L’ASIE EN EBULITION : sri lanka, inde, pakistan

Le Sri Lanka s’enfonce dans une crise économique qui s’aggrave de jour en jour, la pire depuis l’indépendance du pays il y a 74 ans. Une situation en partie causée par la pandémie de Covid-19, la baisse du tourisme, des dépenses publiques inconsidérées pour des projets bénéficiant aux plus riches, la fin de l’imposition des hauts revenus, le détournement d’argent public, une dette extérieure abyssale de 23 milliards d’euros. Une grande partie de la population sri lankaise ne peux plus vivre, elle doit faire des queues interminables pour faire face aux pénuries de produits alimentaires, de carburants, de médicaments, quand elle en a encore les moyens.

La population Sri-lankaise depuis plusieurs mois est en insurrection, des dizaines de milliers de manifestants défient le gouvernement, incendiant les maisons des riches propriétaires, les traquant dans les rues.

Puisque nous avions Jacques Chastaing nous en avons profité pour faire un petit point sur le mouvement paysan indien et le mouvement Pakistanais.

REVOLUTION OUVRIERE AU SRI LANKA DANS UNE ASIE DU SUD EN ÉBULLITION

Depuis fin mars 2022 le pays vit une situation insurrectionnelle où les classes populaires cherchent à faire tomber le pouvoir. Ce moment à caractère insurrectionnel est l’aboutissement d’une large mobilisation commencée depuis novembre 2021 où le Sri Lanka déborde de grèves ouvrières et de manifestations populaires quotidiennes additionnées de quatre grèves générales ces cinq derniers mois qui ont été chacune autant de véritables tsunami populaires dont l’ampleur a été crescendo en avançant dans le temps.

Mais cette situation est elle même le prolongement de luttes qui ne cessent pas dans le pays depuis 2018 dans un cadre plus général de luttes ou de situations aussi insurrectionnelles dans les pays voisins commencées aussi en 2018-2019, en particulier en Inde et au Pakistan, sans oublier la Birmanie, le Népal ou les Maldives où l’agitation sociale et les résistances populaires sont également intenses avec une interaction permanente entre les différents pays.

Ce qui se passe au Sri Lanka est emblématique de toute l’évolution de l’Asie du sud, mais plus largement à des degrés divers, du monde entier.

Au Sri Lanka, la situation est catastrophique pour les classes populaires avec une inflation démesurée depuis le mois de novembre 2021, atteignant 30% pour le seul mois d’avril 2022, des pénuries récurrentes de médicaments, d’aliments, de gaz, des coupures d’électricité à répétition, des entreprises, des services, des hôpitaux ou des commerces qui ferment faute d’énergie, des gens qui font des heures de queue tous les jours pour se procurer la moindre des choses, beaucoup de familles populaires qui ne font plus qu’un repas par jour, les plus fragiles qui meurent y compris en faisant la queue, des journaux qui ne paraissent qu’épisodiquement ou sur des paginations restreintes faute de papier et d’encre, des examens scolaires qui ne peuvent pas avoir lieu pour les mêmes raisons de pénurie de papier ou d’encre, un pays en quasi faillite.

Et à côté de ça, les profits des entreprises ont battu tous les records historiques, les riches n’ont jamais été aussi riches, étalant sans honte leurs voitures de luxes, palaces, yachts devant l’immense misère de la grande majorité.

DE LA CRISE DE LA DETTE AU SOULEVEMENT DES PAYSANS EN PASSANT PAR LE MOUVEMENT PAYSAN INDIEN JUSQU’A L’INSURRECTION POLITIQUE OUVRIERE
Même si la racine de la crise remonte aux années 2009/2010, à l’origine actuelle de cette situation de quasi faillite, il y a la décision en octobre 2021 prise pour faire plaisir aux riches par le gouvernement dirigé par les frères Rajapkse, de réduire les impôts sur la fortune et les entreprises quasi à rien et de lever le contrôle sur les prix. Le résultat a été d’une part une inflation colossale et d’autre part une perte de revenus importante pour l’État.

