RADIO SHOW: LE POINT GODWIN

C’est la dernière émission de l’actualité des luttes avant les vacances-et oui, on prend des grandes vacances parce qu’on en a besoin et que cette année a été un peu compliquée. Entre le recours à la guerre, et l’investissent dans l’armement, le million de morts dans la guerre de position entre la Russie et l’Ukraine, le génocide en Palestine, la guerre au Congo et dans pas mal de pays d’Afrique. Entre la répression dans les colonies Française, les reculs spectaculaires du droit d’expression, la casse des services publics en France et partout dans le monde, les promulgations de lois contre les travailleurs, les chômeurs, contre les sans-papiers et le manque de mobilisation ; le moral était plutôt à plat. Mais pas question de baisser les bras, on prend des forces et on revient à la rentrée prochaine pour, on l’espère, des luttes sociales massives et victorieuses.

On vous diffuse aujourd’hui, pour clore cette nouvelle saison de l’actualité des luttes, l’ultime numéro, de l’équipe du Radio Show qui a décidé d’exploser le point Godwin ! (Le point Godwin est atteint quand on fait intervenir dans une conversation une référence au nazisme qui peut clore la discussion. Alors que nous le voyons, l’horreur n’a jamais malheureusement atteint son paroxysme et que des analogies avec un nazisme moderne peuvent être faites avec l’ancien).

Mais dans le même temps, une mystérieuse association, l’ARIEN (Association contre le Racisme et l’Inimitié Envers les Nazis) mène une campagne de lobbying pour l’interdiction du point Godwin et la dédiabolisation du nazisme. Alors traiter tout le monde de nazi, bonne idée ou gênance absolue ?

Avec des interviews de Johann Chapoutot, historien du nazisme, Daphnée Deschamps journaliste de Street-Press et spécialiste de l’extrême droite, un militant de l’association Young Struggle, Sarah Bénichou, journaliste indépendante qui documente notamment les racismes, des vraies gens croisés dans la rue et des personnages fictifs dans des sketchs flippants.

Et aussi, des montages médiatiques, un jeu du loup-garou et une chanson de Reno Bistan.

Libre D’obéir, Johann Chapoutot

Historien du nazisme et de sa vision du monde, Johann Chapoutot a récemment fait paraître un essai dont la réception n’a pas été unanimement favorable : “Libre d’obéir : le management, du nazisme a aujourd’hui”. Il revient avec Julien Théry sur la démarche du livre et profite de l’occasion pour répondre aux objections qui lui ont été opposées. C’est la lecture de l’abondante littérature nazie sur la Menschenführung, la conduite des hommes, qui a attiré l’attention de Johann Chapoutot sur les similitudes frappantes entre les discours de l’époque sur la nécessité de « faire mieux avec moins » et ceux qui prolifèrent aujourd’hui aussi bien dans la sphère entrepreneuriale que dans celle du gouvernement néolibéral.

Avec l’expansion du Reich au fil des conquêtes hitlériennes et le développement de l’effort de guerre, la nécessité d’administrer le plus efficacement possible avec des moyens réduits devint une obsession pour les cadres nazis. Et si le nazisme fut tout entier « un grand moment managérial », c’est parce que son idéologie poussa à l’extrême l’utilitarisme qui dominait en Occident depuis les débuts de la Révolution industrielle. Le darwinisme social (extension abusive aux communautés humaine de la théorie darwinienne de l’évolution des espèces par la sélection naturelle) cultivé en Europe depuis le XIXe siècle, tout particulièrement en Angleterre et en France, fut porté à son paroxysme par l’anthropologie nazie. Pour cette dernière, seule l’utilité d’une vie humaine pouvait justifier son existence – son utilité pour la prospérité et la promotion de la race germanique, appelée à dominer les autres sur tous les plans.

Dans son livre, Johann Chapoutot examine en particulier le cas emblématique de Reinhard Höhn (1904-2000). Jeune et brillant juriste engagé très tôt dans le militantisme nationaliste et antisémite, Höhn intègre le SD, c’est-à-dire l’élite de la SS, au début des années 30. Adjoint de Reinhard Heydrich, il devient, tout en montant les échelons de la hiérarchie dans la SS jusqu’au grade de général, professeur de droit à l’Université Humbold de Berlin et directeur de l’Institut d’études sur l’État, voué à des recherches en matière d’organisation institutionnelle adaptée au gouvernement du Reich par la race supérieure.

Après la défaite de 1945, Höhn se fait discret pendant quelques années, avant d’être embauché par un think-tank patronal qui lui confie la fondation d’une école de management à Bad Harzburg en 1956. Ses techniques de « management par délégation de responsabilité », dont l’élaboration a commencé dès le temps du Reich, connaissent un immense succès et son Akademie für Führungskräfte der Wirtschaft forme plus de 600 000 cadres allemands jusque dans les années 80 : autant dire que son influence est dominante dans le « Miracle économique allemand »… Höhn publie, dans le même temps, une série de manuels qui se vendent abondamment.