Procés de Redouane Faïd : le droit à l’évasion

A l’occasion du procès de Rédoine Faïd et de onze accusés soupçonnés d’être impliqués dans son évasion de la prison de Réau, en juillet 2018, qui s’est ouvert en septembre et dont le verdict sera rendue le 25 octobre 2023, nous avons décidé de réaliser une émission autour des conditions de vie en quartier d’isolement et du droit à l’évasion. Pour cela nous sommes en direct avec Yazid Kherfi, qui rend visite à Redoïne Faïd depuis plusieurs années et qui suit le procès; et Kyu, ancien détenu et animateur de L’Envolée ( émission de radio et magazine anti carcérale).

Jusqu’ en 2003, en France, les évasions « simples » ou « dépouillées », c’est-à-dire accomplies sans violence, ni effraction, ni corruption, étaient alors impunies. Il était en quelque sorte admis qu’existait un droit naturel à recouvrer la liberté. Cette clémence était justifiée par l’instinct de liberté qui domine tout être vivant. « Il existe chez l’Homme une aspiration naturelle à la liberté d’aller et venir parfaitement inaliénable, et qui ne peut être détruite par une décision judiciaire de privation de cette liberté. en 2009, 21 évasions. Cependant, l’évadé « simple » n’échappe pas à toute répression. Il est déjà l’objet de sanctions disciplinaires pénitentiaires et encoure notamment jusqu’à 45 jours de cellule disciplinaire, voire de
sanctions quasi disciplinaires (notamment isolement administratif et/ou transfèrement imposé). De plus, il fait généralement l’objet de sanctions d’application des peines (retrait de crédits de réduction de peine, rejet, du moins pour un temps, de toute demande d’aménagement de peine…).


Aujourd’hui, un tel droit n’existe plus ; la loi dite Perben II a en effet mis un terme à la tolérance vis-à-vis de l’évasion simple». Ainsi, l’article 434-27 du Code pénal, modifié par la loi du 9 mars 2004, indique que « constitue une évasion punissable le fait, par un détenu, de se soustraire à la garde à laquelle il est soumis. » Les anciens éléments constitutifs du délit sont désormais des circonstances aggravantes ; la loi
Perben II augmente la durée de la peine encourue dès lors que l’évasion a été commise « avec violence, effraction ou corruption ». Pour l’évasion simple, la peine encourue est de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende 7
(Code pénal, article 434-27, alinéa 2). Elle est aggravée par l’usage de la violence, de l’effraction ou de la corruption. La peine encourue est en effet alors portée à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende (Code pénal, article 434-27, alinéa 3). Mais le législateur a encore prévu deux autres seuils d’aggravation à l’article 434-30 du Code pénal ; la peine passe à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende, lorsque l’infraction est commise « sous la menace d’une arme ou d’une substance explosive, incendiaire ou toxique ». De plus, la peine est portée à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende lorsqu’il « a été fait usage d’une arme ou d’une substance explosive, incendiaire ou toxique », ou encore lorsque les faits ont été commis « en bande organisée, que les membres de la bande aient été ou non détenus ». La sévérité de la répression de l’évasion ne se manifeste toutefois pas seulement par les peines qui peuvent être prononcées. Il faut préciser que ces peines dérogent au droit commun du non-cumul des peines ; en effet, l’article 434-31 du Code pénal précise que « les peines prononcées pour le délit d’évasion se
cumulent, sans possibilité de confusion, avec celles que l’évadé subissait ». Lorsque l’évadé est repris, il doit subir d’abord sa peine, et, ensuite la peine qu’il purgeait précédemment, laquelle est reprise là où elle avait été laissée. Ajoutons, enfin, que ces sanctions pénales ne sont pas les seules à venir punir l’évadé repris. En effet, l’évasion constitue une faute disciplinaire de premier degré, laquelle fait encourir un maximum de 45 jours de cellule disciplinaire. Des sanctions quasi-disciplinaires peuvent s’y rajouter : « transfèrement » vers un autre établissement, souvent à régime de sécurité plus élevé, placement à l’isolement, destiné à briser la résistance du détenu et à rendre plus difficile la commission d’une nouvelle tentative d’évasion ; réticence du juge à accorder des aménagements de peine, retrait des crédits de réduction de peine précédemment accordés…


