FUITE EN AVANT BIOTECHNOLOGIQUE DU CAPITALISME / ATELIER PAYSAN

Hélène Tordjman, maître de conférences à l’Université Sorbonne-Paris Nord et membre du Centre de Recherche en économie Paris-Nord, ainsi que Nicolas Decome, président de Technologos et membre de l’Atelier paysan, faisaient partie des intervenants lors des rencontres de Technologos les 23 et 24 septembre 2022, à la fac de Jean Monet à Sceaux. Ces dernières étaient co-organisées par l’association éponyme avec le laboratoire IEDP de droit public, et en partenariat avec Sciences critiques. Le colloque avait pour titre “Pourquoi critiquer la technique aujourd’hui ?”.

Hélène Tordjman est intervenue sur la fuite en avant biotechnologique du capitalisme, ce dernier puisant dans la convergence NBIC (nanotechnologie, biotechnologie, sciences de l’information et de l’informatique, sciences cognitives) et l’idéologie transhumaniste pour se perpétuer en s’étendre à de nouveaux domaines.

Nicolas Decome a présenté quant à lui l’Atelier paysan, une coopérative d’intérêt collectif à but non lucratif, imaginant et concevant collectivement des machines sous licence libre, adaptées aux besoin des paysans. Contre-modèle en expérience s’il en est à une agriculture robotisée, alliant numérique et génétique, répondant à la fuite en avant dressée par Hélène Tordjman en première partie.

Texte de présentation des rencontres de Technologos :
“Alors que l’actualité en Ukraine a relégué au second plan les avertissements alarmistes du dernier rapport du GIEC, le climat continue de se réchauffer, les pollutions de se multiplier et le vivant de s’effondrer. L’invasion russe fait flamber le cours des matières premières, hydrocarbures et céréales au premier plan, faisant craindre des rationnements potentiellement catastrophiques. Face à l’urgence, et comme pour la crise sanitaire, les gouvernants tendent à promouvoir toujours les mêmes recettes éculées : sécuriser notre approvisionnement en gaz et pétrole sans réfléchir à l’ampleur de notre consommation, rechercher un productivisme agricole dont on connait les effets délétères… En d’autres termes, les solutions court-termistes sont une nouvelle fois privilégiées au détriment d’une réflexion approfondie fondée sur la compréhension des enjeux de long terme. Or, ces différentes crises sont multidimensionnelles et imbriquées, en fait diverses facettes d’une même crise globale, profonde, anthropologique..

Depuis les débuts de la modernité occidentale au 16ème siècle, les êtres humains se sont progressivement pensés en dehors de la nature, et ont considéré cette dernière comme un réservoir de ressources dans lequel puiser de manière illimitée. Colonisation, révolution industrielle et consommation de masse, les sociétés européennes puis nord-américaines se sont engagées sur un chemin unique dans l’histoire de l’humanité. D’une part, le marché est apparu comme la meilleure forme d’organisation sociale, prenant en charge des pans de plus en plus importants des activités humaines. D’autre part, le progrès technique est devenu l’horizon indépassable de nos existences, justifié par la recherche de « l’efficacité maximale en toutes choses ». La civilisation occidentale a acquis un tel pouvoir d’agir qu’elle met aujourd’hui en danger le vivant.

De tout temps, l’activité humaine a contribué à modeler la nature et les paysages. Ce n’est toutefois que depuis deux siècles de capitalisme industriel qu’elle les détruit systématiquement, et ce à l’échelle planétaire. Or, les seules « solutions » envisagées par les gouvernants pour contrer le désastre sont d’ordre technologique : bio et nanotechnologies de plus en plus puissantes et intrusives qui nous permettraient de remplacer les ressources fossiles par des matières « renouvelables » et de soigner les maladies créées par nos modes de vie ; géo-ingénierie pour manipuler le climat et la biosphère ; numérique, Big Data et intelligence artificielle à tous les étages pour un monde plus « intelligent » et plus « propre ». Pour les élites politiques et économiques, la transition écologique est d’ailleurs récemment devenue écologique et numérique. Ce solutionnisme technologique ne fait qu’approfondir la trajectoire mortifère dans laquelle le monde s’est enfermé, et de plus en plus vite. La puissance de l’action humaine va encore s’accroître, la Terre et le vivant vont être encore plus artificialisés et réifiés qu’ils ne le sont, les montagnes de déchets continueront à grandir, et les êtres humains resteront désemparés face à ce rouleau compresseur.

Sortir de cette folie collective exige à minima de faire un pas de côté et d’identifier les causes profondes de la crise systémique que nous vivons : la puissance technique mise au service du capital, la démesure prométhéenne des moyens mis en œuvre, une science souvent sans conscience qui, comme le disait Rabelais, n’est que ruine de l’âme. Lors de ces Rencontres qui marqueront les 10 ans de Technologos, nous tenterons de donner des éléments pour penser cette dynamique mortifère et armer intellectuellement la critique. C’est le préalable à toute action. Nos Rencontres se feront en partenariat avec Sciences Critiques, et se dérouleront en trois temps, trois demi-journées. Dans la première, nous ferons un état des lieux de la dimension technique de différentes facettes de la crise globale. La deuxième demi-journée sera consacrée à une critique historique et théorique de la technique qui donnera des outils conceptuels permettant de penser la crise écologique. Enfin, dans la dernière demi-journée, nous aborderons la question du comment. Comment penser autrement nos rapports à la nature, d’une manière moins anthropocentrée et plus harmonieuse ? Comment lutter contre le capitalisme technoscientifique et explorer d’autres alternatives ?”

Site de Technologos : https://technologos.fr/index.php
Site de l’atelier paysan : https://www.latelierpaysan.org/
Pour aller plus loin sur la convergence NBIC : https://theconversation.com/convergence-technologique-lhomme-la-machine-et-la-societe-76044