisés, et qui ont pour de peu été contraints afin de le redémarrer de solliciter l’aide de celui qu’ils étaient venus intimider. Ultérieurement, souhaitant cocher les animaux présents sur sa grille d’inventaire, cette même personne s’agacera de n’en trouver aucun et se mettra à déblatérer jusqu’à que sa collègue vienne lui chuchoter que tout concordait et que, manifestement elle n’avait pas le bon inventaire. Si l’erreur est humaine et certainement imputable à un bureau surchargé de dossiers, en revanche, l’empressement à tirer de méchantes conclusions est, lui, lourd de sens.

Le 6 juin 2016, cette administration est revenue avec encore davantage de gens en armes qui m’encerclèrent immédiatement, et, après des salutations négligées de la part de tous ces importuns, toujours la même chef débuta par un rappel de sa liturgie administrato-réglementaire et, alors que je pensais la logorrhée arrivée à son terme, celle-ci m’annonça avec grande satisfaction les lourdes peines prononcées à mon égard et, avec tout autant de satisfaction, que le délai pour un éventuel appel était expiré. Plombé d’apprendre ainsi la perte de ma virginité judiciaire, mais face à une telle orthodoxie administrato-réglementaire, je déclarais néanmoins mon étonnement, en évoquant une surface marchande mâconnaise, que l’on pourrait nommer « intersection marché », qui a pendant deux semaines, en juillet 2015, au plus fort de la crise de l’élevage, fait une promotion sur la viande d’agneaux, en arborant au rayon boucherie un ostentatoire panneau de cinq mètres carrés, avec la mention « agneaux de Bourgogne » alors que la viande fraîche était irlandaise et la surgelée néo-zélandaise et que de plus, la viande de bœuf bénéficiait d’un étiquetage aussi approximatif que fantaisiste. Durant ma brève allocution, l’agent ne cessera d’afficher un mépris surjoué et me fera pour toute réponse un sourire des plus cyniques. J’ajoute aujourd’hui qu’une immense banderole vantait ce magasin comme étant le premier débit de viande du Mâconnais et que celui-ci, le siège de la DDPP, et le domicile de la très zélée fonctionnaire se situent dans un rayon de 3 500 mètres. Comprendra qui peut, mais voilà qui met en exergue que la bruyère et la ronze (ronce en patois de chez moi) ne sont pas du même côté du manche. À cette même époque, sous mandat syndical, je siégeais à la cellule d’urgence départementale mise en place pour la crise de l’élevage. A cette occasion, la directrice adjointe de la DDPP a présenté la mesure douze du plan de soutien à l’élevage, portant sur un renforcement des contrôles de l’étiquetage des viandes et sur les mentions trompeuses en grandes surface de 25 %. À cette annonce, je pris la parole pour signifier mon approbation et l’interroger sur les moyens financiers et humains mis à sa disposition pour atteindre ces objectifs. Non sans embarras, elle m’a répondu, pas un sous de plus, pas un agent de plus. En toute évidence, 25 % de zéro ne font toujours pas beaucoup plus que la tête à Toto !