L’évasion est toujours une victoire, une prouesse technique, la marque de courage ; mettant sa vie en jeu pour recouvrir sa liberté . Celui qui s’évade est déjà une énigme, le seul fait d’avoir traversé des murs le présente comme un homme à part, un être insaisissable, fuyant, tout-puissant, défient l’autorité. Il a connu la mort et en a réchappé, il appartient au monde de l’ombre et ose agir en pleine lumière. Souvent repris mais toujours libre. Il y a deux éléments fondateurs dans la gestion des prisons : 1) la prévention de l’évasion ; 2) le maintien de l’ordre au sein de la prison. Ça ne change pas. L’autre mission, qui, par contre, a perdu du terrain, c’est
la resocialisation, la réinsertion, la vie (suicide, morts suspectes). Selon la règle pénitentiaire européenne n° 51.4, « chaque détenu est (…) soumis à un régime de sécurité correspondant au niveau de risque identifié ». En France, l’administration pénitentiaire dispose d’un ensemble de moyens préventifs ou répressifs dont le régime de sécurité varie en fonction de la mesure employée. Elles sont au nombre de cinq : la mise à l’isolement, le placement en quartier de haute
sécurité (remplacé par l’isolement renforcé), le confinement, la mise en cellule disciplinaire et les rotations de sécurité. La mise à l’isolement Souvent proche du quartier disciplinaire, un quartier d’isolement est prévu dans chaque prison. Il permet au chef d’établissement d’écarter à titre préventif du reste de la détention, pour une durée de trois mois pouvant être prolongée jusqu’à deux ans, des détenus
gênants, suspects ou meneurs. Il permet aussi de protéger des détenus qui pourraient subir les agressions de leurs codétenus ou provoquer un certain désordre par leur présence (délinquants sexuels, policiers, détenus célèbres, etc.).


Cette mesure concerne environ 3 000 personnes incarcérées chaque année. Bien que l’isolement « ne saurait (…) s’assimiler à un mode normal d’exécution de peine », les personnes réputées dangereuses effectuent la quasi-totalité de leur peine sous ce régime contraignant. En atteste d’ailleurs l’observation formulée par l’Inspection générale de l’administration pénitentiaire et l’Inspection générale des services
judiciaires dans leur rapport conjoint d’avril 1993 : « conçue comme une mesure temporaire destinée à faire face, plus ou moins ponctuellement, à une menace identifiée, l’isolement tend à devenir un mode durable de gestion de la détention d’un certain nombre de détenus jugés particulièrement dangereux par
l’administration ». La personne placée à l’isolement se voit privée de tout contact avec le reste de la détention, ses déplacements au sein de l’établissement se font toujours accompagnés d’un ou plusieurs surveillants et demeurent limités. Elle ne peut également participer à aucune activité collective (travail, formation,
enseignement, office religieux, etc.) et ses « occupations » se résument souvent à la promenade quotidienne d’une ou deux heures, seule, au milieu d’une petite cour couverte de grilles et de rouleaux de barbelés empêchant de voir le ciel et atténuant la lumière du jour. Ainsi, même si celon les textes « la mise à l’isolement ne constitue pas une mesure disciplinaire » au sens de l’article D283- 1-2 alinéa 1 du Code de procédure pénale (CPP), elle est vécue par ceux qui la subissent comme une véritable sanction, « une torture blanche », dont les effets physiques et psychologiques à long terme ne font qu’exacerber la dangerosité des détenus.


Les effets sur la santé mentale des détenus : idées de persécution, de préjudice, un sentiment de menace , idées délirantes ou par des réalités hallucinatoires . apathie chronique, instabilité émotionnelle, difficulté de concentration et diminution des facultés mentales . L’isolement a des conséquences sur l’état physique des personnes détenues : troubles oculaires à long terme du fait de l’espace réduit de la cellule et de l’éclairage souvent insuffisant et artificiel ; perte de facultés olfactives et gustatives due à la monotonie des odeurs ; atrophie musculaire du fait du manque
d’activité. C’est également une mesure qui exclut le détenu de tout dispositif d’aménagements de peine « dans la mesure où il est privé de toute activité, de travail, de formation et ne peut acceder au dispositifs qui permettent d’y avoir droit.
En définitive, l’isolement consiste à placer les détenus sous un régime dont l’objet est « tout à la fois de réduire tout ressort rebelle en brisant [leurs] résistance[s] et de rendre plus difficile la commission d’une nouvelle tentative d’évasion, ou à résister par des mutineries». La mise à l’isolement Cette mesure peut être prononcée selon quatre motifs (par mesure de protection, de sécurité, à la demande du détenu ou d’office). Elle est prise, dans un premier temps, par le directeur de l’établissement pouvant décider d’un isolement pour une durée maximum de trois mois renouvelable une fois. Au-delà, c’est au directeur interrégional des services pénitentiaires (DISP) de décider, sur rapport du chef de l’établissement, de la prolongation de la mesure. Sa décision est également renouvelable une fois.
Au terme d’un an d’isolement, c’est au ministre de la Justice d’en apprécier le maintien pour une durée de quatre mois renouvelable une fois. L’article D. 283-1-7 du CPP prévoit que l’isolement ne peut être prolongé au-delà de deux ans ; néanmoins il peut être fait dérogation à cette règle « si le placement à l’isolement constitue l’unique moyen d’assurer la sécurité des personnes ou de l’établissement ».