Or depuis 2010, le gouvernement (déjà des frères Rajapakse) avait décidé d’ouvrir totalement le pays au marché mondial en empruntant massivement au capital chinois pour renouveler toutes les infrastructures du pays, routes, ports, voies ferrées, aéroports… afin de satisfaire au miroir aux alouettes des “nouvelles routes de la soie” que lui faisait miroiter la Chine. Pendant un moment, le Sri Lanka a été le modèle de réussite du libéralisme. Puis les attentes escomptées n’ont pas été au rendez-vous et les choses se sont gâtées. Là dessus, le covid et la perte de ressources que cela a entraîné pour le tourisme, la première source de revenus du pays, a aggravé la situation, d’où, pour compenser, les cadeaux aux riches d’octobre 2021 en impôts et suppression du contrôle des prix.

Mais il fallait rembourser la dette, faute de revenus pour cela, il fallait emprunter à nouveau à des taux de plus en plus élevés. Jusqu’à un moment où les créditeurs chinois, ont dit stop ; on veut être payés. L’État s’est alors attaqué à la population. Il achetait moins d’essence, d’électricité, de gaz, de médicaments, d’aliments…
Ça a commencé par les engrais.

En août 2021, le gouvernement a brutalement cessé d’acheter des engrais et a demandé aux paysans de se reconvertir du jour au lendemain à une agriculture écologique. C’était impossible et cela signifiait que nombre de paysans allaient mourir mais qu’ils produiraient beaucoup moins pour assurer les ressources vivrières du pays. Résultat, les paysans se sont soulevés, et instruits des combats de leurs voisins indiens, ils ont pendant quatre mois d’août à novembre, coupé les routes et les voies ferrées, occupé des places, bloqué le siège des pouvoirs locaux, se sont affrontés violemment à la police et ont organisé plusieurs marches sur la capitale.

Des manifestations paysannes contre la misère avaient déjà eu lieu auparavant mais cette fois leur objectif revendiqué dans leur dernière marche du 30 mars 2022 était de renverser le gouvernement. Ce qui a tout changé.

Ce mouvement paysan et cet objectif politique allaient en effet débloquer la situation au sein du mouvement social ouvrier cantonné jusque là aux conflits économiques.
Le mouvement social chez les ouvriers et dans les classes populaires était loin d’être inexistant. Bien au contraire. En fait, depuis 2018, une vague de grèves et de manifestations incessantes croissantes comme dans beaucoup de pays du monde à ce moment ont traversé le pays jusqu’à début 2020 avant la pandémie pour reprendre donc en novembre 2021, mais c’étaient des grèves et luttes aux objectifs économiques.

C’est contre cette vague de grèves montantes, d’ouvriers mais aussi de pauvres des campagnes, de la jeunesse et du mécontentement global des populations que le président actuel du Sri Lanka, Rajapakse, lieutenant-colonel corrompu et tortionnaire, a accédé au pouvoir lors des élections présidentielles de novembre 2019.

En effet en septembre 2019, juste avant les élections, 17 000 employés des universités se sont mis en grève, les cheminots – après déjà une grève en juin- entamant pour leur part une grève quasi totale pour une durée indéterminée, tandis que les enseignants exerçaient un arrêt national de deux jours et les agents administratifs du gouvernement entraient en lutte tout comme d’ailleurs les travailleurs des transports et les agents de santé. Mais les directions syndicales refusaient de donner la perspective de l’union des colères comme celui de renverser le gouvernement qui réprimait tant qu’il pouvait toutes ces luttes non coordonnées.

Gotabhaya Rajapakse remporta donc les élections contre son prédécesseur qui était soutenu “comme un moindre mal” par la gauche et les directions syndicales alors qu’il avait mené une féroce politique d’austérité et réprimé les grèves. Ce soutien de la gauche au pouvoir anti-ouvrier et répressif permis à Rajapakse de s’appuyer sur le mécontentement généré par cette politique d’austérité et de lui offrir comme politique toute une démagogie religieuse anti musulmane, à la faveur de pogroms anti-musulmans et ethniques anti tamoul.

Une fois élu, les premières mesures de Gotabhaya Rajapakse ont été de corrompre et de militariser l’appareil d’État un peu plus à tous les niveaux en mettant ses frères, cousins, oncles et tantes et des militaires à la tête des administrations – y compris les criminels de guerre condamnés de la guerre contre les tamouls. Il renforça les forces de répression en vue de la confrontation avec la classe ouvrière et toutes autres formes de contestation sociale que dans la démagogie habituelle, il confondait avec le terrorisme, le crime organisé et le trafic de drogue tout en rendant responsables les musulmans de la propagation du virus du covid.