J’en reviens à la journée du 6 juin 2016. Après avoir entendu moult menaces, intimidations et humiliations, les sinistres lurons ont décidé de faire un tour des pâtures. Arrivant dans une où paissaient plus de vingt bovins, les agents de la DDPP eurent fantaisie de les serrer à l’angle d’une clôture en barbelé et d’un ruisseau puis ont débuté la vocifération du matricule des animaux, qui, eux même paniqués par la meute hurlante, se sont précipités dans le ruisseau avec un fracas extraordinaire. Voyant que des animaux étaient en difficultés dans le ruisseau, je m’approchais de ceux-ci. La première réaction de la chef fût de me dire que cela était entièrement de ma faute, même si je me demande encore comment, puisque j’étais à 100 mètres de là sous le joug de matraques, tasers et autres fusils mitrailleurs. Toujours est-il que cinq animaux gisaient au fond du ruisseau, ayant abondamment bu la tasse et lourdement souffert du piétinement des presque vingt autres. J’ai donc, dans l’urgence et à mains nues, tenté de sortir les animaux. Les uns tirant sur les pattes, les autres donnant des coups de matraques, ou suggérant l’emploi du taser, Agents DDPP et gens en armes se joindront à moi en prenant bien soin de ne pas mouiller leurs chaussettes. Les uns tirant sur les pattes, les autres donnant des coups de matraques, ou suggérant l’emploi du taser et les fusils mitrailleurs devenant plus encombrants qu’autres choses… La nécessité d’un tracteur s’imposant, je suis rentré seul à la ferme en chercher un avec des cordes, et celles-ci en main, je me suis demandé s’il n’y aurait pas un usage plus radical à en faire en les associant à une poutre et à un quelconque point surélevé. Mais pour aboutir, la chose prend un certain temps et ne me voyant pas revenir, ils pourraient arriver avant. Et puis cette bande de dégourdis arrivera-t-elle à extraire les animaux sans moi ? Il est bon de préciser que cette pâture est mise en valeur par ma famille depuis le 19ème siècle et que jamais le moindre incident ne fût à déplorer sur celle-ci. Des suites de cet « incident », les cinq bovins périront. Là-dessus, la chef décidait d’interrompre le contrôle. Me trouvant seul avec elle (alors qu’elle prétendait avoir besoin de huit gens en armes pour garantir sa sécurité) qui changeait de chaussure, elle m’exprima tout le dégoût que je lui suscitais et m’insinuait, l’encombrant que j’étais pour la société. Chuchotant entre collègues, je les entendais dire que je n’avais pas l’air très gai et qu’il n’était peut-être pas prudent de me laisser seul et s’en allèrent. Une fois seul, puis hébété, je suis retourné voir les gisants et leur prodiguer quelques vains soins. J’ai déconnecté mes téléphones, ensuite entrepris de faire un peu de ménage dans la maison, ensuite, ce faisant, je me mis à penser à mon député et mon imaginaire me transporta dans une conversation avec lui dont voici la retranscription : Moi : Salut Thomas, ça me fait plaisir de te voir ! Assieds- toi, je vais déboucher une bouteille. T’as le temps maintenant que t’es plus ministre ! Tu sais que je me suis senti con d’avoir voté pour toi ! C’était ben du foutage de gueule ton histoire de phobie administrative, mais bon, dans l’urgence on peut comprendre. Allez santé ! Thomas : Tchin-tchin, in vino véritas ! Moi : Absit reverentia vero ! Tu sais, autant j’ai du mal à avaler ton histoire de phobie quand je vois ton parcours estudiantin, autant je suis disposé à croire que, totalement investi dans ton travail parlementaire, tu as négligé quelques impératifs administratifs parce qu’en tant que paysan, je m’y reconnais un peu.

Nous avons toujours une vache à soigner, une terre à labourer, de l’orge à moissonner, une vigne à tailler, une prairie à faucher et des fruits à cueillir alors, la paperasse, elle attend, parce que dans l’ordre naturel des choses le superflu ne commande pas au vital. Permets-moi de te dire que nous, les lois naturelles, nous y sommes tous les jours soumis, et quand on vit dans une république hors sol, qui ne cesse de vouloir les transgresser, ben tu peux me croire qu’on fait un putain de grand écart. Il nous est souvent reproché de ne pas être administrophile, et on s’adresse à nous comme à des demeurés qui ne comprendraient pas ce qu’on leur demande, alors que c’est justement parce qu’on comprend bien où que ça nous mènent qu’on a du mal à le faire. Aujourd’hui en agriculture, la pire calamité, c’est pas la sécheresse, ce n’est pas la grêle, c’est pas le gel, c’est la calamité administrative qui nous pond des textes qui profitent toujours aux mêmes, abscons, contradictoires, contre-productifs, absurdes qui sont l’antimatière du bon sens paysan !

