Victoire des vertbaudets / mitard, l’angle mort 

Dans cette émission, vous allez pouvoir entendre dans une première partie, l’interview d’une gréviste de vertbaudet réalisée par l’Égrégore, une émission de radio primitive de Reims. Ce n’est pas tous les jours qu’une grève est victorieuse, ne boudons pas notre plaisir.

Dans la seconde partie, nous parlerons du mitard, la prison dans la prison, grâce au film réalisé par Vincent Marcel et Laurence Delleur ; « Mitard ; l’angle mort ». Nous nous sommes rendus à la projection de ce film que nous vous conseillons de regarder sur la plate-forme Arte.tv dans « La vie en face », visible tout l’été. Il y est question, entre autre, de la mort de Fofana dont nous avons parlé dans l’émission du 7 octobre 2019, que vous pouvez retrouver sur l’actualitedesluttes.info.

« Laurence Delleur le rappelle, «en prison, il n’y a personne pour filmer». Tandis que «dehors», les violences policières sont régulièrement médiatisées, captées par des téléphones ou des caméras, rares sont les images qui percent le huis clos carcéral. Les violences du personnel sur les détenus restent le plus souvent invisibles, passées sous silence par l’administration pénitentiaire.

La vidéosurveillance laisse de nombreuses zones d’ombre, au propre comme au figuré. Après son film Matons violents : la loi du silence (2015), la journaliste et réalisatrice Laurence Delleur enquête au côté de Vincent Marcel sur l’un de ces angles morts particulièrement meurtriers : le QD, quartier disciplinaire.

Dans cette prison dans la prison, surnommée « le mitard », l’isolement est la règle, et « les surveillants sont tout-puissants parce qu’ils n’ont aucun regard extérieur », juge Christine, une ancienne détenue, face caméra. Là, « tout est possible », lâche un directeur pénitentiaire, qui reconnaît « toutes formes d’abus de part et d’autre ». Eddy y a été laissé en sang, multi-traumatisé, après un tabassage par des surveillants. « Tu te demandes s’il va y avoir un deuxième round, s’ils vont revenir à plusieurs pour te finir. […] y en a beaucoup qui sont devenus fous au mitard ».

Au-delà du recueil de témoignages glaçants d’anciens prisonniers et d’agents pénitentiaires (officiers, surveillants, responsables, parfois anonymisés), les réalisateurs donnent la parole aux familles de détenus décédés au Quartier Disciplinaire dans des conditions troubles, et qui ont décidé de porter plainte. Dans ce choix réside l’une des rares notes positives du film : que des proches de prisonniers morts en prison croient encore à la justice donne des raisons d’espérer.

Ainsi des parents de Sacha, qui s’est pendu à 18 ans, le 27 avril 2021, au QD de la maison d’arrêt de Saint-Brieuc, où il purgeait une peine de six mois de prison pour des faits de vol sans violences. Peu de temps avant son passage à l’acte, il avait supplié par courrier qu’on fractionne sa peine de vingt-et-un jours au mitard. Ainsi d’Oumou Diabaté, sœur de Sambaly, mort bâillonné au quartier disciplinaire le 9 août 2016. Ou encore Mahamadou, qui n’a jamais cru à la version de l’administration pénitentiaire ayant conclu au suicide de son frère Amara, un quadragénaire bien portant qui attendait sa libération conditionnelle du centre de détention de Réau (Seine-et-Marne).

La scène où cet homme endeuillé visionne les extraits de vidéosurveillance captés depuis un couloir de la prison est peut-être l’une des plus troublantes du documentaire : on y voit des agents emmener un homme calme dans une cellule du QD, dont seule la porte est visible, et y rester avec lui de longues minutes. Quand la vidéo reprend, après une coupure de près d’une demi-heure (les images manquantes n’ont pas été transmises, et personne ne les a réclamées à temps), des surveillants sortent Amara, inanimé, de la cellule. Le décès est constaté une heure plus tard.

Pour Laurence Delleur, qui pointe que l’administration pénitentiaire a ici fait l’impasse, en toute impunité, sur vingt-quatre minutes de vidéo, cette affaire exceptionnelle est révélatrice des dysfonctionnements du milieu carcéral. «Combien de détenus sont décédés comme ça ?» La question de la sœur de Sambaly, qui clôture le documentaire, reste sans réponse. Un film comme une urgente et douloureuse alerte.

« Mitard, l’angle mort », documentaire de Laurence Delleur et Vincent Marcel. Coproduction Arte France, Cinétévé, 52 minutes, mercredi 5 juillet, 22 h 30. »