Très rapidement avec la pandémie, il montrait presque publiquement qu’il préparait un coup de force en concentrant des troupes sur Colombo la capitale et en faisant envahir les rues par des militaires en armes et faisant occuper les écoles du nord du pays par 20 000 soldats.

Mais les grèves et manifestations continuaient. Ainsi 14 manifestations nationales de différents secteurs professionnels se sont déroulées devant le siège du gouvernement sur les 15 premiers jours de février 2020. Le 28 février, 200 000 enseignants se mettaient en grève alors que des mineurs d’une mine d’État entraient aussi en lutte et que les ouvriers agricoles des plantations de thé poursuivaient une grève quasi continue depuis trois mois. Le 2 mars, les employés des services d’audit entrent en grève illimitée pour être intégrés à la fonction publique et des employés d’État entrent eux aussi en grève. Face à ce nouvel élan de grèves, le président dissolvait le Parlement début mars 2020 pour organiser de nouvelles élections législatives en août dans le but de cumuler tous les pouvoirs, ce qu’il obtint avec une nouvelle vague de démagogie anti-musulmans et tamouls.

A partir de là, le mouvement social n’allait reprendre qu’avec les paysans en août 2021, puis une grève de trois mois de 250 000 enseignants pour les salaires, contre la privatisation de l’éducation et sa mise sous contrôle de l’armée, et enfin une nouvelle vague de grèves à partir de novembre 2021, avec des travailleurs de la santé, du pétrole, de l’électricité, des ports, des plantations de thé et à nouveau des enseignants pour des augmentations de salaire, unissant les travailleurs de toutes les ethnies cinghalaises, tamoules et musulmanes, soulignant une détermination commune et une classe unique loin des divisions traditionnelles alimentées par certains partis politiques pour diviser le petit peuple.

En même temps, poussés par la population en colère, et pour tenter de prendre le contrôle du mouvement social émergeant, le principal parti de l’opposition bourgeoise, le SJB, appelait à occuper les rues de la capitale Colombo à la mi-novembre ce qui fut fait avec succès, bien au delà de ses capacités de mobilisation traditionnelle et le JVP, principal parti de l’oppostion de gauche, faisait de même.

Le 8 décembre, plus d’un demi-million de travailleurs du secteur public organisent une grève nationale d’une journée tandis que des dizaines de milliers d’agents de santé du secteur public ont lancé une série de manifestations au niveau provincial et qu’en même temps, les ouvriers de l’électricité, des ports et des sociétés pétrolières manifestaient conjointement dans le centre de Colombo pour protester contre la privatisation de ces entreprises.

Le 13 décembre, environ 10 000 travailleurs de 12 plantations de thé entament une grève d’une semaine pour s’opposer à l’augmentation de la charge de travail et aux baisses de salaires.
Le 14 décembre, environ 16 000 postiers participent à une grève nationale pour les salaires.

Face à la montée de cette colère des travailleurs et des ruraux pauvres et leur unification sociale, le gouvernement interdit les grèves et autres actions revendicatives dans la fonction publique avec de lourdes amendes et de longues peines de prison à partir de la mi-décembre 2021. Il suspend en même temps le Parlement du 12 décembre 2021 au 18 janvier 2022, tout en intensifiant la militarisation de l’école et de son programme, la militarisation de l’administration, avec un général à la tête de la lutte contre le covid, un général à la tête de lutte contre l’inflation, une fonction de “leader” dans les universités formée par l’armée, poussant la militarisation de la société jusqu’au ridicule puisque les autorités imposent aux étrangers désirant épouser une sri-lankaise d’avoir l’autorisation de l’armée.

Un instant freiné, les luttes reprennent en mars 2022 avec une campagne d’un mois de grèves pour des augmentations de salaires organisée par les directions syndicales tandis que les partis d’opposition SJB et JVP continuent pour leur part à organiser d’immenses manifestations et marches sur la capitale pour remettre en cause le gouvernement mais en exigeant seulement des élections anticipées ou que le Parlement prenne en main la situation.