Pis je vais encore te dire une chose, contrairement à certains parasites, qui officient dans la confidentialité d’immeuble maçonnais par exemple, notre travail il est à la vue et au su de tous, exposé le long des routes et des chemins, alors quand le paysan est en mesure de bien faire il en tire satisfaction, orgueil, amour-propre et accessoirement salaire, mais qu’advient-il lorsque celui-ci est mis en incapacité de faire ? En définitive, ce n’est rien d’autre que la persécution du vital par le futile. Tu sais Tom, il y pas si longtemps en France, la population comptait 50% de paysans et le sol 50 % d’humus, aujourd’hui, nous sommes 4 % et il reste pas bien plus d’humus dans le sol. Ben quand on sait qu’étymologiquement, humus est la racine du mot humanité, je me demande s’il y a encore beaucoup d’humanité dans notre société ! Moi, je pense que la république est une pute et la finance sa mère maquerelle ! Thomas : Tu peux pas dire ça, des gens se sont battus pour obtenir la république ! Moi : Et les Vendéens y ont plongé de leur plein gré dans la Loire ? Alors ferme ta gueule de franc-maçon et rebois un canon. Toi et ta bande à Flamby vous pouvez vous vanter d’avoir fait de la France un sacré pays de cocus ! Pis mon gars, si on compare nos négligences réelles ou supposées, ben on paye pas le même prix, toi tu vas tranquillement finir ton mandat, je ne peux pas te destituer, tu vas toucher ta retraite parlementaire, bien plus conséquente que celle de mon père qui a treize ans travaillait déjà, alors que moi, c’est taule, amende, pénalités et une partie de mon troupeau à la benne. Thomas (en riant la mine réjouie par le vin) : Oui, mais la France est un territoire ordonné sur lequel ne peut pénétrer n’importe quel terroriste ! Moi : Quand je dis que ce vin est un élixir de vérité ! C’est con j’aimais bien ta petite gueule de premier de la classe. Au début, moi j’aimais bien quand tu emmerdais Mcdo avec sa TVA et tes propositions de lois visant à moderniser la vie politique. J’ai pas fait la dépense de ton livre, mais si tu veux m’en offrir un exemplaire dédicacé, je le lirai avec l’attention qu’il mérite. Je sais bien que ta situation administrative était connue de tous les initiés, et qu’elle fût soudainement dévoilée quand ton mentor s’est fait débarquer de Bercy, mais il faut savoir que quand là-haut, vous vous faites des coups de putes entre putes, c’est nous en bas qui payons la note ! Ceci dit, avec le purgatoire que tu as subi, tu es peut-être devenu le moins pire de tous alors tourne le dos à ces crevures de libéro-libertaires, demande une investiture au Front National, je revote pour toi et je te casse pas la bouteille sur la tête. Mon ménage terminé, j’employais mon esprit à la rédaction d’une succincte lettre et à la clôture de mon compte sur le livre des visages. Après quoi, muni d’une corde et d’un tabouret, je me mis en route avec le dessein de mettre en œuvre le message subliminal de l’agent DDPP et pour destination la proximité de sa résidence. Manière de rendre à César les honneurs qui lui reviennent. J’arrive au crépuscule dans un joli village qui s’endort paisiblement. En m’approchant, je vois une belle demeure aux abords soignés, où l’on devine une vie de famille heureuse.

Rien de commun avec l’antre du diable, mais plutôt le chaleureux foyer du couple fonctionnaire et cadre de l’industrie agroalimentaire soumis au paradigme légalomarchand et heureux de l’être, tant que cela lui finance bâti ancien, piscine, voitures cossues, loisirs coûteux et chevaux de valeurs. Ici, le salaire de la terreur cumulé à celui de la spoliation des producteurs de lait est converti en un espace bucolique transpirant de bonheur. La nature est autorisée à s’y exprimer, tant qu’elle produit de beaux légumes, de beaux fruits, du bon miel et qu’elle ne porte pas atteinte à la rigueur du lieu. Un cadavre y ferait fausse note. Il y a, non loin de là, un cheval qui par tous ses moyens cherche à attirer mon attention. Je m’approche de lui, il se calme, je le câline et lui parle. La nuit est fraîche, le dessous de son crin me réchauffe les mains, son encolure le cou et son souffle le dos. Il reste là, immobile, ni moralisateur ni condescendant, ni traître ni lâche, n’obéissant qu’à lui-même, sa chaleur animale rayonne d’humanité, elle. Un instant, j’aurais voulu le chevaucher, sauter la barrière, mais le galop du meilleur pur-sang est bien dérisoire pour fuir l’absurdité du monde. Alors, ainsi installé, je pleurais sur le paradoxe du suicide qui satisfait ceux qui ne vous apprécient pas et est susceptible de peiner les éventuelles personnes qui vous apprécient. Je pleurais aussi sur la trahison de ma propre colère, celle que je ressentais aux funérailles de mes camarades d’école respectivement pendu et noyé. Car, outre la peine et la tristesse, je me souviens avoir été envahi de colère à leur encontre, de nous laisser avec notre chagrin et l’image de cette jeune femme effondrée sur la boite qui renfermée son petit frère, de n’avoir rien dit, de ne pas s’être battu autrement qu’en utilisant pour seule arme le sacrifice de leurs vies que la société rangera, avec leur dépouille, purement et simplement six pieds sous terre. Si je devais ici faire vivre leur mémoire, je parlerais de ce que sont les paysans. Ils étaient de ceux qui ne travaillent pas en priorité pour un salaire, mais pour l’amour du travail bien fait, du sillon droit, des animaux bien conformés, du cep bien taillé, du lait propre et de la couleur des blés, quitte trop souvent, et on doit le déplorer, à se laisser éblouir par l’agrochimie et autres doux leurres sources de douleurs.

