En ce mois de janvier 2024, une colère agricole a surgi un peu partout en France. Nous vous proposons dans cette émission, un entretien avec Yannick Ogor pour une analyse de ce mouvement.
Comment sortir de la confusion politique qui frappe le monde agricole ? Comment en révéler les antagonismes et y assumer le conflit de classes ? Yannick Ogor, ancien animateur de la Confédération paysanne, éleveur et maraîcher en Bretagne, retrace la contestation agricole en France depuis soixante ans, ses tentatives et ses impasses. Il revient aux racines de la question agricole, éclaire les lieux de pouvoir et les faux-semblants qui structurent l’alimentation des masses. Pour qu’on puisse enfin se départir de l’immuable et mensongère figure du « paysan » qui ne sert qu’à justifier l’asservissement de l’agriculteur à la logique industrielle.
La question du recours aux normes est, de ce fait, traitée de manière particulièrement éclairante. C’est vrai : il faut se demander comment une forme de vie aussi indépendante que la paysannerie a pu finir par voir son salut dans la profusion de normes et de contrôles sur la « qualité » et la « traçabilité », deux notions phares de la société industrielle.
Mais qui aujourd’hui chercherait à défendre les « agriculteurs hors des clous » ? Au nom de quoi ? D’une « paysannerie » qui n’existe plus ? D’une « profession agricole » ? Il y a là le pressentiment d’une impasse, comme l’annonce le titre même de son précédent livre : le paysan impossible . Yannick Ogor montre bien que ces termes ont toujours permis de se débrouiller avec des réalités de classe très différentes les unes des autres. Quitte à, aujourd’hui, nier totalement les implications sociales de la division du travail. Et l’élimination presque mécanique des « hors-normes ». On parle de « coopératives » pour des entreprises qui n’en sont plus, d « intégration » pour des relations de subordination, d’ « auto-entreprise » pour de l’auto-exploitation, etc.
Pour expliquer ce flou d’aujourd’hui, et cet abandon de la problématique de la lutte des classes en agriculture, il cherche aussi à mettre en lumière le rôle idéologique et politique de la gauche paysanne, depuis les Paysans Travailleurs des années 70 jusqu’aux dernières prises de position de la Confédération Paysanne aujourd’hui. Comment la colère a-t-elle pu devenir cogestion ? Comment, devant la certitude du désastre, la proposition de le « gérer » est-elle rendue consensuelle ?