On avait donc le train train classique des grèves et manifestations ouvrières aux objectifs économiques d’un côté et de l’autre l’opposition bourgeoise qui se réservait le débouché politique, électoral ou parlementaire. Le schéma de qui s’est passé au Pakistan avec la chute du premier ministre le 9 avril 2022, provoqué par une lame de fond de mobilsations populaires contre les hausses de prix, les privatisations, les licenciements, mais canalisée par une union des partis de l’opposition bourgeoise et détournée vers une motion de censure parlementaire, cause secondaire de la chute du pouvoir mais qui volait le succès à la mobilisation des classes populaires.

Le mouvement paysan sri lankais allait bousculer cette mécanique, par la marche sur Colombo le 30 mars qui elle était directement politique en affichant clairement son but de renverser le gouvernement.

Les réseaux sociaux ont pris le relais en appelant à descendre dans la rue le 31 mars contre le gouvernement. Le pouvoir coupa internet et interdit toute manifestation. Mais c’était trop tard, le feu avait pris. Dans la nuit du 31 mars, des manifestants tentèrent de prendre d’assaut la résidence du président de la république et du premier ministre. Cela fut un coup de tonnerre. Tous les partis et toutes les directions syndicales, débordés et surpris de perdre leur monopole de la représentation populaire, dénoncèrent ce vandalisme commis par des anonymes.

Mais le mouvement des classes populaires sur le terrain politique était lancé.
Pour comprendre cette opposition de toutes les forces politiques et syndicales du pouvoir comme de l’opposition à ce mouvement sorti du tréfonds des classes populaires et comprendre donc les événements qui vont suivre, quelques mots sont ici nécessaires pour décrire l’évolution de la représentation politique et syndicale des classes populaires au Sri Lanka ces dernières années, une évolution assez symptomatique de ce qu’on peut voir partout dans le monde.

EFFACEMENT DE L’OPPOSITION GAUCHE/DROITE ET APPARITION D’UN ESPACE PUBLIC OPPOSITIONNEL
En 2009, le clan des Rajapakse au pouvoir depuis 2005 à la tête du grand parti de gauche de l’époque le SLFP, mettait fin à vingt ans de guerre civile contre la tentative fédérative des tamouls qui a fait au moins 100 000 morts.

A partir de là et des élections présidentielles de 2010, en même temps que le pouvoir tournait l’économie à fond vers le marché au point de devenir le meilleur élève du libéralisme comme on l’a vu plus haut, au lieu de l’opposition traditionnelle gauche/droite, opposant les deux grands partis SLFP (gauche) et UNP (droite), on va assister à une sorte de gouvernement permanent d’union nationale, unissant l’ensemble des grands partis de gauche et droite, dans une alliance permanente, avec de nombreuses ruptures, combats, trahisons et divisions internes mais toujours dans le cadre de cette alliance permanente.

Ainsi par exemple, Ranil Wickramasinghe (UNP droite) vient d’être nommé ce 14 mai 2022, nouveau premier ministre du président Gotabaya Rjapakse (SLPP gauche ex SLFP), en remplacement de son frère Mahinda Rajapakse, qui lui-même était président jusqu’en 2015 et son frère Gotabaya alors ministre et chef des armées. Mais en 2015 Ranil Wickramasinghe (UNP droite) avait déjà été le premier ministre de Maithripala Sirisena (SLFP gauche) qui avait été lui-même candidat contre Mahinda Rajapakse (ex SLFP devenu SLPP gauche), tandis qu’un peu plus tard Mahinda Rajapkase devient à son tour premier ministre de Maithripala Sirisena, etc.

A cela s’ajoute le soutien sans participation des partis qui dénoncent cette union nationale. Ainsi, les deux grands partis qui jouent un rôle dans les mobilisations aujourd’hui, le JVP, la gauche dure et ancien parti guerilleriste, qui exige le départ de Rajapakse le soutenait pourtant hier et le SJB, une scission de l’UNP qui s’oppose à la participation de ce parti à cette union nationale permanente, exigeait il y a cinq jours la démission du président Gotabaya Rajapakse mais lui proposait il y a deux jours d’être son premier ministre et a accepté hier de faire partie du nouveau gouvernement.