Car ils sont là les vrais artistes, ces conservateurs du savoir-faire qu’au Japon on nommerait « trésor national vivant », les virtuoses de l’adaptation et les artisans de votre satiété. Ils existent encore les travailleurs, les opiniâtres, les taiseux, les humbles, les enracinés qui œuvrent en communion avec leur territoire et sont assassinés quotidiennement dans un crime silencieux Récemment encore, une enquête menée en lycée agricole indiquait que le revenu arrivait en lointaine position dans les objectifs de leur futur métier. Dans cette société du fric, quel avenir pour ces jeunes candides ? Mais si ceux-ci réclament rémunération de leur travail, qui le leur paiera ? L’État (qui paiera peut-être en 2017 les aides 2015 !) ? Bigard ? Lactalis ? Auchan ? Carrefour ? Qui est prêt à remettre 60 % de son pouvoir d’achat dans la nourriture ? Les précarisés de Macron ? Les syndicats qui soutiennent la paysannerie comme la corde soutient le pendu ? Si Elzéard Bouffier n’a eu qu’une existence fictive sous la plume de Giono, ils existent encore les travailleurs, les opiniâtres, les taiseux, les humbles, les enracinés qui œuvrent en communion avec leur territoire, ces paysans, ces artisans, ces soignants, ces maires, ces curés, ces institutrices, ces facteurs, ces épiciers … qui sont assassinés quotidiennement dans un crime silencieux, mais très réel lui. Apaisé par l’humanité de ce cheval, et ne pouvant trahir ma colère, je me suis, au chant des oiseaux diurnes, résigné à rentrer chez moi. L’inquisition républicaine viendra finir son contrôle, ne me laissant à l’issue de celui-ci que des carbones illisibles et des bleus à l’âme. Puis de manière aussi soudaine qu’inattendue, elle m’indiquera qu’après expertise de mon dossier, la très grande majorité des animaux figurant sur la liste de ceux à éliminer n’avaient pas lieu d’y figurer, qu’elle passait l’éponge sur les autres et que ma situation serait régularisée dans les plus brefs délais. Je laisse à chacun le soin de trouver les mots pour nommer et qualifier ceux, qui d’abord cognent et ensuite réfléchissent. A toutes fins utiles, je tiens les documents qui en attestent à la disposition de mes collègues paysans confrontés à cette procédure. Je fis quand même faire, à mes frais, quelques tests ADN qui confirmèrent l’honnêteté de mes déclarations. Celle qui, orgueilleuse d’avoir bloqué mes boucles à Mâcon, me dira sur un ton badin que mes boucles sont récupérables à l’EDE. Bien qu’étant en règle, je tardais à recevoir mes DAB, je téléphone donc à la DDPP où la chef de service me répond. Je lui fais immédiatement part de mon soulagement d’être régularisé, mais m’étonnais de ne pas recevoir mes DAB, et, de m’entendre répondre sur le ton maniéré, agaçant et méprisant qui lui est intrinsèque, qu’elle a effectué toutes les démarches, que cela ne la concerne plus, et qu’elle a autres choses à faire que de courir après les cartes vertes de M. Laronze, sur ce merci au revoir. Les mois passaient et je n’avais toujours reçu qu’une partie des DAB, quand j’ai appris que le reste s’était noyé dans les marécages administratifs des bords de Saône et personne ne savait quels DAB. De leurs coassements, les crapauds du marécage demandaient à moi, l’Al Capone de l’élevage qui nécessite d’être mis sous le joug de huit gens en armes, moi le faussaire qui doit prouver ses déclarations par des tests ADN, moi que l’on a mis à l’amende, moi le taulard sursitaire, de produirene liste des DAB me manquant et me les rééditèrent sur la bonne foi de celle-ci. Pour éclaircir l’image noire que mon propos peu donner de la DDPP, je vais ici citer les paroles de son directeur alors qu’en cellule d’urgence j’étais assis à sa gauche la plus immédiate : « J’entends bien ici tout le désarroi qui est exprimé, je prends bien toute la mesure des difficultés de l’élevage, j’en déduis l’impact psychologique sur les humains […] et naturellement la DDPP n’a pas vocation à venir compliquer les choses sur les exploitations. » Dans tout ça, cette usine à eau de boudin a sacrifié le bien-être animal dont elle est supposée être la garante en me mettant en incapacité de l’assurer sur ma ferme, et en jetant elle-même des animaux à la rivière pour voir aboutir les exigences d’une réglementation dont la genèse est un roman noir à elle