Laurent jacqua s est evadé Le 9 octobre, c’est la date anniversaire de l’abolition de la peine de mort, c’est donc une date symbolique. J’ai choisi cette date pour dire : « Vous me condamnez à mort en me mettant des années et des années de prison, moi je m’évade ce jour-là pour souhaiter un bon anniversaire à l’abolition de la peine de mort ». Je me suis donc évadé le 9 octobre 1994 en souvenir de l’abolition de la
peine de mort, et ça m’a porté chance puisque j’ai réussi. Michel Vaujour : accepter la peine ? La question ne se posait même pas. En fait, pour moi,l’administration pénitentiaire et cie n’avaient aucune légitimité ; le mot « légitimité » n’avait aucune
résonance en moi. Je n’ai jamais pensé qu’il y avait une justice ou autre chose comme ça. Je ne voyais pas pourquoi ces gens-là se permettaient de prendre ma vie. Point barre. J’étais en colère, parce que c’était ma vie. Je croyais que l’expression du pouvoir, c’était ce qu’il y avait autour de moi. Et ce qui m’entourait, franchement, ce n’était pas vraiment une référence morale. Le quartier de haute surveillance, c’est une ignominie.

Paradoxalement, le renforcement de l’arsenal sécuritaire dans les prisons françaises, puisqu’il est néfaste pour les conditions de vie des détenus, va dans le sens d’un recours accru à l’évasion. Là encore, on assiste au perpétuel affrontement entre les deux fonctions de l’administration pénitentiaire, la sécurité et la réinsertion, l’une faisant obstacle à l’autre. Éviter à tout prix les évasions a un coût. Miradors,
dispositifs de surveillance électronique des murs d’enceinte, grilles, filins antihélicoptères, brouilleurs de téléphones portables… Ces investissements dans la sécurité se font bien souvent au détriment des politiques de réintégration. Pour prévenir le phénomène rarissime qu’est l’évasion, l’administration pénitentiaire contribue malgré elle, à force de fouilles, de contrôles, à augmenter l’insupportable quotidien au sein de la détention, « incitant » les personnes détenues à faire le choix de l’évasion pour échapper à l’intolérable. Il faut ajouter à cela la politique pénitentiaire qui ne cesse d’augmenter la durée moyenne des peines de
privation de liberté. La durée des périodes de sûreté (pendant lesquelles il n’est pas possible d’obtenir une remise de peine) donnent le vertige ; la création de la rétention de sûreté en 2008, qui permet le maintien en détention de certains détenus après la fin de leur peine, bouche un peu plus l’espoir de sortie des longues peines. Quelles sont les issues possibles pour un détenu qui a comme perspective de passer vingt, voire trente ans en prison ? Parmi celles-ci, l’évasion est sans aucun doute envisagée, même si elle n’est parfois jamais mise à exécution. Ceux qui sont passés à l’acte sont presque toujours repris et subissent des sanctions d’une exceptionnelle dureté qui ne les encouragent, en définitive, qu’à renouveler encore leurs
tentatives.


A l’heure actuelle, en Belgique un détenu ne peut pas être condamné pour s’être évadé, sauf dans le cas où il commettrait d’autres méfaits pour arriver à ses fins (violence, menace, vol, destruction de matériel, prise d’otage…). Dans notre pays, l’évasion est même considérée comme un “droit” : celui d’aspirer à la liberté. Cette législation belge s’explique par l’idée inspirée du XIXe siècle, en pleine vague de romantisme et d’expression post-révolutionnaire, qu’on ne peut demander à un homme de renoncer à sa liberté. “L’idée de l’enfermement est de base contre-nature, développe l’avocat Pierre Chomé. Et on ne peut pas en vouloir à un être humain
de vouloir retrouver cette liberté, pour autant qu’il ne fasse de mal à personne et ne commette aucun délit.” Ainsi, de nombreux cas d’évasion “par ruse” n’engendrent aucune condamnation comme profiter d’une porte ouverte, de la distraction d’un gardien ou escalader les murs d’enceinte de l’établissement pénitentiaire. En Suisse, s’évader n’est pas une infraction. Si toutes les infractions commises lors de l’évasion sont punissables (dommages à la propriété, vol, prise d’otage, lésions corporelles, etc.), la simple fuite ne l’est pas. Elle renvoie à une passionnante question philosophique : peut-on reprocher à un homme enfermé son goût pour la
liberté ?