Les directions syndicales sont quasi toutes aux mains des grands partis de cette union nationale défendant l’orientation libérale. En même temps, à cause des dégâts de ce libéralisme, elles recrutaient massivement des jeunes syndicalistes combatifs mais peu conscients politiquement. Les directions syndicales arrivaient à concilier cette contradiction avec d’une part une radicalité certaine dans la lutte économique et d’autre part l’arrêt de la lutte lorsque cette radicalité s’approchait de la mise en cause du pouvoir politique, au prétexte que ça risquait de casser l’économie et d’être préjudiciable à tous.

Cet équilibre vient d’être rompu par la politisation du mouvement actuel et nous entrons dans une situation où l’évolution de cette jeunesse ouvrière militante est inédite.

Avec cette politique libérale passant à l’offensive contre les classes populaires et cette union nationale pour la mettre en œuvre, le pouvoir s’attaquait aux libertés démocratiques pour paralyser toute riposte. Il limitait les libertés démocratiques, muselait les médias, emprisonnait les opposants et les torturait, accentuait le fait de donner les pleins pouvoirs à l’armée, accroissait sa démagogie contre les tamouls et les musulmans, pendant que la corruption et les fraudes augmentaient. Aussi, en même temps que l’espace public traditionnel de débat politique s’éteignait au parlement et dans les médias, il resurgissait dans les médias sociaux et dans l’opposition de rue.

La première manifestation de cette espace public oppositionnel se fait en 2012, en même temps que les printemps arabes, avec un “printemps sri lankais”, mené par les étudiants et enseignants, occupant universités et places publiques tout comme ailleurs les places Tahrir, Kasbah, Syntagma, Puerta del Sol… avaient été occupées, ou plus tard à des niveaux différents « Nuits debout » mais dans la même logique d’espace public oppositionnel, et aujourd’hui encore à des niveaux éloignés, les rond-points des Gilets Jaunes jusqu’aux « townships » révolutionnaires des paysans indiens aux portes de Delhi et dans des centaines d’endroits dans le pays, qui fonctionneront comme un entre-deux, entre le besoin d’organes horizontaux de pouvoir les plus démocratiques possibles et en même temps le ferment centralisé pour l’élaboration et la mise en pratique des conceptions et tactiques révolutionnaires afin de faire face efficacement à la centralisation des pouvoirs bourgeois, une sorte de centralisme démocratique pour la situation.

Le printemps sri lankais étudiant et enseignant va entraîner peu à peu toutes les classes populaires dans une lutte tous azimuts contre ce monde et le pouvoir, probablement avec les mêmes illusions qu’en Egypte, en Grèce ou en Espagne à cette époque, mais que le gouvernement aura toutefois déjà toutes les peines à stopper et dont on voit ressurgir aujourd’hui le souvenir instruit des leçons de l’histoire avec les occupations de « Galle Face » à Colombo au Sri Lanka.

LES ETAPES DE L’INSURRECTION ACTUELLE
Trois grandes étapes ont marqué la dernière période insurrectionnelle au Sri Lanka autour des dates 31 mars, 9 avril et 9 mai avant probablement une quatrième étape le 19 mai 2022.

Au lendemain de la tentative des classes populaires le 31 mars 2022 de prendre les résidences du président et du premier ministre et leur dénonciation par toutes les forces politiques et syndicales, la mobilisation qu’on avait vu en 2012 avec le “printemps sri lankais” réapparaît et occupe l’espace politique ouvert par la révolte ouvrière et abandonné par les forces institutionnelles.

A partir du 9 avril, les abords et même le hall d’entrée de la présidence de la république dans le quartier chic de “Galle Face” à Colombo sont occupés jour et nuit par une foule de manifestants dont beaucoup d’étudiants, artistes, intellectuels mais aussi beaucoup d’ouvriers, de jeunes, de chômeurs, de femmes des quartiers populaires, de pauvres… qui sont là à titre individuel et qui reprennent tous l’exigence des manifestants des 30 et 31 mars : le départ du gouvernement des Rajapakse. Les abords du Parlement et du siège du premier ministre sont également occupés en même temps que les abords des bâtiments du pouvoir dans la plupart des villes du pays.

Significativement le campement devant la présidence est baptisé « Gota dégage » (Gota, abréviation du nom du président) tandis que celui devant les bureaux du premier ministre se nomme « pas d’accord » (pas de compromis). A « Galle Face » comme aux portes de Delhi, on installe un mini hôpital, un cinéma, une école, les débats et meetings sont permanents, les spectacles également.