seule (farine animale/vache folle) et qui n’évite pas les lasagnes à la viande de cheval. J’invite donc quelques vétérinaires ratés et pantouflés dans une administration à beaucoup d’introspection. Pour leur gouverne, je leur indique qu’ils sont des nains arrogants posés sur les épaules d’un colosse aux pieds d’argile, que j’invite à s’instruire de la fable des deux mulets. Constante dans ses incohérences, la DDPP m’ordonnait de souscrire à un suivi personnalisé payant auprès de l’EDE, sur qui pourtant, elle rejette la faute de l’envoi tardif des documents, alors voilà pourquoi un beau matin, un brave type de l’EDE que je connais et une très emmitouflée jeune femme (qui n’a pas jugé utile de se présenter) sont venus me faire signer les trois feuilles du contrat. Après un échange franc et courtois et refusant le café que je leur proposais, ils sont repartis avec douze morceaux de feuilles non signées. Dans les dommages en cascades, étant devenu un « client à emmerdes », mes vétérinaires ne souhaitent plus intervenir chez moi. J’étais pourtant l’un de leurs presque rares clients à régler ses factures à échéances exactes (un cabinet comme celui-ci a facilement un million d’euros d’impayés par les rues) malgré une situation économique devenue tendue en me disant qu’une fois tout cela fini, au moins, je ne serai pas brouillé avec eux. Les vétérinaires étant des partenaires importants dans la conduite d’un élevage. Je constate que ce cabinet à une façon très personnelle de rendre grâce. D’autant plus qu’au cours de successives acquisitions, fusions et absorptions, il est en situation de monopole sur mon secteur. Toujours dans la période 2015/2016, je participais aux réunions d’élaboration de la charte des contrôles en exploitations agricoles. Cela a débuté à la préfecture, sous la présidence du préfet. Je m’y rends sans a priori, riche de mon expérience et avec la volonté de construire quelque chose. Après la déception de découvrir que la chose n’était pas une initiative locale, mais une injonction de Matignon via la circulaire 5806/SG du 31 juillet 2015, et que l’administration avait déjà bien ficelé le dossier avec la FNSEA (opérateur historique du syndicalisme agricole, mais non représentatif et non majoritaire). Un modèle étant même en annexe de la circulaire. Un sentiment de complicité, de tartuferie montait en moi alors qu’en même temps j’apprenais qu’en Saône-et-Loire 50 % des notifications sont faites hors délais, me rassurant ainsi sur la pérennité de certains emplois. À une autre date, voulant m’assurer de l’honnêteté de ce projet, je prenais la parole et, à franches coudées, mais avec sincérité et courtoisie, je commençais d’exposer mon point de vue quand, soudain, une petite sotte s’est dressée sur ses talons de six et m’a intimé l’ordre de me taire. En toute flagrance Iségoria ne présidait pas à la séance et Parrêsia n’y était pas la bienvenue. En revanche, lapalissades et autres exsudats du Pipotron étaient mis en éloges. Si Molière faisait dire à son bigot de Tartufe : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir », la république à ces dévotes qui veillent à ce que tout ne soit pas dit, car, peut-être que « par de pareils objets, les âmes sont blessées, et cela fait venir de coupables pensées ». Sous son vernis de mesurettes et d’éléments de langage en novlangue orwellienne, cette charte n’apporte aucune sécurité aux contrôleurs, est avant tout un outil de communication au service de quelques hauts responsables, vers qui se tournent les médias quand un contrôleur se fait assassiner (les suicides de paysans corrélatifs à un contrôle sont très vite étouffés par l’administration et la profession) afin qu’ils puissent, la main sur le cœur, la bouche en cœur et en chœur évoquer la charte, et dire : « Nous avons tout fait pour éviter cela » et ainsi se disculper de toutes responsabilités. « Preuve est faite que visages dévots et pieuses actions nous servent à enrober de sucre le diable lui-même. » William Shakespeare Ne disposant pas suffisamment d’hypocrisie, je me suis abstenu de signer cette charte.

Printemps 2017. Jérôme Laronze paysan à Trivy entre Saône et Loire.

Lettre accessible à : https://larotative.info/jerome-laronzechroniques-et-etats-3390.html

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