Après le 9 avril, les directions syndicales qui jusque là continuaient à s’aligner sur les partis pour réclamer des solutions politiques qui soient parlementaires et des solutions économiques dirigées par le FMI, sont poussées par la base à une grève générale le 28 avril qui sera très suivie. Face au succès, la base exige une suite avec de plus en plus l’objectif de faire tomber le gouvernement comme première étape pour aller vers un changement de société. Des syndicat comme le syndicat des enseignants s’expriment dans ce sens. La nouvelle étape est une grève générale durcie le 6 mai, baptisée « hartal », mêlant désobéissance civile et grève, en référence à une première de ce type en 1953, la première après l’indépendance.
C’est un tsunami populaire.

Tout s’arrête, des trains aux bus, des usines aux commerces, des hôpitaux aux universités, des banques à l’électricité, la poste, les plantations de thé, l’administration… C’est une formidable démonstration de force de la classe ouvrière. Des cheminots, des chauffeurs de bus, d’autres encore continuent spontanément la grève le lendemain. Les directions syndicales appellent alors à la grève illimitée à partir du 11 mai jusqu’à la chute du gouvernement.

Le gouvernement parle de lâcher le premier ministre pour calmer les choses. Les directions syndicales hésitent. Le pouvoir en profite et le 9 mai au matin, le premier ministre mobilise des milliers de miliciens de son parti et des prisonniers de droit commun sortis de prison pour l’occasion, qui s’attaquent violemment avec la protection de la police aux campements des manifestants devant les bureaux du premier ministre et de «Galle Face » en même temps que le pouvoir décrète le couvre-feu. Il y a de nombreux blessés et des morts.

Mais c’est sans compter avec la riposte ouvrière qui est formidable. Dans l’après-midi du 9 mai, des centaines de milliers de travailleurs se mettent en grève spontanément dans tout le pays en même temps que des syndicats de base ou des fédérations appellent à la grève, certains pour dénoncer les violences du pouvoir d’autres pour renverser le pouvoir. Les rues sont occupées par les insurgés, les miliciens du pouvoir sont poursuivis, défaits et se cachent.

Les insurgés mettent des check-points un peu partout pour arrêter les miliciens et les hommes du pouvoir, ils arrêtent des policiers et même un chef de la police qui est passé à tabac. La nuit du 9 au 10 et encore en partie dans la matinée du 10 mai, plus d’une centaine de résidences de ministres, dont celle du premier ministre, des députés et de responsables du pouvoir sont incendiés comme leurs bureaux et leurs véhicules. Une caserne de l’armée ou se cache le premier ministre est encerclée. Paniqué, le premier ministre démissionne.

Le 10, la presse se déchaîne contre les insurgés (et à peine contre les violences du pouvoir) et appelle l’armée au secours. Quasi toutes les directions politiques lâchent le mouvement et le dénoncent, les directions syndicales également et annulent leur mot d’ordre de grève illimitée pour le 11 pour ne pas céder, disent-elles, au chaos et à l’anarchie. Les patrons en profitent pour lock-outer (ferment) toutes leurs entreprises tandis que l’État ferme tous les services publics pour empêcher les travailleurs de se rassembler. Le gouvernement envoie l’armée dans les rues tout en renforçant le couvre-feu pour maintenir l’ordre.

Surpris tout à la fois parce qu’ils viennent de faire et en même temps par les trahisons syndicales et politiques, sans pouvoir se rassembler ni faire grève, les travailleurs font une pause pour prendre la mesure de ce qui vient de se passer. En même temps, les contrôles de l’armée sont plus dans les désirs des bourgeois paniqués et sur les pages de leurs journaux que dans la réalité. En effet, l’occupation reprend quand même le 11 mai à « Galle Face » et devant les bureaux du premier ministre et des manifestations continuent dans de nombreux endroits pour obtenir du gaz avec des routes coupées plus par les manifestants que par l’armée.

Signe de cette situation, alors que la police donne un mot poli aux occupants de « Galle Face » pour qu’ils dégagent au titre du couvre-feu, le premier geste du nouveau premier ministre d’union nationale nommé le 12 mai est d’annuler publiquement l’exigence de la police et de dire qu’il est tout à fait normal que les gens manifestent contre le président. La velléité de nouveau coup de force du pouvoir a échoué bien que l’opposition face bloc autour du nouveau premier ministre , ou se taise comme les directions syndicales.

Tandis que dans la rue, les manifestations populaires continuent exigeant du gaz et pas un nouveau premier ministre, le 14 mai, la « Fédération inter-universitaire des étudiants » qui anime la lutte en milieu étudiant pour dégager le pouvoir, organise une conférence de presse avec la participation d’enseignants, d’artistes et de syndicalistes et, suppléant, à la trahison des directions syndicales, appelle à une marche sur la capitale le 19 mai, contre l’union nationale qui s’est remise en place autour du nouveau premier ministre, pour dégager le président et le nouveau premier ministre, procéder à l’arrestation de l’ancien premier ministre et d’autres ministres, députés ou notables du parti au pouvoir, responsables des violences du 9 mai qui ont fait 8 morts et des centaines de blessés et libérer les insurgés des 9 et 10 mai.

Pour faire face à la situation, pour la première fois, elle propose un programme indépendant pour la révolution :

1. Dehors Gotabaya, dehors le système présidentiel, pour transformer le système économique et social.
2. Nouvelle constitution élaborée publiquement par le peuple pour que tout le pouvoir revienne au peuple.
3. Restitution de tout l’argent volé au peuple depuis 1977 par les politiciens et tous les pillards de l’argent public.
4. Jugement et punition de tous les auteurs de crimes au pouvoir,
5. 85% des recettes fiscales sont des impôts indirects pris au peuple, et les grandes entreprises ne paient que 15% des impôts. Il faut inverser ces chiffres : que les riches paient 85% des impôts !
6. Les sociétés cotées en bourse ont fait un bénéfice de 200 milliards de roupies en 2020, les 9 plus riches du pays ont gagné 891 milliards, le capital des quatre plus riches ont dépassé le billon de roupies. 2020 est en même temps l’année où la grande majorité est tombée au fond de la pauvreté. Cette richesse doit être prise à ces quelques individus et utilisée pour les besoins du peuple !
7. Une commission publique d’enquête avec les ouvriers, paysans, enseignants, syndicalistes, étudiants, représentants d’association, déterminera les responsabilités de l’exécutif et du législatif dans la situation présente.
8. Un organisme public de contrôle des prix doit être instauré par les organisations de femmes, de paysans, d’ouvriers, d’étudiants, de pécheurs, de consommateurs, pour fixer les prix des produits de première nécessité et en enlever le pouvoir au marché et aux entreprises.
9. Il faudra prendre le contrôle de l’économie pour l’arracher aux mains de la Banque mondiale et du FMI.
10. L’éducation ne doit plus être une marchandise mais une arme d’émancipation.
11. Tous les accords signés avec les impérialismes : États-Unis, Inde, Chine, doivent être rompus s’ils vont contre les intérêts populaires.
12. Stop à la privatisation des biens publics et restitution de ce qui a été privatisé !

Le 16 mai, la jeunesse bloque le siège de la police à Colombo, exigeant l’arrestation des ministres et députés responsables des violences du 9 mai.
Le 17 mai le nouveau gouvernement, qui regroupe désormais le parti au pouvoir et les grands partis d’opposition de gauche et de droite à l’exception d’un seul, prend peur. Pour tenter de couper l’herbe sous le pied à la manifestation du 19 mai et afin que le soulèvement ne se trouve pas une direction dans la fédération inter-universitaire étudiante et la coordination large qu’elle anime ainsi qu’un programme révolutionnaire, le nouveau gouvernement annonce qu’il a ordonné l’arrestation du premier ministre et de 22 autres ministres, députés et notables impliqués dans la tentative du coup de force violent du 9 mai.
La révolution continue à exercer sa pression et sa marche en avant.
Elle l’exerce également au delà du Sri Lanka.

UNE RÉVOLUTION SCRUTÉE DANS TOUTE L’ASIE
On a vu plus haut, que le mouvement paysan sri lankais s’était inspiré du formidable soulèvement des paysans indiens qui a ébranlé le pouvoir de Modi en Inde et que c’est cela qui avait débloqué la situation politique au Sri Lanka en contribuant à donner des objectifs politiques au mouvement des prolétaires sri lankais. Il en a été de même au Pakistan. C’est aussi le mouvement paysan pakistanais en imitant la marche des paysans indiens sur Delhi, pour la reproduire vers Islamabad en mars 2022 qui a suscité la panique dans la bourgeoise pakistanaise et a incité l’alliance des partis d’opposition bourgeois à lancer à leur tour des marches populaires sur la capitale pour prendre la tête du mécontentement et des luttes importantes qui traversent le pays depuis deux ans et empêcher le mouvement populaire d’avoir sa propre direction. Ainsi le gouvernement militaro-islamiste d’Imran Khan est tombé le 9 avril sous la pression populaire à la date où les sri lankais occupaient les abords de la présidence à Colombo, mais c’est l’opposition bourgeoise qui en a tiré les fruits, prenant la place de l’ancien gouvernement en ayant la volonté d’avoir tout changé pour que rien ne change fondamentalement. Cependant, rien n’est joué, l’agitation populaire continue de plus belle en même temps que l’inflation bondit et ce qui se joue au Sri Lanka y est scruté attentivement, comme d’ailleurs dans toute la presse asiatique.

De la même manière, si le soulèvement paysan indien a accéléré les prises de conscience au Sri Lanka, ce qui se passe actuellement au Sri Lanka n’est pas sans répercussion en Inde. Le plus grand Etat tamoul d’Asie du sud est le Tamil Nadu indien avec une communauté de 80 millions de tamouls, qui vient de passer à gauche contre un allié du BJP aux dernières élections et a décidé d’aider la population sri lankaise. Mais au delà de cette communauté historique et culturelle, le congrès national de la jeunesse démocratique indienne qui vient de se tenir à Calcutta devant une foule de jeunes, a averti le gouvernement de Modi, que la jeunesse indienne saurait prendre exemple sur la jeunesse sri lankaise en train de mettre en échec le pouvoir autoritaire des Rajapakse, pour mettre à son tour en échec le pouvoir autoritaire de Modi. Un événement marquant, un succès notable dans l’île et les tensions sociales qui sont toujours vives sur le continent mais dispersées pourraient soudain retrouver une unification. Tout le monde le sait ou le sent et il y a de l’électricité dans l’air.

Soyons sûrs également que la progression de la révolution au Sri Lanka est scrutée de près par la résistance armée du peuple birman qui continue depuis plus d’un an contre la dictature de l’armée, de même que par les népalais où l’agitation ne cesse pas depuis deux ans ou encore aux Maldives où la population tente de renverser le pouvoir en place, sans oublier le Bangladesh où la colère ouvrière, encore sourde, n’attend qu’une étincelle pour ressurgir soudainement comme en 2018 et 2019.
Toute l’Asie du sud est en ébullition, soit une population d’un milliard huit cents millions d’habitants qui s’éveille politiquement, un séisme pour le monde et la pointe avancée de ce tsunami à venir en est aujourd’hui la révolution ouvrière au Sri Lanka
Jacques Chastaing le 17 mai 2022

APRES LES PAYSANS INDIENS, LES PAYSANS PAKISTANAIS APPELLENT A UNE MARCHE SUR LA CAPITALE ISLAMABAD EN FEVRIER

Cela fait au moins depuis 2019, que les paysans pakistanais tentent d’élargir le nœud coulant qui les étrangle, la lutte des paysans indiens et leur succès a donné un coup de boost à leur lutte.

De son côté le PPP, le principal parti d’opposition, a annoncé une marche sur la capital fin février et le PDM (alliance de 10 partis d’opposition) appelle à une marche sur la capitale le 23 mars contre la hausse des prix.

Le gouvernement militaro-islamiste d’Imran Khan est mal parti.

Si le gouvernement d’Imran Khan était affaibli, voire dégagé par une vague populaire, soyons sûrs que le gouvernement Taliban ne tiendrait pas longtemps en Afghanistan, lui qui est tenu à bout de bras par le régime islamiste du Pakistan.  Et ce d’autant, que toute la partie ouest du Pakistan (aux frontières afghanes et iraniennes) est déjà en quasi sécession sous l’influence des grands partis Baloutches et Pachtounes d’obédience marxiste, en guerre contre les talibans du Pakistan autant que contre ceux de l’Afghanistan et qui les tiennent en échec et les font reculer autant sur le terrain social que militaire.